Gérer la pression sociétale
Aujourd'hui, la prise de conscience collective contraint l'agriculture à changer et à trouver des alternatives aux produits phytosanitaires conventionnels. Mais comment les firmes appréhendent-elles ces nouveaux enjeux et mènent-elles leur réorganisation ?
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C'est « le début d'une guerre contre les pesticides ». Cette phrase assassine de Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique, au lendemain du premier round du fameux procès Roundup en Californie, résume parfaitement l'année qui vient de s'écouler. Les produits phytosanitaires sont en effet au coeur d'une tempête sociétale, médiatique et législative. Pas un jour ne se passe sans que l'un d'eux, au premier rang le glyphosate, ne soit mis sous le feu des projecteurs, et pas pour en faire l'éloge : intoxications, présence de résidus dans les couches pour bébés, traces de glyphosate dans les cheveux, et bien d'autres. La réponse de Frank Garnier, président de Bayer France, à cette déclaration de Nicolas Hulot, « la guerre est un mot fort (...), nous faisons partie de la solution », est ainsi passée inaperçue dans le tumulte médiatique, sous prétexte de lobby. Une chose est maintenant certaine, toutes les parties prenantes s'accordent pour dire qu'il faut trouver des alternatives, changer le système. Mais les solutions arriveront-elles aussi rapidement que voulu ?
Glyphosate et compagnie : le grand public s'en mêle
Si la notion de pesticides, et encore plus de produits phytosanitaires, est très floue et approximative dans l'esprit du grand public mais aussi des relayeurs d'informations, certains noms très techniques sont pourtant maintenant dans toutes les bouches : glyphosate, néonicotinoïdes « tueurs d'abeille », perturbateurs endocriniens ou encore SDHI. Ajoutez à cela les conspirations des lobbies et vous créez un climat anxiogène où les études scientifiques sont remises en question. Les mouvements antipesticides se multiplient à toutes les échelles, des ONG nationales et internationales aux mouvements plus isolés. « Nous voulons des coquelicots », l'un des mouvements marquants de cette année, réclame l'interdiction de tous les pesticides de synthèse. Autre démarche plus locale, les « pisseurs involontaires de glyphosate de l'Ariège » veulent s'attaquer à Monsanto pour avoir retrouvé des traces de glyphosate dans leurs urines. Dernier évènement en date, l'intoxication au métam-sodium de dizaines de personnes dans le Maine-et-Loire. S'il s'agit bien d'un cas isolé de mauvaises pratiques d'utilisation, cela porte préjudice à toute la filière. Le gouvernement a dans un premier temps suspendu l'utilisation des produits à base de metam-sodium jusqu'au 31 janvier 2019. Puis le 5 novembre, l'Anses a tranché avec l'annonce du retrait des AMM de tous les produits en contenant.
La France doit montrer l'exemple
Si la réglementation européenne en termes d'usages de produits phytos s'avère beaucoup plus stricte que dans bien d'autres régions du monde, notamment au Brésil où il fut question cette année de la libéralisation de leur usage, la France veut aller encore plus loin. Alors que la Commission européenne a réautorisé le glyphosate pour cinq ans en novembre 2017, Emmanuel Macron a maintenu sa position : le glyphosate sera interdit en France d'ici à 2021, sauf dans les cas d'impasses techniques. Si cela n'a pas été inscrit dans la loi, au grand dam du grand public, cette mesure est non négociable.
Mais si, dans le débat, le glyphosate est souvent mis en avant, c'est bien la réduction de l'usage des phytos qui est dans la ligne de mire du gouvernement. Pour cela, un « plan d'actions pour réduire la dépendance de l'agriculture aux produits phytopharmaceutiques » a été dévoilé fin avril 2018, avec un objectif de - 25 % en 2020 et - 50 % en 2025. Il est structuré en quatre priorités : diminuer rapidement l'utilisation des substances les plus préoccupantes, mieux connaître les impacts pour mieux informer, amplifier la recherche-développement d'alternatives et renforcer le plan Écophyto 2. Celui-ci comprend un « plan de sortie du glyphosate » pour lequel une « task force », pilotée par les deux ministres de l'Agriculture et de la Transition écologique, a été missionnée le 22 juin, au terme d'une réunion de travail rassemblant les syndicats agricoles, les instituts techniques et de recherche, les transformateurs, et même la grande distribution, mais pas les firmes phytosanitaires. Pour l'UIPP, « il est incompréhensible que les acteurs de la protection des plantes, c'est-à-dire les entreprises capables de fournir des solutions aux agriculteurs, ne soient pas conviés (...). Ce n'est pas la première fois que Stéphane Travert et Nicolas Hulot tiennent sciemment à l'écart nos entreprises déjà pleinement engagées dans la recherche de nouvelles solutions de protection des plantes. » Les États généraux de l'alimentation ont également rythmé l'année 2018. La séparation du conseil et de la vente des produits phytosanitaires, demandée par le plan d'actions et promesse de campagne d'Emmanuel Macron, a été adoptée, tout comme l'interdiction des 3R, remises, rabais et ristournes, et l'interdiction en France de produire, stocker et vendre des produits phytosanitaires non autorisés en Europe.
Guerre des chiffres
De plus, les résultats du plan Écophyto 2 ont montré une augmentation des usages agricoles de produits phytosanitaires entre 2009 et 2016, avec un nodu (nombre de doses unités) de 10,5 %, et une augmentation du nodu agricole triennal entre les périodes 2009-2010-2011 et 2014-2015-2016 de 12,4 %. Les résultats attendus n'étant pas au rendez-vous, un plan Écophyto 2+ devrait voir le jour en cette fin d'année. Il faut cependant remettre ces chiffres dans leur contexte, les conditions climatiques de ces dernières années ont en effet été très peu favorables à la réduction des usages. La tendance globale serait plutôt à une diminution des ventes de produits. Ainsi, « le suivi des quantités vendues montre une baisse de 10 % en 10 ans et de 30 % en 20 ans », affirme l'UIPP. Conclusion, tout dépend de quoi l'on parle et de comment sont présentés les chiffres.
Alternatives en construction
Le dispositif CEPP mis en place dans le cadre d'Écophyto 2 en juillet 2016 semble dans une bonne dynamique, avec 1,6 million de CEPP obtenus au terme de la deuxième campagne. Pour Christian Huyghe, président de la commission CEPP, « c'est la première fois que l'on généralise à tout le monde l'obligation de changer ». Il nuance toutefois cette apparente réussite : « C'est l'effet d'aubaine, ce qui veut dire que c'est le minimum de certificats que l'on puisse obtenir. » Les distributeurs, les « obligés » des CEPP, apparaissent volontaires malgré l'obligation et se tournent vers leurs fournisseurs. « Nous voulons de bons produits, on vous attend sur le biocontrôle et les solutions éligibles aux CEPP », s'est exprimé Bernard Perret, président d'Agrosud. En parlant de biocontrôle, c'est pour ce dernier « l'avenir de la distribution, du fournisseur et de l'agriculteur ». En effet, ce marché connaît une croissance explosive en France, avec un bond de 25 %, en 2016 et en 2017, pour atteindre un chiffre d'affaires de 140 M€, soit 5 % du CA de la protection des plantes.
Des contraintes à l'innovation ?
Les firmes sont aujourd'hui pleinement engagées dans l'innovation, mais regrettent des procédures d'autorisation toujours plus complexes. Trois cents études sont nécessaires pour l'évaluation d'un produit phytosanitaire. Ces réglementations ne seraient-elles pas contre-productives pour l'innovation ? C'est ce qu'une étude commandée par la commission spéciale du Parlement européen sur la procédure d'autorisation des produits phytosanitaires (PEST) mettrait en évidence concernant le règlement (CE) n° 1107/2009 sur la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Si les procédures pour les produits alternatifs ne sont pas non plus aisées, la loi EGAlim fixe l'objectif d'une stratégie nationale de développement du biocontrôle avec une réduction des délais d'évaluation des produits et un allègement des démarches administratives. Pour conclure, les alternatives arrivent, mais le temps demandé par l'innovation n'est pas celui attendu par une société qui s'impatiente...
DOSSIER RÉALISÉ PAR LUCIE PETIT
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