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Le plan protéines aiguise les appétits

L’enjeu protéique est central en nutrition animale. Notre dépendance reste élevée, même si la France se révèle un bon élève dans l’UE. Les fabricants cherchent la valeur ajoutée dans des filières locales et la durabilité des sojas importés.

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Le plan protéines végétales intégré au plan de relance gouvernemental est doté de 55 M€ par an sur trois ans pour la structuration des filières et les investissements aval. La nutrition animale voudrait bien en profiter, voire grignoter une part des autres 50 M€ du plan de structuration des filières agricoles et agroalimentaires. Quatre axes l’intéressent : la R&D pour accompagner les éleveurs vers plus d’autonomie ; le développement de filières de protéines locales ; les outils de transformation-valorisation de cette protéine locale ; le stockage pour tirer profit de gisements locaux d’opportunité. Valérie Bris, chargée de la coordination de ce dossier à LCA, compte une trentaine de dossiers dans la coopération hors déshydratation de luzerne. Du côté du Snia, on recense une dizaine de dossiers.

Local, local, local

Le plan de relance pourrait représenter une aubaine pour des projets industriels partagés de traitements de graines oléoprotéagineuses françaises. La garantie d’une origine France complète l’allégation non OGM, et conforte les investissements de toute la filière, de la semence aux traitements locaux de graines. Les différents plans protéines soutenus par l’État ou l’UE dans le passé n’ont en effet pas tenu dans la durée. L’effet yoyo d’aides ne peut assurer, sur le long terme, la rentabilité d’investissements industriels dans un marché mondial volatil. La trentaine de sites d’extrusion qui émaillaient le territoire à la fin des années 1990 ont quasiment disparu. La France reconstruit actuellement un maillage d’outils, notamment pour une production de tourteaux gras dit aussi tourteaux expeller. Ils viennent en complément de tourteaux « classiques » (déshuilés). Avec 50 000 t par an, cette origine France représente par exemple un peu plus de 10 % de la production annuelle du site Bunge de Brest.

La France compte 3 grandes catégories d’outils de traitement des graines. Les sites de trituration « classique » sont les plus volumineux : Bunge (Brest), Cargill (Saint-Nazaire et Montoir), Saipol (Bassens, Grand-Couronne, Le Mériot, Montoir, Lezoux, Sète), Valtris Champlor (Meuse) et Centre Ouest céréales à Chalandray (Vienne). Dans la catégorie des 6 000 - 40 000 t se trouvent des sites de production d’expeller comme Sojalim (Vic-en-Bigorre, 65), Extrusel (Chalon, 71), Ufab (Craon, 53), Soja Press (Sainte-Livrade, 47), Soleil de Loire (Ambillou-Château, 49), Oleosyn Bio (Thouars, 79), Valmo (Dun-sur-Auron, 18). D’autres projets sont annoncés, notamment dans le Grand Est. Enfin, plusieurs sites travaillent les graines par cuisson/extrusion comme les six unités de Valorex et de ses partenaires : Combourtillé et Châtillon-en-Vendelais (35), Ingrandes-sur-Vienne (86) avec Terrena, Avanne-Aveney (25) avec Chays Frères, Sainte-Radegonde (12) avec RAGT plateau central et Plounéventer (29) avec Tromelin.

Partenariats pour les territoires

« Une région comme la Bretagne est particulièrement dépendante en matière de protéines puisqu’elle importe près de 60 % des protéines destinées à sa nutrition animale et jusqu’à 95 % des matières premières riches en protéines, celles dont la matière azotée totale dépasse 16 % », explique Stéphane Deleau, directeur de Valorex. Son entreprise a cofondé le GIE SVP (Service de valorisation des protéines) avec Eureden et Tromelin. Ils veulent être moteurs pour une amélioration de l’autonomie protéique régionale et ont choisi de financer collectivement des recherches (225 000 €/an), en incitant les producteurs à semer du pois, de la féverole et du lupin (déjà 1 000 ha en 2020) dans le cadre d’une contractualisation, puis en les traitant le plus près possible (usines de Plounéventer, lire p. 63, et de Combourtillé).

La nutrition animale française va de plus en plus chercher la valeur ajoutée dans son amont tout en sécurisant ses appros. La graine dominante reste le soja. C’est le cas pour Sojalim, bâti par Sanders et Euralis en 2017 à Vic-en-Bigorre en cuisson-pressage sur des graines dépelliculées (25 000 t/an). Le même procédé a été retenu pour Oleosyn Bio, nouvel outil commun à Avril et Terrena installé à Thouars, d’une capacité de 35 000 t de tournesol, colza, soja bio, et qui devrait être saturée dès 2021.

Le marché de la nutrition animale française aurait un potentiel de 500 000 t de tourteaux de soja français, en additionnant le non-OGM et le bio, soit un besoin de 750 000 t de graines. Il faudrait atteindre 250 000 ha pour les produire. La progression des surfaces, grâce aux travaux des semenciers et des agronomes, mais aussi des filières qui contractualisent, s’inscrit dans cette trajectoire avec déjà 180 000 ha en 2020. Les deux secteurs sont porteurs et semblent plus solides, confortés cette année par la hausse des cours du soja. De 2009 à 2015, la demande en non-OGM était assez discrète, avec un seul distributeur, Carrefour, positionné clairement et principalement en volailles. Puis la filière laitière est venue renforcer la demande sous l’influence des marchés autrichiens et allemands qui ont entraîné l’UE. « Le consommateur français a vraiment pris la main », constate Michel Vernet, de Sojalim.

A priori, la crise sanitaire du Covid-19 devrait conforter ce besoin de réassurance en produits locaux dont bénéficiera l’amont des productions animales. Mais l’inquiétude peut émerger sur d’autres fronts : les discussions sur la loi de finances pourraient ainsi aboutir à l’interdiction de l’huile de soja dans les biocarburants en France. Cela rebattrait les cartes du soja français en bloquant un des éléments de l’équilibre de son marché. À noter aussi que les fabricants ont pris l’habitude de ne pas stocker leurs protéines en conservant leurs capacités pour la collecte de céréales, avec des positions assez courtes (2 à 3 jours) ce qui peut se traduire par des tensions lors des montées de prix comme cet automne.

Stop au « soja bashing »

Le tourteau de soja représente 11 % des matières premières de la nutrition animale, chiffre le Snia. La production française de soja contribue à la reconquête d’une certaine autonomie. Elle représente actuellement 14 % de la production européenne, cette dernière ayant triplé en sept ans pour atteindre 2,9 Mt/an.

En phase avec la stratégie nationale contre la déforestation importée (SNDI), le secteur a déjà réduit ses importations de soja de 16 % depuis 2010 grâce à un mix de solutions, sachant que, depuis, les fabrications d’aliments se sont contractées d’au moins 2 Mt et qu’une part de la baisse est donc mathématique. Le soja d’importation a aussi cédé de la place aux tourteaux secondaires (colza puis tournesol, dont les tourteaux d’Europe de l’Est) et à d’autres coproduits (drèches…). Mais les producteurs se détournent du colza et les biocarburants ont été malmenés durant le confinement, car les gens roulaient moins. Les volumes disponibles sont donc à surveiller.

« Le rôle de la nutrition animale est de valoriser ce qui est disponible. Cela commence donc par la bonne connaissance des matières premières : pour chacune, nous avons de 40 à 60 critères de connaissance », pointe François Cholat, président du Snia. Le secteur est capable de valoriser toutes les ressources, des gros gisements aux plus petits comme la cameline ou le sainfoin. L’université de Wageningen a travaillé, par exemple, sur les macro-algues des côtes de l’UE (Irlande, Écosse, France). Elle en confirme l’intérêt en « plantes entières » pour les ruminants, une pratique ancienne sur nos côtes, mais la meilleure valorisation des protéines est quand même obtenue après leur extraction : cette ressource reste donc davantage dans la catégorie des additifs. Quant aux protéines d’insectes, elles ne sont pas attendues comme matières premières en volume dans les espèces principales, mais risquent plutôt d’être des concurrentes pour l’accès aux gisements de drèches et de sons (consommés par les insectes).

Autre levier, l’efficience alimentaire a réduit le besoin protéique des animaux comme le traduit la baisse quasi continue des indices de consommation. Y contribuent les acides aminés pour réduire tout gaspillage de protéines. Les phytases, désormais généralisées, réduisent l’impact négatif des phytates des céréales sur la digestibilité des acides aminés. Et les extraits de plantes viennent ajouter à la gamme des solutions pour réduire l’inflammation dans le système digestif, source de surconsommation protéique.

Le besoin d’import

Au total, même si l’Hexagone est en avance du point de vue de son autonomie protéique (46 % d’import versus 66 % pour l’UE), ses ressources combinées n’effaceront pas le besoin de soja importé. La France est approvisionnée principalement par des graines d’Amérique du Sud (surtout du Brésil) mais aussi d’Afrique et d’Inde pour certains segments comme le bio. « Bien que l’essentiel des importations vienne du Brésil, les volumes importés par la France participent modérément à la déforestation ou à la conversion d’écosystèmes naturels. En effet, ces volumes importés représentent l’équivalent de 464 000 ha, dont environ 6 000 cultivés en remplacement d’un écosystème naturel. Si la moitié des imports en provenance du Brésil présente un risque de contenir un tel soja, celui-ci est concentré sur certaines provenances, puisque moins de 20 % de ces volumes concentrent 80 % des risques », explique le Snia.

« Notre ambition dans Duralim, c’est le zéro déforestation d’ici 2025, et nous souhaitons que cela devienne le standard du marché européen, car nous ne pesons guère seuls dans les 130 Mt produites par le Brésil », résume Jean-Francois Arnaud, président de Duralim, association pour la durabilité des approvisionnements de la nutrition animale française. « Adapter un plan d’approvisionnement de toute une profession à une demande sociétale a forcément un coût », insiste-t-il. Les deux études financées par l’association cette année (Earthworms et Céréopa) ont chiffré le surcoût de l’impact d’un approvisionnement durable de 20 à 79 M€. Cela représente entre 0,6 et 3 €/t d’aliments, selon la filière. Face aux 0,5 % de résultats maximum de ses entreprises, la nutrition animale cherche une valorisation de ces efforts.

Durabilité et décarbonation

« Dans le cadre de deux grandes politiques publiques, au niveau européen avec Farm-to-Fork et français avec le plan de relance, le secteur de l’aliment du bétail est désormais reconnu comme apporteur de solutions à l’élevage. Il est important de préserver nos moyens de production par la reconnaissance de ses services et aménités positives sur le réchauffement climatique, la déforestation et la décarbonation. Tout est en effet lié », explique Valérie Bris, directrice de LCA Nutrition animale. Elle milite pour la reconnaissance de la décarbonation générée par la nutrition animale au sein des filières. Les résultats de sa première étude de faisabilité visant à financer le surcoût du soja par des crédits carbones devraient être connus début 2021.

Les trois syndicats de la nutrition animale français participent aussi aux réflexions au niveau européen via leur structure commune, Eurofac, dont le nouveau président est Laurent Ronce (Lorial). La Fefac a ainsi lancé, lors de son récent congrès, sa charte de la durabilité en nutrition animale en réponse aux objectifs du Green Deal. Elle s’appuie notamment sur la méthode qu’elle a déployée en 2018 sur la mesure des performances environnementales des aliments pour animaux et sur la base de données GFLI (Global Feed LCA Institute) qui précise les valeurs de décarbonation permises par le choix des matières premières.

La durabilité est un des piliers de la RSE, autre dossier fédérateur pour la nutrition animale. Le Snia vient de créer une commission dont l’objectif est de construire une boîte à outils (Respons) pour les entreprises de la nutrition animale.

Quid des ventes en direct élevage ?

Environ 1 Mt de tourteaux de soja sont vendues en direct élevage. Une tendance favorisée lors des prix bas des tourteaux, comme l’an dernier. En 2019, les ventes en l’état ont ainsi progressé de 12 % par rapport à 2018, ne serait-ce qu’en Bretagne. 2020 présente un autre visage, même si la flambée des prix que les opérateurs craignaient durant le 1er confinement en raison des difficultés de transport n’a finalement pas eu lieu. Mais les indices ont commencé à grimper cet été. Ainsi, l’IPPA (panier des matières premières spot) est passé de 150 au 6 août à 159 mi-septembre puis 172 fin octobre. Le soja a même dépassé 440 €/t début novembre, contre 330 un an auparavant. Le taux de couverture des fabricants d’aliments est suffisant pour que la répercussion ne soit pas immédiate sur leurs prix de vente, mais le marché ne devrait pas s’alléger avant le printemps. Les éleveurs pourraient donc revenir aux achats d’aliments cet hiver, soutenant alors les protéines « secondaires ».

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