Explorer l’économie de la fonctionnalité
À l’heure où le déploiement des biosolutions peine à passer la seconde, l’économie de la fonctionnalité pourrait bien constituer un levier d’adoption. En repensant la logique de vente non plus autour du produit, mais du résultat, ce nouveau modèle économique pourrait lever plusieurs freins.
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Et si le déploiement des biosolutions ne résidait pas seulement dans les produits eux-mêmes, mais dans la manière dont ils sont vendus aux agriculteurs ? C’est tout l’enjeu de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération, un modèle économique en plein essor dans le milieu agricole. Déjà éprouvée dans d’autres secteurs, comme celui de l’énergie, du bricolage ou encore de la pneumatique (où l’on vend des kilomètres plutôt que des pneus), cette approche s’applique désormais à la protection des cultures.
« Un coût à optimiser »
Et elle bouleverse le modèle historique : il ne s’agit plus de vendre des bidons de produits phytosanitaires, mais de garantir un résultat, en l’occurrence des hectares sains et, en cas d’échec, une indemnisation à l’agriculteur.
« Aujourd’hui, on se rend compte, à travers les enjeux de la transition, qu’il y a un véritable problème de fond : concilier la performance économique basée sur la vente de volumes avec des objectifs environnementaux qui reposent, eux, sur la réduction et l’optimisation des intrants. L’économie de la fonctionnalité permet de basculer vers une logique où le produit phytosanitaire devient un coût à optimiser, et non plus une valeur à maximiser », explique Yohann Béréziat, responsable du projet chez BASF.
Depuis quatre ans, la firme développe Xarvio Healthy Fields, une offre de protection fongicide des céréales fondée sur l’économie de la fonctionnalité. En 2025, 30 000 ha ont été couverts par celle-ci, dont 11 000 chez Océalia. En clair, la coopérative s’engage contractuellement à garantir au moins 80 % de feuilles vertes après floraison. Si cet objectif n’est pas atteint, une indemnisation allant jusqu’à 150 €/ha est versée à l’agriculteur. En contrepartie, il s’engage à respecter les consignes fournies par le distributeur qui lui indique quand traiter, avec quel produit et à quelle dose, via les déclenchements de leur OAD au cours de la campagne.
« Ce dispositif nous permet d’amener de l’innovation à nos adhérents sur le marché de la protection des cultures, souligne Kévin Larrue, directeur stratégie innovation chez Océalia. Nous l’avons expérimenté en 2024 et déployé cette année à plus grande échelle. »
Apporter de la visibilité
Cette dynamique de transformation n’est pas isolée. Soufflet agriculture, partie prenante d’un groupe de réflexion sur l’économie de la fonctionnalité animé par BASF, a également franchi le pas. Le négoce a lancé en novembre 2024 son propre modèle baptisé GreenLeaf, sur blé et orge. Cette année, 3 000 ha ont été engagés via cette offre qui repose sur les mêmes principes : un coût fixe à l’hectare, un objectif de performance (80 % de feuilles vertes au stade fin floraison) et une indemnisation en cas d’échec (180 €/ha pour un taux de feuilles vertes compris entre 60 et 80 %, et jusqu’à 300 €/ha pour un taux en dessous de 60 %).
« Avec l’économie de la fonctionnalité, nous offrons une sécurité sur la partie technique puisque nous accompagnons la prise de décision, et une sécurité sur le résultat puisque l’agriculteur nous délègue 100 % de sa prise de risque, explique Alexandre Hallier, chez Soufflet. De plus, nous lui apportons de la visibilité en transformant une charge variable en une charge fixe et en lui garantissant un résultat en fin d’année. Le coût à l’hectare dépend des régions, mais il est sensiblement équivalent à une protection fongicide classique et est indépendant de la pression maladie de l’année. Via cette offre, nous cherchons l’optimum technico-économique pour l’agriculteur. »
Et si le modèle « fait sens économiquement », selon Frédéric Villier, l’agriculteur reste toutefois sceptique : « En tant que chef d’exploitation, il est difficile de déléguer tout le pouvoir de décision. Pour ceux qui maîtrisent bien leur système, il y aura des réticences. »
Mais au-delà de la performance économique, ces modèles émergents s’inscrivent dans une démarche d’optimisation des intrants. « Nous devons raisonner l’usage des produits phytosanitaires, car plus les agriculteurs en consomment, plus nous investissons, sans les facturer davantage. C’est le principe même de l’économie de la fonctionnalité. Avec cette démarche, l’agriculteur peut ainsi diminuer l’utilisation des produits phyto sans en assumer seul le risque », souligne Alexandre Hallier.
Intégrer les biosolutions
Et si l’économie de la fonctionnalité séduit sur les fongicides, pourrait-elle s’étendre aux biosolutions ? Selon notre enquête Agrodistribution-ADquation, 37 % des agriculteurs interrogés seraient prêts à utiliser des biosolutions en achetant des hectares sains. « L’enquête montre que les principaux freins à l’utilisation des biosolutions sont la réticence, le doute quant à leur efficacité, et, dans le climat économique actuel compliqué, la difficulté d’investir sans certitude de retour, analyse Kévin Larrue. Dans ce contexte, nous avons intérêt à rassurer nos adhérents sur la performance de ces solutions et sur les bénéfices qu’elles peuvent leur apporter. Et donc adopter une approche fondée sur une promesse de résultat. » Ce chiffre grimpe à 54 % pour ceux qui utilisent déjà des biosolutions. « Je suis content de voir que plus d’un utilisateur sur deux est prêt à basculer vers une logique d’hectares sains », commente Yohann Béréziat. Dans cette optique, BASF tout comme Soufflet travaillent à intégrer les solutions de biocontrôle dans leur offre et espèrent y parvenir pour 2026.
En effet, le biocontrôle semble compatible avec cette logique, car son efficacité peut être mesurée visuellement (pression ravageurs, maladies). Le cas des biostimulants, lui, reste plus complexe. « Pour les biostimulants, cela soulève une vraie question de mise en œuvre : comment mesurer le résultat ? Car contrairement aux fongicides où l’on mesure les attaques maladies sur le feuillage, l’effet des biostimulants est visuellement compliqué à mesurer, constate Kévin Larrue. C’est, à mon sens, l’un des verrous qu’il faudra lever pour permettre un déploiement des biostimulants via cette approche. »
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