Réglementation : l'arrêté qui fait des étincelles
L'arrêté du 13 avril 2010 fait craindre des fermetures d'installations soumises à autorisation.
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Il était en gestation depuis plusieurs années. L'arrêté relatif à la prévention des risques présentés par les stockages d'engrais solides à base de nitrate d'ammonium soumis à autorisation au titre de la rubrique 1331, et les stockages de produits soumis à autorisation au titre de la rubrique 1332, signé le 13 avril 2010 (paru le 14 au JO), a fini par voir le jour. Et ce n'est pas du gâteau !
Goulot d'étranglement
" Cette réglementation stockage va dans le mauvais sens ", interpelle Gilles Poidevin. Selon le porte-parole des industriels, elle va sûrement avoir comme conséquence une réduction des capacités de stockages d'ammonitrate en France, empêcher un certain stockage de précaution dans la " supply chain ", et forcément engendrer un stockage plus important à la ferme, qui lui ne se fait pas toujours dans de bonnes conditions. D'où le paradoxe de cet arrêté. " Les capacités de stockage ont été divisées au moins de moitié depuis une dizaine d'années et cela ne va pas en s'améliorant ", remarque-t-il. En 2006, sur 120 installations soumises à autorisation ou à autorisation avec servitude, existant en France (on est en-dessous aujourd'hui), une petite trentaine appartenait à l'industrie (pour 850 000 t de stockage), près de 75 étaient localisées chez les coopératives (400 000 t) et une douzaine chez les négoces (35 000 t), le solde se trouvant chez les stockistes pour 90 000 t. En engendrant 2 à 3 M€ d'investissement minimal par site, la réglementation risque de rendre impossible la mise au norme aussi bien de certains entrepôts trop petits, ou mal situés, que de grands stockages industriels ou portuaires qui vont nécessiter des investissements considérables. " On va vers une spécialisation de quelques entrepôts d'ammonitrate de taille moyenne ", estime-t-il. Cet arrêté aurait déjà accéléré la décision de Yara France de fermer quelques entrepôts régionaux.
Mesures démesurées
" Le texte est contraignant, confirme Florent Varin, directeur Sécurité, environnement et risques industriels chez Coop de France-métiers du grain, mais on est parti de très loin. " En effet, des avancées conséquentes ont eu lieu pour les installations existantes. Le principe d'antériorité est pris en compte. Le bois n'est finalement pas banni des bâtiments sous réserve qu'il ne soit pas au contact des engrais (possibilité d'utiliser des bâches). L'interdiction de superposer des ammonitrates provenant de diverses usines est supprimée. Et même le bitume a encore droit de cité dans certains cas. Enfin, un allongement des délais de mise en conformité a été obtenu. L'arrêté a donc certes un impact qui a été réduit, mais il n'est toujours pas satisfaisant aux yeux de la profession, qui y voit des prescriptions disproportionnées par rapport aux améliorations qu'elles sont censées apporter en terme de sécurité. Et la circulaire d'application, censée donner plus de détails pratiques pour se mettre en conformité avec l'arrêté, n'est toujours pas sortie. Trois recours relatifs à cet arrêté ont donc été déposés cet été auprès du Conseil d'Etat. La profession juge que, d'une part, la réglementation française instaure une distorsion de concurrence et ne prend pas en compte les résultats d'une étude démontrant que les sols en enrobé bitumineux dans les installations de stockage d'engrais ne sont pas plus dangereux que les sols en béton. Les professionnels dénoncent également le manque de cadre en ce qui concerne la nature ou la fréquence des contrôles de l'administration. La réponse du Conseil d'Etat sera donnée d'ici à l'été 2012, mais " en attendant, les exploitants peuvent être mis en demeure, si les prescriptions ne sont pas respectées ", tient à rappeler Florent Varin.
Et des choses à surveiller, il y en a. Tout d'abord, un certain nombre de mesures organisationnelles concernaient des mises en conformité immédiates (consignes de sécurité, affichage, stockage de l'urée,...) ou dans les six mois après la parution de l'arrêté (nettoyage annuel des cases). Une formation spécifique aux risques particuliers liés à l'activité du site devra également être délivrée pour l'ensemble du personnel d'ici avril. Coop de France, qui estime cette mesure positive, espère rallier l'ensemble de la profession concernant la diffusion prévue pour février ou mars d'un support de formation sous la forme d'un film d'une durée de quinze minutes. Une sensibilisation qui pourra être enrichie par des formations plus complètes.
Traçabilité : l'usine à gaz
Quant à la notion d'" enregistrement de suivi en continu des engrais ", qui sous-entend explicitement que les exploitants doivent tenir à jour un état des stocks et des flux, elle est loin de faire l'unanimité. Les exploitants devront être capable au premier avril 2011 de fournir immédiatement les caractéristiques des engrais stockés sur le site (fournisseurs, types d'engrais, dates d'arrivée, quantités présentes et emplacements sur le site), sous 24 heures la liste des clients, leurs coordonnées et les quantités livrées, et sous 48 heures les coordonnées des transporteurs. " Au regard de diverses échéances, nous estimons que l'administration va renforcer ses contrôles cette saison, et que certains d'entre eux vont porter là-dessus ", met en garde alors Xavier Confais, responsable du service Sécurité environnement à Services Coop de France. "
D'autant que l'administration prendra en compte les résultats des contrôles pour peser sur le recours, poursuit Florent Varin. Il faudra d'ailleurs nous contacter si ces contrôles font l'objet de dérives. On sait qu'on ne peut pas avoir une traçabilité totale. " " Il faudra essayer de répondre de manière pragmatique à certaines dispositions, reprend néanmoins Xavier Confais. Sur nos sites soumis à autorisation, on doit être capable de dire que tel produit a été chargé tel jour, dans telle case, et qu'il est parti sur tel site satellite. " " J'ai eu un contrôle inopiné tout récemment, raconte un responsable de site. Les inspecteurs voulaient savoir si j'étais capable de prouver d'où provenait la marchandise. Cela a été simple pour moi, d'autant que j'ai un unique fournisseur. Pour autant, la traçabilité interne mise en place sur mon installation sera-t-elle suffisante ? Par ailleurs, il n'est pas évident de faire le point zéro de chaque case au moins une fois par an. Dans la mesure du possible, j'essaye de vider une case avant de remplir les autres, mais cela peut être compliqué s'il y a des réceptions et pas de sorties. " Pas sûr donc que tous les sites soient capables de fournir dans l'heure les entrées et les sorties de marchandises, d'autant que certains sites vivent quatre ou cinq rotations sur une année.
Enfin, quelques mesures techniques ont des conséquences financières conséquentes .C'est pourquoi la détection des fumées reste une pierre d'achoppement. L'arrêté souhaite ainsi la mise en place de systèmes de détection des fumées fonctionnant 24 heures sur 24. Etant donné la sensibilité de tels dispositifs, la profession y oppose un système qui ne fonctionne qu'en absence du personnel. De la même façon, l'arrêté exige des exutoires de fumée à commande manuelle ou automatique. La profession a alors demandé lors de la réunion de présentation du projet de circulaire que soient acceptés les dispositifs d'ouverture passive, ce qui est en bonne voie. On pourrait encore citer le renforcement des débits d'eau (jusqu'à 240 m3 pour 2 heures), qui va dans certains cas demander de se munir de cuves annexes. Bref, il y a de quoi faire…
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