La Centrale remonte fièrement la pente
Quatre ans après des audits pessimistes, la coopérative La Centrale, située dans les Pyrénées-Orientales a retrouvé l'équilibre, sans casse ni heurts.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Certains chiffres peuvent faire peur. Pour une coopérative d'appro de taille moyenne, la fermeture des trois quarts des dépôts et le licenciement de plus de la moitié des collaborateurs avaient en effet de quoi en effrayer plus d'un. Ainsi, il y a quatre ans, certains ne donnaient pas cher de la peau de La Centrale, à Perpignan, mise sous administration judiciaire. Une coop dont l'activité s'écoulait pourtant sur un long fleuve tranquille, issue du regroupement en 1942 des très nombreux syndicats agricoles présents dans chaque village des Pyrénées-Orientales (PO), sous le nom de Sccaaac, société coopérative centrale d'achats et d'approvisionnement agricoles en commun, couramment appelée La Centrale des PO. Elle exerce son activité sur ce seul département, pays des vignes, des pêches, des salades et des tomates, mais également d'élevage extensif de qualité.
Il n'empêche que dans la plus solide et paisible des familles, un accident de parcours est toujours possible. La Centrale a connu le sien dont elle a failli ne pas se remettre. La cause partait pourtant d'une idée généreuse, celle de diversifier les activités de la coopérative pour mieux aider les adhérents et palier les soubresauts du monde des appros des cultures dites spécialisées, que sont la viticulture, le maraîchage et l'arboriculture fruitière.
Diversification malheureuse
Sur son territoire très spécifique, La Centrale n'a pas d'activité de grandes cultures, ni de collecte. L'activité Lisa (libre-service agricole) est de son côté très concurrencée par les jardineries privées. « Les PO vivent depuis longtemps à part égale de l'agriculture et du tourisme, mais depuis quelques années, le tourisme prend le dessus », estime Roger Majoral, président de La Centrale, pour évoquer l'urbanisation croissante et la perte des surfaces agricoles dans ce département. C'est donc presque logiquement qu'en avril 2000, la coopérative saute sur l'occasion de se diversifier dans le machinisme agricole. La Centrale rachète le Ciam (Comptoir industriel et agricole du midi), une belle entreprise de sept concessions de matériel agricole en Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. Mais après deux campagnes honorables, la mévente de tracteurs et une gestion défaillante ont eu raison de cette filiale dont le bilan devient affreusement négatif. En 2006, le Ciam est revendu et La Centrale mise sous administration judiciaire. La coop doit couvrir 3,7 M€ de pertes. Elle perd la moitié de ses capitaux propres et doit recourir à un plan social dont le DG et le directeur financier sont les premières victimes. Seule la filière élevage constitue une diversification réussie : elle a permis à La Centrale de proposer une gamme d'aliments qui correspond aux démarches qualité entreprises par les coopératives locales bovine et ovine. Un secteur dynamique, malgré une conjoncture pas toujours favorable, qui exploite les deux tiers du département et permet quelques installations.
« Je ne critique personne et j'assume, analyse aujourd'hui Roger Majoral. Le machinisme n'était simplement pas notre métier et deux régions, pas notre périmètre d'action. » Fataliste, peut-être, mais pas résigné, le conseil d'administration de La Centrale n'a pas voulu se plier aux seules préconisations d'audits très pessimistes. Proche du président de la coopérative Audecoop dans l'Aude (devenue Arterris depuis), Roger Majoral demande à ce dernier de bien vouloir « partager » avec La Centrale l'un de ses directeurs.
Audecoop à la rescousse
C'est ainsi que Jacques Subreville, alors directeur d'Audecoop, est appelé à s'occuper de la gestion de La Centrale, à raison de deux jours par semaine. Une mission qu'il va assumer avec brio. Bien sûr, il y a eu une restructuration, mais seulement dix personnes ont quitté la coop et cinq sites ont fermé. « Quelques ajustements », commente le président. « Malgré la crise, nous avons pris conscience du grand besoin de conserver la proximité dans cette coop où près d'un tiers du chiffre d'affaires est réalisé avec de petits agriculteurs », explique Jacques Subreville, désormais DG de La Centrale. En deux campagnes, ce dernier a redressé la barre et permis de sortir des bilans largement positifs à La Centrale. « Cet accident de parcours ne mettait pas en péril toute la structure, poursuit Jacques Subreville. Même si La Centrale a beaucoup perdu, ses métiers de base étaient bons, ses compétences importantes et son tissu agricole fidèle. Nous bénéficions d'environ 50 % de parts de marché sur nos métiers. On fermera plus tard des dépôts si on constate une déprise agricole, mais il n'était pas utile d'aller plus loin tout de suite. » « A La Centrale, il y a une grande diversité de petits métiers et de spécificités. Cela aurait été une grave erreur de suivre les stratégies des grands groupes qui vont dans le sens de l'uniformisation de l'appro », renchérit Roger Majoral.
En s'étant spécialisée depuis longtemps sur la fourniture d'intrants pour tous les producteurs des PO, La Centrale bénéficie effectivement d'atouts défiant la concurrence. Cette dernière ne peut alors se démarquer que sur le prix, alors que la coop dispense un service de proximité personnalisé. L'accompagnement des investissements en irrigation et plasticulture en est un bel exemple. Tout comme les prestations dispensées par le laboratoire Médit Labo. Dans cette région où les sols et l'eau ont fortement besoin d'être analysés pour nourrir des productions aux débouchés très pointilleux, ce service est devenu indispensable pour nombre d'adhérents. Et même le journal interne, L'Agri, se veut incontournable. Filiale de La Centrale, « le journal d'informations agricoles et rurales de l'Aude et des Pyrénées-Roussillon » est depuis 1947 un véritable organe de diffusion d'information agricole fortement attendu chaque jeudi dans toute la région.
Solidarité et combativité
Et si ces atouts ont aidé à sortir de la dépression, Jacques Subreville n'en oublie pas l'avenir de La Centrale : « Avec l'appui du conseil d'administration et en forte concertation avec les syndicats nous avons réussi le pari de sauver l'entreprise. Maintenant, il faut aller plus loin et faire fructifier ce qui marche bien. Filialiser certaines de nos compétences pourrait désormais nous aider à investir quelques départements voisins. »
D'un seul souffle, adhérents, salariés, administrateurs et dirigeants de la coop ont donc su rebondir sur tout ce qui était possible de faire pour stopper l'hémorragie financière et remplir les caisses. Et même ce qui pouvait être une contrainte hier devient une opportunité aujourd'hui. « Le tourisme qui se développe sur l'arrière-pays amène de plus en plus de gîtes et de centres équestres avec de nombreux chevaux dont les propriétaires viennent acheter les aliments à La Centrale », constate par exemple Roger Majoral. Ce dernier reconnaît, par ailleurs, que le patrimoine immobilier important de la coopérative a beaucoup aidé La Centrale à se sortir de la dépression, en apportant des garanties et la confiance des banques. Mais le président estime surtout que le dynamisme et la volonté des jeunes producteurs présents dans le conseil d'administration de La Centrale ont beaucoup participé à l'optimisme ambiant. « L'assemblée générale de 2007 m'a beaucoup marqué, se rappelle Roger Majoral. Malgré l'annonce des pertes, la salle a applaudi mon discours. Il y a quelque chose de fort dans cette maison ! »
Roger Majoral souligne également que si La Centrale a réussi a remonter la pente, c'est aussi sans doute parce qu'en plus d'être la seule coopérative des PO, elle est plus que cela sur ce territoire : « Dans notre département a forte ruralité, il y a La Poste, le Crédit Agricole et La Centrale. Cela génère forcement une grande solidarité quand un de ces trois piliers est en danger. » Et cet ancien champion de rugby a 13 de conclure avec humour cette belle histoire par une allusion a ce sport local très controverse en d'autres terres : « Dans une région ou cohabitent en bonne entente, les deux rugbys (le 13 et le 15), le conseil d'administration a puise dans l'esprit de ce sport pour faire face a l'adversité.»
Laurent Caillaud
Pour accéder à l'ensembles nos offres :