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Les entreprises affinentleur stratégie

Nouvelle année difficile pour les agriculteurs, marchés compliqués pour les semenciers, volonté de réduire la pression de la chimie, inquiétudes quant à l'avenir de la recherche... Face à ce nouveau contexte, les entreprises ne baissent pas les bras, mais se réorganisent, innovent et investissent.

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«La France, championne du monde ». C'est le thème que l'Union française des semenciers a choisi comme fil rouge de son assemblée générale, le 9 novembre dernier, à Paris. La France a décroché cet été le titre de championne du monde de football, mais elle l'est aussi en semences. En 2017-2018, elle a confirmé sa place de premier exportateur mondial de semences de grandes cultures. Cela ne l'empêche pas de rencontrer quelques difficultés sur son marché intérieur. « Les ventes de semences en France accusent à nouveau une baisse de 2 % cette année, constate Philippe Silhol, chef du service statistiques au Gnis, le Groupement national interprofessionnel des semences. Le marché est en recul pour la troisième année de suite. »

Une baisse plus marquée en céréales et maïs

Certaines espèces sont plus concernées que d'autres. Les céréales à paille et protéagineux ont vu leurs ventes chuter de 7 % lors du dernier exercice, et de 28 % depuis 2014-2015. « Cette année, les surfaces de céréales conso ont légèrement baissé et le taux d'utilisation de semences certifiées continue à s'effriter, poursuit le responsable du Gnis. Il est passé de 44 % l'an dernier pour le blé tendre à 43 %, cette année, mais il était de 57 % en 2013-2014 ! En orges, il est un peu plus élevé : 57 %. En blé dur, il atteint 60 %, mais il était monté jusqu'à 87 % il y a quelques années. » Malgré des plans de relance régulièrement annoncés, les ventes de semences en protéagineux sont toujours sur une tendance baissière. « Les ventes de semences de maïs ont également accusé un nouveau recul en France, de l'ordre de 8 % en valeur, remarque Philippe Silhol. Les oléagineux enregistrent aussi un retrait lié surtout à la baisse des surfaces de tournesol. En revanche, les betteraves sucrières ont gagné quelques points avec une très forte hausse l'an dernier, et les pommes de terre sont quasiment à leur record de ventes. » Les fourragères, qui ont beaucoup souffert depuis quelques années, reprennent du poil de la bête. Il faut dire que le marché des couverts végétaux est aussi dynamique. « Il représente désormais 35 % du marché des fourragères et continue de progresser », estime Florian Samson-Kermarrec, adjoint de direction à l'UFS.

La demande en semences bio se conforte aussi. « On dénombre désormais 11 000 ha de multiplication de semences bio, sur les 386 000 ha de multiplication en France », note Philippe Silhol.

Le colza très impacté par la sécheresse

« La campagne 2018-2019 s'annonce également assez délicate, reconnaît Florian Samson-Kermarrec. Elle commence avec un impact très fort des conditions climatiques sur le colza. Entre la diminution des intentions de semis, ce qui n'a pas pu être semé et ce qui va être retourné, le colza pourrait perdre 300 000 ha cette année, sur les 1,5 Mha implantés l'an dernier. » Pour lui, le blé et plus largement les céréales d'hiver devraient en bénéficier. Les semenciers ont l'impression cet automne d'un marché assez dynamique. « La sole blé tendre pourrait augmenter de 1 à 1,5 %, et celle d'orge d'hiver de 4 à 5 %, indique-t-il. Les cultures de printemps devraient aussi progresser, notamment l'orge de printemps. Après plusieurs années de baisse, le marché du maïs pourrait repartir à la hausse de 2 à 4 %, aussi bien en fourrage qu'en grain. Le tournesol pourrait aussi bénéficier de la baisse du colza et passer de 550 000 ha en 2018 à 580 000-590 000 ha. »

En ce qui concerne la production de semences, les surfaces implantées n'ont pas non plus été épargnées par la sécheresse historique que la France a connue cette année. « Les rendements en maïs sont en retrait, mais les producteurs sont néanmoins très proches de l'objectif, reconnaît le responsable de l'UFS. Cette situation devrait permettre de fournir un marché attendu en reprise tout en poursuivant l'assainissement des stocks. En fourragères, des cultures comme la luzerne ou les trèfles ont également souffert, mais il est encore trop tôt pour faire un bilan fiable de la campagne. Il n'est par contre pas impossible que l'on ait à faire face, en 2019, à des pénuries de semences sur certaines espèces que nous importons d'habitude. En Roumanie, par exemple, il semblerait que les productions de semences de crucifères fourragères atteignent seulement environ 20 % de l'objectif. »

La mutagénèse sur la sellette

Les agriculteurs attendent aussi beaucoup des semences pour réduire la pression de la chimie et adapter leurs systèmes à l'évolution climatique. Mais voilà, les espoirs que laissaient entrevoir des techniques nouvelles de sélection comme l'édition de gènes, pour obtenir des réponses rapides, semblent s'éloigner. La mutagénèse a fait l'objet d'une décision européenne cet été qui ne rassure pas les semenciers (lire ci-contre).

« Largement utilisée dans la sélection des variétés depuis plus de 60 ans, la mutagénèse joue un rôle essentiel dans la capacité des acteurs de la filière semencière à s'engager pleinement dans la transition agroécologique », insistait François Burgaud, directeur des relations extérieures au Gnis, au moment de l'annonce. La filière semences craint de devoir se priver de ces technologies nouvelles. Les semenciers allemands sont plus sereins. « Au sein du groupe Saaten Union, nous avons confiance dans nos gouvernants, nous pensons qu'ils sauront prendre les mesures qui donneront un cadre réglementaire favorable à la sélection végétale, souligne Guillaume de Castelbajac, directeur d'Asur Plant Breeding. La raison finira par l'emporter. »

Un foisonnement de pistes

Dans ce contexte, comment les entreprises semencières s'organisent-elles et affinent-elles leur stratégie ? En plus de la semence et des phytos, Bayer, BASF et Syngenta se positionnent comme fournisseurs de solutions complètes aux agriculteurs. Dekalb a multiplié les essais de comportement de ces variétés, ce qui lui permet de conseiller la densité optimale de semis. Dans le même esprit, KWS s'apprête à proposer aux agriculteurs un accompagnement s'appuyant sur les observations satellites.

Syngenta affine la connaissance de ses maïs ou de ses orges hybrides et poursuit ses recherches en blé hybride. Limagrain a annoncé tout récemment la signature d'un accord avec le MIT, Massachusetts Institute of Technology et Harvard aux États-Unis, pour accéder aux techniques d'édition de gènes. Dans la foulée de quelques précurseurs comme Lemaire-Deffontaines, les sélectionneurs sont de plus en plus nombreux à s'intéresser au bio et à proposer des gammes de semences bio. « Aujourd'hui, sur les 240 établissements producteurs français, une centaine produit des semences bio, précise Philippe Silhol. Ils n'étaient que 70 il y a cinq ans. » Les semenciers explorent aussi de nouvelles espèces comme le soja, l'épeautre, les lentilles, le chia. Ils regardent de très près tout ce qui peut accompagner la semence, la conservation, en faisant appel à des technologies nouvelles, les engrais et oligo-éléments ou biostimulants dans l'enrobage (voir p. 31). Dans les coopératives, le dossier semences est devenu l'un des plus stratégiques, et certaines n'hésitent pas y consacrer des investissements importants (lire p. 28 et 29). Dans le sillage de Soufflet, coops et négoces sont aussi de plus en plus nombreux à tester et à proposer des mélanges de variétés en céréales, solutions explorées dans un premier temps, à l'initiative des agriculteurs. La filière semences foisonne d'idées pour aider les agriculteurs à s'adapter aux évolutions de leur environnement.

DOSSIER RÉALISÉ PAR BLANDINE CAILLIEZ

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