Sécuriser le sourcing, un vrai enjeu
L’approvisionnement en protéine reste l’un des points clés à sécuriser pour les fabricants d’aliments, mais les additifs sont aussi devenus des enjeux géostratégiques.
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L’année 2019 a été calme sur le front des matières premières, stables et à des prix raisonnables, après une année 2018 particulièrement chahutée. Les cours sont à la baisse depuis le début de l’année, sauf un sursaut en juin qui a vu une augmentation ponctuelle du prix des céréales, du soja et du tournesol. Après l’été, les professionnels enregistrent une légère augmentation. Feedsim Avenir, qui suit les approvisionnements des usines françaises, l’estime à 3 €/t pour la période septembre-novembre. Et selon l’association, après un second trimestre en croissance pour l’incorporation du maïs, le blé a repris de l’intérêt fin 2019 au détriment du maïs qui restera probablement, malgré une petite tendance à revenir en octobre-novembre, loin de ses incorporations record. Le blé, très disponible, resterait donc à un niveau élevé dans les mois à venir. Côté tourteaux, le soja semble stable en volume, et serait même un peu en hausse en octobre, puis stable ensuite. L’année a bien démarré pour le tourteau de tournesol, mais à partir de mai, le colza a davantage eu les faveurs des formulateurs. L’automne marque un mouvement inverse avec un colza en retrait et un tournesol qui repart à la hausse.
L’indice Ipampa, qui reflète l’évolution du prix de vente à la sortie des usines d’aliments, montre bien, comparé à l’indice des prix des matières Ipaa, le rôle de modération assuré par l’industrie de l’alimentation animale. L’augmentation a été tempérée en 2018, mais se répercute donc encore sur le premier semestre 2019.
La France s’inscrit ainsi dans les grandes tendances mondiales, comme le rappelait Arnaud Petit, d’International Grain Council, lors du congrès Feed Additives Europe d’Amsterdam, le 26 septembre. « Avec une progression chez les principaux exportateurs, la récolte de blé est au moins au niveau de la moyenne des cinq dernières années partout, sauf en Australie et au Kazakhstan. La situation mondiale est donc confortable avec des disponibilités de haut niveau. La demande en alimentation animale est soutenue par cette vaste disponibilité et par des prix compétitifs. » La situation est assez similaire en orge, dont les fabricants devraient aussi être friands cette année. C’est moins le cas en maïs, la disponibilité mondiale se contractant d’environ 3 % en raison de la récolte américaine en retrait. Mais avec la moindre demande mondiale de l’alimentation animale, la consommation sera aussi en baisse par rapport au pic de l’année précédente et les prix ne devraient donc pas exploser.
Le plan protéique, un serpent de mer
Avec l’attente toute l’année de l’annonce détaillée du plan protéique national, les fabricants d’aliments français restent de fait un peu au milieu du gué en termes d’approvisionnements protéiques, même si les grandes tendances sont là. Le soja d’importation est ainsi clairement devenu un « grand méchant », d’autant plus que les incendies en Amazonie et Afrique équatoriale accentuent la perception négative que les consommateurs en ont. Les taux d’incorporation baissent régulièrement. LDC amont annonce ainsi un recul de 25 % du soja dans les formules des poulets conventionnels en quelques années.
En termes de disponibilité mondiale, deux éléments contradictoires s’affrontent : la contraction de 14 % des surfaces semées en soja aux États-Unis et les rendements en baisse s’accompagnent ainsi d’une réduction de la demande chinoise, liée à la fièvre porcine africaine. Du côté du colza, tous les principaux producteurs européens sont en fort retrait. « Les perspectives du commerce international restent très incertaines dans l’attente d’une vision plus claire des besoins de la Chine, tous les autres acteurs sont trop petits pour compenser ses mouvements », résume Arnaud Petit.
Mieux connaître les flux
Les sources de données sont parfois incohérentes pour livrer une vision claire des flux. Ainsi, le tourteau de soja pouvant, ou non, être considéré comme un coproduit, la part de ce dernier représente 39 % des appros de la nutrition animale quand on l’inclut dans cette catégorie, ou 26 % si on l’exclut (source Reseda). Cette clarification est l’un des objectifs du projet « Flux de matières premières » du GIS Avenir élevages coordonné par l’Inra, démarré en 2017. Les premiers résultats, disponibles sur le site du GIS, confirment le poids de l’élevage dans la valorisation de toutes les ressources et de nouveaux résultats sont attendus fin 2019.
Outre les volumes, l’origine est un point majeur de la transparence exigée de plus en plus par l’aval de l’alimentation animale. Les membres de Duralim précisent par exemple que le tiers des tourteaux de colza, hors Hexagone, vient d’Allemagne, de Belgique, de la mer Noire, du Canada, d’Espagne et d’Australie. Pour le tournesol, les origines sont plus resserrées : Ukraine, Belgique, Pays-Bas, Allemagne. Le tourteau de soja provient quant à lui à 98 % du Brésil, des États-Unis et d’Argentine, et le tourteau de palmiste est surtout malaisien. Mais comme le constate Duralim : « Certains de ces pays jouent le rôle de plateforme par laquelle transitent des tourteaux en provenance d’autres pays d’importation. L’information de l’origine réelle des matières premières n’est pas toujours communiquée à l’utilisateur final. » Quand ils importent, ses membres s’appuient sur des circuits spécifiques (bio, non OGM par exemple) ou des crédits « durabilité » du type RTRS ou RTPO. Les lignes directrices établies par la Fefac pour les achats de soja durable sont intégrées aussi en France. La non-déforestation en Amazonie est un acquis.
Le 9 juillet dernier, Duralim a d’ailleurs opérationnalisé sa propre démarche « 100 % d’approvisionnements durables avec un objectif de zéro déforestation d’ici 2025 », en signant un partenariat avec la fondation Earthworm. En janvier 2018, l’association s’est en effet engagée pour parvenir à zéro déforestation brute à l’horizon 2025, et à zéro conversion d’écosystèmes naturels à l’horizon 2030. Deux objectifs compatibles avec la stratégie nationale de lutte contre la déforestation publiée par la France en novembre 2018 et confortés par les incendies majeurs dans les zones tropicales l’été dernier.
Le non-OGM pas si clair
Reste la réalité des marchés. Par exemple, celui du non-OGM interpelle. En effet, traditionnellement la prime non OGM par rapport à un soja standard s’enflamme lorsque la moindre difficulté touche une zone de production ou qu’une filière d’élevage bascule vers le non-OGM. Or, constate Christophe Callu Mérite, de Feed Alliance, président du comité durabilité de la Fefac : « Nous devrions assister à une flambée des prix, puisque l’Inde a subi une terrible mousson et offre 15 % de volumes en moins, sans compter l’appel de ses graines par l’Iran qui souffre de l’embargo américain aussi pour le soja et sa propre consommation intérieure. L’Inde ne sera donc pas présente cet hiver dans l’attente de la récolte brésilienne. Mais la prime ne bouge pas. Cela montre soit que le non-OGM fait plus de buzz que de volumes, soit que les filières ont trouvé d’autres ressources. C’est le cas avec des tourteaux de substitution, comme le colza dans les filières lait et le tournesol Hi-Pro en volailles, et d’autres origines comme le soja africain. » Il note que chez les éleveurs laitiers, le concept de sourcing local monte, avec le choix du colza.
En parallèle, la production de soja français compatible avec les prix de la nutrition animale avance. En 2018, 30 000 t de graines sur les 400 000 t récoltées en France étaient certifiées selon la charte de Terres Univia « Soja de France ». L’interprofession en attend 325 000 t pour 2025. La nutrition animale française consomme bien en priorité des matières premières nationales ; selon la dernière enquête Duralim auprès de ses membres, 72 % sont d’origine France, et 10 % de cette fraction sont toutefois constitués de graines importées puis transformées en France.
Le bio, un casse-tête
C’est le cas, par exemple, pour le bio qui continue à croître et qui est servi par de nouveaux outils industriels, comme la nouvelle usine dédiée que la Cavac est en train de construire à Fougeré (Vendée), en raison de la saturation de son usine historique de Boupère. La sécurisation des approvisionnements en bio, segment fortement en hausse puisqu’il devrait dépasser 580 000 t en 2019, est un casse-tête et les alertes sur des matières premières importées ont servi de leçon. Ainsi, les investissements se multiplient, tant en céréales que pour sécuriser les protéines. L’Ufab (Le Gouessant) fait office de pionnier. L’entreprise a dédié son atelier de Craon à la production de tourteaux gras de soja, à partir de graines française mais surtout africaines. Dès 2011, elle a monté cet atelier en Mayenne, puis elle s’est lancée dans la construction d’une filière de production de soja bio avec des producteurs au Burkina Fasso. L’Ufab utilise une partie de l’huile issue de son atelier, la filière aquaculture de la coop en utilisant aussi. Nutriciab a également choisi de dédier un site à la trituration à Ambillou-Château (Maine-et-Loire), en 2017, pour alimenter sa propre usine d’aliments bio (ex-Mercier) à Beaulieu-sous-la-Roche (Vendée), reprise en 2012. L’outil Soleil de Loire est détenu en partenariat 55/45 avec la coopérative de Thouars (CAPL). L’ancienne huilerie de graines de colza et tournesol a été totalement refondue dans l’objectif de produire du tourteau de soja avec près de 2 M€. « Cet outil sécurise nos approvisionnements, tant en quantité qu’en qualité pour le tourteau et l’huile de soja bio », explique Matthieu Billot, directeur de site. L’unité ne travaille qu’en bio, de la graine française et de la graine issue d’une filière africaine certifiée, régulièrement auditée par l’acheteur de l’entreprise. « Nous travaillons à diversifier un peu notre sourcing, mais sans nous perdre dans une multitude de fournisseurs. »
Avril et Terrena ont de leur côté annoncé, le 27 septembre dernier, leur association pour créer Oleosyn Bio, filière biologique complète à partir de graines françaises, avec un site de trituration à Thouars (Deux-Sèvres) d’une capacité de 30 000 t/an. Sa première ligne (double pression) pour les graines de colza et de tournesol démarrera début 2020, la seconde (soja) étant attendue pour fin 2020. Les tourteaux seront valorisés par les sites Terrena et Sanders, les huiles visant avant tout l’alimentation humaine.
Du côté d’Axéréal, les graines de soja non OGM collectées sont triturées depuis trois ans dans son propre outil, Valmo, près de Bourges, dans la logique du tourteau déshuilé de colza que la coopérative produisait déjà pour ses volailles.
Les additifs aux mains de peu d’acteurs
La question de la vitamine B12, qui n’est plus produite que par fermentation à partir de microorganismes génétiquement modifiés et est difficilement disponible pour l’alimentation animale bio, a soulevé là encore la question de la réalité des marchés. Force est de constater la fragilité des approvisionnements, non seulement en vitamines mais aussi en acides aminés, pointent les observateurs européens. Un nombre restreint d’acteurs produit en effet chaque spécialité. Seules la vitamine A, la vitamine D3, la niacine et la méthionine disposent de capacités de production significatives, hors de Chine (plus de 40 % de la capacité mondiale). Certaines comme les vitamines C, B12, et B7 sont même exclusivement produites dans l’empire du Milieu. Outre l’aspect de la dépendance de tout un pan de la production agricole mondiale, européenne et donc française, cette hégémonie interroge. La première question est de nature sanitaire. Est-ce qu’un virus comme celui de la fièvre porcine africaine peut être véhiculé par ces produits ? Il semble que non, mais la question reste en suspens, notamment quand des gélatines sont incorporées, même si le traitement thermique semble alors suffisant, ou pour les supports sur lesquels les molécules actives sont placées en Chine. La seconde est de nature réglementaire : c’est bien dans des vitamines B12 chinoises, prétendument sans OGM, que l’agence de sécurité britannique a mis en évidence des fragments d’OGM non autorisés dans l’UE et, par nature, non autorisés dans les aliments bio. La troisième est économique : des experts ont ainsi chiffré l’impact de la guerre économique sino-américaine à 15 % du coût de la supplémentation pour les élevages porcins américains.
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