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Parcours semé d'embûches

Pour les firmes, le chemin est long pour obtenir une AMM et les industriels pestent contre des délais qui n'en finissent pas de s'étirer. Le point sur quelques rouages qui ralentissent, ou qui ont ralenti, la machine à autoriser la mise sur le marché.

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C'est l'un des principaux points de récrimination des firmes phytosanitaires : les délais non tenus. « Pour l'inscription d'une substance active au niveau communautaire, entre le dépôt du dossier et l'approbation de la substance, trente mois peuvent s'écouler, explique Yves Morvan, directeur développement homologation et expérimentation, chez BASF. Pour l'autorisation d'un produit dans les Etats membres rapporteurs zonaux, après l'approbation de la nouvelle substance active, cela peut prendre six mois de plus. Pour l'autorisation du même produit dans les autres Etats membres de chaque zone, il faut encore ajouter quatre mois. » Sachant qu'il est possible de lancer une procédure pour un produit à partir d'un certain stade d'examen de la substance active.

Des retards importants

Mais ce n'est pas au niveau européen que le bât blesse, c'est au niveau national. « En France, la réglementation prévoit un maximum de dix-huit mois entre le dépôt du dossier et la décision, poursuit Yves Morvan. Dix mois pour l'Anses, pour l'évaluation et l'édition de l'avis qui est transmis à la DGAL, et deux mois pour la DGAL, pour la consultation publique et la signature de la décision. » Il faut y ajouter six mois qui correspondent au temps nécessaire pour que la firme réponde aux demandes de compléments faites par l'Anses. « Aujourd'hui, ces délais sont complètement dépassés : le temps moyen pour les derniers dossiers évalués se situe autour de trois ans avec une tendance à s'allonger encore, s'insurge Yves Morvan. Pour certains de nos dossiers, nous n'avons toujours pas d'avis de l'Anses après quarante mois d'attente. » « On n'est pas du tout dans les échéances réglementaires », abonde Philippe Michel, responsable technique et réglementaire de l'UIPP.

Des emplois plafonnés

Alors, où est le problème ? Au niveau de la DGAL, les deux mois sont parfois dépassés, engendrant notamment des « refus implicites », prolongeant les délais, expliquent les industriels. Des retards liés à des problèmes logistiques, mais aussi à des cas délicats comme les substances soumises à des critères d'exclusion au niveau européen, vouées à être interdites lors de leur prochaine révision. Faut-il autoriser des produits bientôt interdits ? Quant à l'évaluation, en amont, « il y a une inadéquation entre les moyens nécessaires et le personnel que l'Anses peut déployer », juge Eugénia Pommaret, DG de l'UIPP. Un manque de moyens financiers ? Pas vraiment, puisque les firmes payent des taxes lors du dépôt des dossiers. Donc plus il y a de demandes, plus il y a d'argent disponible. Le hic vient du fait que l'Anses ne peut pas embaucher à sa guise. Elle est soumise à un plafond d'emplois contraint par la RGPP (Révision générale des politiques publiques), en termes de masse salariale et de postes affectés aux dossiers, et ce, même si les taxes versées par les firmes pour le traitement des dossiers le permettent. Mais la situation devrait se débloquer sous peu. « Le plafond est fixé chaque année dans le cadre de la loi de finances, des discussions sont actuellement en cours, déclare l'Anses. Cette problématique a été comprise par le ministère de l'Agriculture. » Verdict fin 2014.

Parmi les facteurs expliquant la surcharge de l'Anses, concernant le nombre de dossiers à traiter, il y a la mise en oeuvre de l'évaluation zonale. C'était l'une des avancées du règlement 1107/2009. L'idée est de découper l'Europe en trois zones : Nord, Centre et Sud. La France appartient à la zone Sud, avec la Bulgarie, la Grèce, l'Espagne, l'Italie, Chypre, Malte et le Portugal. Dans chaque zone, une fois la substance active autorisée, un Etat est chargé de faire l'évaluation pour l'ensemble des pays, pour éviter de répéter le processus. Par exemple, si c'est en France, l'Anses va évaluer le produit et transmettre son rapport aux Etats membres qui peuvent poser des questions et faire des commentaires. Ensuite, la DGAL délivre l'autorisation et les Etats reçoivent le rapport de l'Anses, avec copie de la décision de délivrance. A eux par la suite de décider d'autoriser ou non le produit. « Sur le papier, c'est très bien, estime Philippe Michel, à l'UIPP. En réalité, cela alourdit beaucoup la procédure. »

Manque d'harmonisation

Eugénia Pommaret approuve : « On a sous-estimé les exigences de ce règlement. C'est beaucoup plus compliqué que prévu et c'est dommage, car il y avait de grands espoirs de simplification. » Les industriels dénoncent un manque de confiance entre Etats membres. « Chacun veut garder ses propres exigences, comme les EPI (équipements de protection individuelle) en France. Il n'y a pas de véritable harmonisation », précise Eugénia Pommaret. Autre conséquence : l'Anses se retrouve l'agence de référence pour la zone Sud et évalue par exemple entre 55 et 65 % des soumissions des nouvelles préparations. Et même si les firmes déplorent les retards, elles expliquent qu'il n'y a pas vraiment d'autres alternatives. « Dans les autres pays, les agences d'évaluation sont peu dimensionnées », ajoute Philippe Michel. Il estime que là où l'Anses peut traiter environ 150 dossiers, l'Espagne ou l'Italie en évaluent une dizaine. Quid des autres zones ? « La zone Centre marche un peu mieux, car il y a deux grosses agences, en Allemagne et en Angleterre », relève Philippe Michel, à l'UIPP.

Fin 2012, le processus d'obtention d'AMM phytos marque de nouveau le pas. En cause, la question des EPI. La question a fini par être réglée et désormais, « les firmes doivent faire des recommandations pour les EPI », explique Philippe Michel à l'UIPP. Récrimination des industriels : au niveau réglementaire, rien n'est clairement acté. « Le sujet est délicat, développe Isabelle Delpuech, chez Syngenta. Nous n'avons toujours pas de texte officiel sur lequel nous baser. » En pratique, les firmes émettent des recommandations dans les dossiers de demandes d'AMM à l'Anses, qui les modifie si besoin, ainsi qu'ensuite la DGAL. A la sortie, chaque produit est doté de consignes spécifiques concernant le port d'EPI, en fonction des enjeux de protection des opérateurs lors des différentes phases d'utilisation : préparation de la bouillie, pulvérisation, etc. Interrogé sur la rédaction éventuelle d'un texte réglementaire sur le sujet, Alain Tridon, sous-directeur de la qualité et de la protection des végétaux à la DGAL, répond que « chaque produit a ses particularités, c'est la firme qui le connaît le mieux, c'est donc à elle de proposer les EPI adaptés aux spécificités de son produit ». A priori, pas de texte réglementaire à venir.

Consultation du public

Courant 2013, nouveau point de blocage, avec la parution d'une ordonnance le 5 août relative « à la mise en oeuvre du principe de participation du public » concernant les décisions des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement. Y compris la délivrance des AMM pour les produits phytos. Cette disposition découle de la loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012. Finalement, après quelques mois, un processus de consultation publique est mis en place. Pour chaque produit concerné par cette consultation (c'est-à-dire, ceux pouvant avoir un impact significatif sur l'environnement), le projet de décision de la DGAL est soumis à la consultation du public, avec l'avis de l'Anses joint. Durant trois semaines, des observations peuvent être envoyées par mail à la DGAL. Si des craintes avaient été émises au départ, le processus semble bien fonctionner, sans trop d'allongement des délais. « Plus de 220 projets ont déjà été mis en consultation publique, chiffre Alain Tridon. La plupart du temps, il n'y a pas de contribution ou elles sont extrêmement limitées, par exemple des précisions de la part de firmes. Il y a aussi des oppositions de principe aux produits phytos. Bien sûr, s'il y a des remarques circonstanciées, nous en tenons compte, mais c'est peu fréquent. » Et demain, nouveau chambardement (lire p.10), la délivrance des AMM est transférée à l'Anses...

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