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« Il manque l’articulation avec les productions animales »

Cédric FAIMALI/GFA

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Ingénieur agronome de formation, ingénieur des eaux et forêts, auteur d’une thèse de sciences politiques, Pierre-Marie Aubert est chercheur en politiques publiques agricoles et alimentaires à l’Iddri, un think tank hébergé par Sciences Po. Il a coécrit une étude « Pour une transition protéique : quelles mesures prendre ? », publiée fin 2020, juste avant que ne soit dévoilé le contenu du plan protéines.

Quelle est l’origine de cette étude ?

L’Iddri avait déjà publié en 2018 un scénario pour une transition agroécologique à l’échelle européenne, avec une part importante de l’assolement qui passe en protéagineux. En parallèle, on travaille avec les pouvoirs publics et l’Ademe pour donner de la substance économique à la trajectoire indicative de la Stratégie nationale bas carbone sur le volet agricole. On a saisi l’opportunité du plan de relance et des discussions interminables sur le plan protéines pour faire des propositions qui n’ont rien de très novatrices, mais qui se basaient sur une scénarisation un peu plus fine de cette ambition de doubler les surfaces de légumineuses à l’horizon 2030, notamment sur les maillons de la collecte et de l’industrie.

Alors, comment jugez-vous ce plan protéines à la lumière de vos travaux ?

Tout d’abord, de manière positive, ce plan protéines donne des orientations, il va au-delà de la terminologie protéines végétales qui, par le passé, a favorisé d’abord le colza, et reconnaît que les légumineuses peuvent être une voie de diversification intéressante d’un point de vue agroécologique, mais aussi économique pour les agriculteurs. Tout en faisant le constat qu’il va falloir des solutions génétiques et de protection des cultures. Il met également en avant l’intérêt des légumineuses pour la consommation humaine. En revanche, ce qui manque beaucoup, c’est l’articulation entre protéines végétales et productions animales. Je trouve dommage que le plan protéines ne traite pas directement la question du soutien aux filières animales alors qu’elles constituent 88 % des débouchés des légumineuses. On sait très bien que si on veut des surfaces, c’est avant tout au niveau de l’alimentation animale que cela va se jouer. Beaucoup d’acteurs de ce secteur ont envie d’avancer sur l’approvisionnement local, non OGM, mais quand on a un discount de quelques dizaines d’euros en faveur de la tonne de soja importée, c’est compliqué. C’est un gros défi pour les coopératives, notamment polyvalentes, d’arriver à la fois à développer la production, à créer des filières et à revendre de l’aliment aux éleveurs.

Qu’attendre des 50 M€ fléchés vers la structuration de filière ?

Difficile à dire, mais ça coûte cher de se coordonner, ça exige du temps de travail. Pour faire simple, structurer des filières, c’est payer des gens pour que les acteurs se parlent. La question de l’organisation collective est essentielle. Historiquement, l’interprofession a investi dans les oléagineux et non dans les protéagineux. C’est à elle d’impulser la structuration pour réduire les risques pour l’investissement aval. Et si la mayonnaise prend, ce sera une garantie assez forte pour que les coopératives et les industriels investissent. Mais aujourd’hui, comme on souffre d’un verrouillage très systémique, c’est difficile pour une entreprise d’investir massivement dans la collecte ou la transformation quand elle n’est pas sûre que sa filière va être rentable. De la même manière, comme les filières amont ne sont pas très bien structurées, l’aval n’investit pas trop car il n’est pas sûr d’être approvisionné, et on tourne en rond. Ce plan de relance ne prend pas vraiment à bras-le-corps la question industrielle et des débouchés.

Quid des investissements matériels à faire pour accompagner cette transition ?

Si on s’en tient aux allégations du plan, nous avons chiffré les investissements matériels pour la collecte (stockage, triage, séchage) et la transformation à 1,1 Md€ sur dix ans. On peut discuter du chiffre, mais il est sans commune mesure avec les 100 M€ sur deux ans du plan protéines. L’enveloppe prévue dans le plan de relance doit donc nécessairement s’accompagner de mesures incitatives aux investissements privés des acteurs des filières (fiscalité, aides Pac, etc.), afin de favoriser un environnement de marché stable et dans lequel les acteurs économiques sont convaincus qu’ils peuvent être compétitifs. Par ailleurs, il ne faut pas se leurrer, on ne sortira pas de cette situation si l’on ne réussit pas à installer des éléments de protection du marché, au moins temporaires, qui pourraient être justifiés, soit au titre des économies d’émissions de GES que les légumineuses permettraient d’éviter en réduisant la fertilisation azotée, soit en arguant de la responsabilité de l’Amérique du Sud dans la déforestation.

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