Conseilagricole Un écosystème en ébullition
Transition agroécologique, instauration de la séparation conseil et vente pour les phytosanitaires, évolution des offres des acteurs historiques, émergence de start-up avec des solutions innovantes… La nébuleuse du conseil agricole, au sens large, est en pleine ébullition. Si la distribution reste numéro un chez les agriculteurs, elle pourrait se faire chahuter à l’avenir.Par Marion Coisne
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La distribution agricole souffre-t-elle du « syndrome Kodak » ? Le feu leader de la photographie, qui n’a pas résisté à l’arrivée du numérique, est l’exemple type de ces grandes entreprises bien installées qui ont échoué à faire évoluer leur stratégie. L’accompagnement des agriculteurs est en mouvement et, pour les coopératives et négoces, le phénomène est à surveiller comme le lait sur le feu. Benjamin Viguier, consultant au réseau Motival, reconnaît « un risque de perte d’influence de la distribution » (lire p. 29). Faire le panorama du conseil agricole est complexe : les données manquent, comme le regrette Pierre Labarthe, spécialiste du sujet à l’Inrae (lire ci-contre). Coopératives, négoces, chambres d’agriculture, Cerfrance, conseillers indépendants, nutritionnistes, Ceta, Civam, Gab… Nombreuses sont les structures à passer dans les cours de ferme. Selon notre enquête ADquation-Agrodistribution (voir infographie p. 27), en moyenne, les agriculteurs ont recours à quatre conseillers pour l’ensemble de leur activité. Pour 10 % des répondants, ce chiffre passe même à dix.
De nombreux acteurs se parlant peu
L’Académie d’agriculture mène depuis octobre 2021 une mission sur le sujet, pilotée par Frank Garnier, ancien de chez Bayer. Pour lui, le conseil agricole en France est marqué par une grande diversité, avec « de très nombreux acteurs, mais qui ne se parlent pas. Ils se marchent même un peu sur les pieds. Lors de nos travaux, nous avons réuni un certain nombre de parties prenantes dont les actions sont similaires. On leur a demandé s’il y avait une concertation entre eux. La réponse a été majoritairement non. » L’académicien plaide pour plus de partage. Tout comme Guillaume Dyrszka, à La Coopération agricole Occitanie, pour qui la séparation conseil et vente phytos a créé des tensions entre les acteurs. « Elle fait éclater le côté multipartenarial. Pourquoi mettre au pot commun ce que l’on ne peut plus utiliser ? », analyse le chargé de mission conseil coopératif-environnement, prenant l’exemple du BSV, les coopératives et négoces abondant en information « jusqu’à 60 % du dispositif ». Avec la séparation, les vendeurs ne peuvent plus y participer, comme pour l’animation des GIEE et des groupes 30 000. « Cela vient déstructurer les dispositifs partenariaux régionaux. On manquera de moyens partagés avec l’ensemble des acteurs du conseil. » Avec le risque que si chacun garde ses informations pour soi, les agriculteurs aient des sons de cloche différents, brouillant l’accompagnement.
Concurrence exacerbée
Alors, collègues mais néanmoins concurrents, comme dit la formule consacrée ? Selon les régions, les offres des acteurs se recoupent plus ou moins. « Parfois, c’est très séparé », analyse Pierre Labarthe. Dans un article sur la Saône-et-Loire (1) présenté en octobre 2010, Claude Compagnone, chercheur à l’Inrae, évoquait un « Yalta » du conseil phytosanitaire. « Tout ce qui est au-dessus du sol est géré par la coopérative, et en dessous par la chambre. » Mais le chercheur reconnaît que certains acteurs se diversifiant, comme les services de gestion vers le conseil agronomique, la situation pourrait évoluer vers plus de concurrence. Cette offre pléthorique sur tous les aspects de l’exploitation est-elle gage de qualité ? Pour Jean-Marie Séronie, agroéconomiste, « le système de conseil est moins performant qu’avant, qu’il y a dix ans. Le contexte pour les agriculteurs est plus compliqué, et le conseil n’a pas bougé, ne s’est pas adapté. Je ne dis pas que les conseillers ne sont pas bons, mais qu’il faut revoir le système de conseil. » Pour preuve pour l’agroéconomiste, l’écart se creuse entre les exploitations les meilleures et les moins bonnes en termes de performance technico-économique.
Outre des approches plus systémiques, de nouveaux besoins ont émergé, comme l’accompagnement à la certification HVE (haute valeur environnementale) ou sur le bas carbone. Et nombreuses sont les organisations, historiques ou nouvelles, qui se sont lancées sur le sujet. « Les agriculteurs ont de plus en plus de sources d’information différentes. Historiquement, elles venaient plutôt de la distribution et des chambres. Maintenant, c’est diversifié, et il y a de tout, c’est plus ou moins qualitatif, analyse Gaëtane Le Breuil, responsable environnement et appro à La Coopération agricole Métiers du grain. Je pense que l’écosystème du système du conseil va bouger, notamment avec l’arrivée de nouveaux acteurs. On le voit, par exemple, sur le carbone, avec une multiplication de start-up qui travaillent sur la valorisation des crédits et qui démarchent les agriculteurs. »
Euralis prospecte
La dernière grande réforme en matière de conseil, phytosanitaire en l’occurrence, c’est la séparation. Seule, avec Limagrain, à avoir choisi le conseil, Euralis propose cinq prestations graduelles, de la formule de base donnant accès à de l’information, à la gestion globale de l’exploitation. Son offre médiane de conseil individuel est choisie par plus de la moitié des souscripteurs. Le groupe assure se concentrer, pour le moment, sur son vivier de 6 250 adhérents et clients, parmi lesquels plus de 1 800 ont d’ores et déjà signé un contrat. « Nous avons pourtant des remontées de terrain qui prouvent qu’Euralis prospecte aussi en Ariège, où il devient force de proposition, notamment sur la vallée de la Lèze, témoigne Patrick Doumeng, responsable d’Agri Occitanie conseil (lire encadré p. 28). La concurrence qu’il nous impose est déjà bien présente, c’est ce qui a motivé la mise en place de notre Sica. Nous voulons rester maîtres du conseil sur notre territoire. »
Pour les tenants de la vente, une question se pose : le conseil stratégique phytosanitaire (CSP), obligatoire et incompatible avec leur activité, va-t-il faire entrer dans les fermes de nouveaux intervenants les challengeant sur le reste de leurs offres ? Une étude est en cours à La Coopération agricole sur le CSP. Pour le moment, « il se dessine une majorité de partenariats plus ou moins formalisés avec des chambres d’agriculture, explique Gaëtane Le Breuil. On voit aussi des salariés de coopératives qui veulent se lancer sur le conseil en indépendant. Les coopératives réfléchissent à comment les accompagner pour monter une structure en restant dans les limites de la séparation capitalistique. La question du modèle économique, compliqué pour le conseil, se pose aussi. » Même tendance chez les négoces : en Anjou, Pelé Agri conseil est en discussion avec une société de conseil existante, dont il préfère taire le nom. Elle ferait le CSP chez ses clients et, possiblement, le négoce monterait au capital, dans la limite des 10 %. Quant à Hexagrain, deux anciennes salariées ont monté leur propre société (lire p. 35).
La distribution reste centrale
En tout cas, Pierre Labarthe n’estime pas que le CSP va forcément entraîner une perte d’influence de la distribution, surtout pour les coopératives. « Elles sont centrales. Peut-être qu’à la marge certains acteurs vont réussir à rentrer. Mais il y a vraiment un lien de confiance, je ne vois pas la relation se rompre facilement. » De fait, la distribution reste plébiscitée, comme le montre notre enquête ADquation-Agrodistribution. Elle ressort toujours comme le meilleur des partenaires pour optimiser la conduite de la ferme, de loin en tête, malgré une nette érosion depuis 2014 et 2017. À la FNA, François Gibon se réjouit de ce résultat. Le directeur explique ce repli par le fait que « les agriculteurs multipliant le nombre de partenaires pour le conseil, le principal régresse ». « Pour un conseiller, c’est de plus en plus complexe de fournir toutes les prestations dont a besoin un agriculteur, analyse pour sa part Gaëtane Le Breuil. La distribution reste numéro un, mais il va aussi vers d’autres. Je ne le vois pas comme une perte de vitesse pour les coopératives. » Elle se dit interpellée par le fait que la réponse, « les agriculteurs eux-mêmes », perd du terrain, sans avoir vraiment d’explication à accorder. « Peut-être que les échanges en collectifs reculent. » Une hypothèse qui va dans le sens des observations d’Adrien Boulet, chez Trame (lire p. 31). Dans cet écosystème en ébullition, à la distribution de s’adapter si elle veut rester centrale demain.
(1) La fin d’un « Yalta du conseil » ? Le cas du conseil phytosanitaire en Bresse bourguignonne.
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CONSEIL AGRICOLE : UN ÉCOSYSTÈME EN ÉBULLITION
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