VU À L'ÉTRANGER La distribution face au Brexit au Royaume-Uni
Le Brexit va entraîner de nouvelles stratégies dans les exploitations agricoles au Royaume-Uni qui vont toucher directement et durablement les distributeurs.
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Le 23 juin 2016 restera à jamais une date historique dans l'histoire du Royaume-Uni avec le vote du Brexit. L'agriculture risque d'être particulièrement affectée par ce choix. Distributeurs et conseillers privés sont d'ailleurs très inquiets. Ils sont persuadés que le gouvernement ne versera jamais l'équivalent des aides Pac aux agriculteurs dans l'avenir. Dans ce pays où la séparation du conseil et de la vente des intrants s'est faite naturellement depuis longtemps, les coopératives ont disparu depuis des décennies à cause de l'individualisme. Aujourd'hui, se côtoient des entreprises spécialisées dans la vente d'intrants et d'autres dans la collecte. Le fait d'avoir délégué plus de 60 % de l'achat des intrants à des conseillers privés a multiplié les centrales d'achat. Les marges ont fondu, jusqu'à moins de 10 % pour les phytos, 5 % pour les fertilisants, et cela ne risque pas de s'améliorer. La concentration des vendeurs d'intrants, déjà effective, va donc se poursuivre.
Digitalisation et nouveaux services
Eddy Swadon d'Agrii, l'un des leaders du marché des intrants est très clair : « Le Brexit va permettre de moderniser l'agriculture en éliminant les agriculteurs qui survivaient grâce aux aides sociales de l'Europe. Le président de la NFU (National Farmers Union), Meurig Raymond, estime que plus de 25 % des exploitations risquent de disparaître, alors que cette profession est déjà bien minoritaire avec seulement 183 000 fermes. Pour les intrants, il ne fait aucun doute que les groupements d'achat vont poursuivre leur progression. L'entreprise de distribution qui n'offrira pas d'autre service que la vente pure d'intrants, est appelée à disparaître. » Face à ce constat, seul un changement radical est possible passant par la digitalisation ou encore la vente d'intrant rendu-racine, en fertilisation comme en traitement, comme le pratique Agrii qui a investi massivement dans du matériel agricole à cet effet.
Une nouvelle politique de l'offre qui fait réagir les conseillers privés. « Notre gamme de services est très large de l'agronomie aux préconisations sur les intrants, précise Allen Scobie, le charismatique leader des conseillers privés, qui habite en Ecosse. Nous sommes très vigilants, car nous devons lutter contre les entreprises de distribution qui veulent au travers de nouveaux services plus globaux vendre des intrants à prix élevés, en cachant la transparence sur le prix du produit. »
Le Brexit, Allen Scobie n'en revient toujours pas. « Il y a de l'inconscience et un mépris inacceptable pour une Europe qui a permis à notre agriculture de se développer. A court terme, on sent une satisfaction générale car la dévaluation de la livre a permis de valoriser le blé à l'export, mais le réveil va être très difficile. » En outre, le sentiment qui prédomine est que la grande majorité des votants du Brexit n'ont aucune idée des conséquences de leur geste. L'agriculture au Royaume-Uni est formée de grandes exploitations dont une bonne partie est détenue par des investisseurs non agricoles. Ces propriétaires ont délégué l'opérationnel et les résultats à des gérants à qui ils demandent un maximum de rentabilité.
Nouvelle attente sur la gestion du risque
Ces gérants font appel à des conseillers privés dans quasiment tous les domaines, l'agronomie, la gestion, le patrimoine, l'achat de matériel, mais assez étrangement jusqu'à présent, peu pour la mise en marché qu'ils préfèrent gérer eux-mêmes. « Nous sommes très sensibles aux économies sur l'achat des intrants, mais assurons nous-mêmes la valorisation de notre collecte », confirme Tim Breitmeyer, président de la puissante Country Land Association, regroupant 30 000 propriétaires de fermes anglaises. Le Brexit va probablement changer ce phénomène, car bien vendre va devenir vital. « Un changement profond est en train de s'opérer. Sans aides européennes, il y a une nécessité d'augmenter la rentabilité, en gérant au plus juste, les positions de marché, ce qui amènera les farmers à se former aux risques », constate Didier Nedelec, directeur général d'ODA qui a rencontré Tim Breitmeyer en mars dernier. « Les exploitants leaders ont pris conscience que la notion des risques est devenue prioritaire, au même titre que les rendements. » Présent depuis 2009 au Royaume Uni, ODA saisit cette opportunité pour développer les mêmes produits qu'en France. « Depuis six mois, c'est impressionnant le nombre exponentiel de demandes de formation. Nous allons probablement doubler le nombre d'exploitations qui travailleront avec nous, cette année », prévient Didier Nedelec. L'entreprise n'utilise d'ailleurs pas de moyen marketing particulier. Le bouche à oreille est la meilleure des publicités entre agriculteurs leaders, notamment durant les périodes de chasse.
Répondre aux demandes de la société civile
Paradoxalement Tim Breitmeyer avoue qu'il ne renie pas totalement les principes de l'Europe. « Si nous voulons être aidés par le gouvernement, il faut savoir mériter l'aide que l'on nous donne et répondre aux demandes des consommateurs et des citoyens. Les règlements européens avaient du bon. » Le pays est avant tout un producteur de matières premières brutes qui doit faire face au marché mondial. Au Royaume-Uni, il n'existe pas ou peu de circuits courts, trouver des sources de valeur ajoutée va être bien délicat pour les agriculteurs.
Christophe Dequidt
Allan Scobie, leader des conseillers privés qui habite en Ecosse, n'en revient toujours pas de ce vote : « Le réveil va être très difficile. »
C. DEQUIDT
Pour Eddy Swadon d'Agrii, « l'entreprise de distribution qui n'offrira pas d'autre service que la vente pure d'intrants est appelée à disparaître. »
C. DEQUIDT
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