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Le négoce à la une Les Ets Suplisson en pleine transmission

R. Fourreaux

Dans ce négoce du Loiret, Alain Suplisson, 61 ans, est en train de passer la main à son fils Martin, 26 ans. Ce dernier compte bien poursuivre la valorisation du blé entamée à travers la démarche CRC, de surcroît en circuit court.Par Renaud Fourreaux

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Avant une conférence de presse organisée par Vert l’avenir en janvier sur la démarche CRC de ce négoce du sud-est du Loiret, Suplisson ne s’était quasiment jamais ouvert aux journalistes. Alain Suplisson, actuel président, le reconnaît, il a toujours été un peu méfiant : « Mais si Martin prend aujourd’hui l’initiative de communiquer auprès du grand public, je le suis. » « Ce n’est pas pour se mettre en avant, mais pour montrer ce que l’on fait, avance Martin Suplisson, directeur général. Même ici, les gens se demandent souvent quel est notre métier. » C’est pourquoi il pensait organiser une journée portes ouvertes avant la moisson. L’épidémie de Covid-19 en a décidé autrement, mais ce n’est que partie remise.

Passage de témoin en 2022

Père et fils sont aujourd’hui à un moment crucial dans la vie de l’entreprise : le passage de relais de la troisième à la quatrième génération, d’Alain à Martin. Ce dernier est arrivé dans l’entreprise en 2017 après un BTS Agronomie, suivi de la formation diplômante Agricadre (responsable en gestion et commerce pour l’agriculture) en deux ans à l’Esa d’Angers. Et il va déjà bientôt tenir la boutique, laquelle tire ses origines de l’après-guerre. À cette époque, Eugène Turpin, le grand-père d’Alain Suplisson, se rend de ferme en ferme avec une batteuse pour procéder à la récolte des grains puis se met à son compte pour acheter les céréales aux agriculteurs. En 1965, cette affaire familiale installée à Coullons est cédée à sa fille et son gendre, Bernard Suplisson, qui fera construire un ensemble de silos pour entreposer les céréales collectées. En 1977, arrive Alain, qui prendra les rênes en 1988 de cette entreprise située aux confins de la Sologne et du Berry, au cœur d’une zone de polyculture-élevage à orientation laitière (bovins et caprins). « Une étape importante a été franchie cette année-là, se souvient Alain, on a quitté notre petite graineterie de 20 m2 pour construire les bureaux actuels sur le terrain de l’ancienne gare. » Sur ce site, en complément de cette activité agricole, et en dehors de la SAS Suplisson, créée en 1991, Isabelle Suplisson, la sœur d’Alain, monte une jardinerie indépendante.

Alain a appris sur le tas dès 1977, une fois son bac en poche. « J’ai eu la chance d’être accompagné pendant des dizaines d’années par mon père, décédé en 2018, avec qui je me suis toujours très bien entendu. La période de tuilage sera beaucoup plus courte pour Martin, qui volera de ses propres ailes d’ici deux ans. » Il est prévu en effet qu’en 2022, Martin prenne complètement les rênes. Il devra apprendre en accéléré aux côtés de son père. Alain, ensuite, se mettra en retrait. S’il répondra toujours présent pour « donner un coup de main d’exécutant », il ne veut plus être décisionnaire, car « les responsabilités, c’est pesant, financièrement et humainement ». Martin en est bien conscient : « C’est tous les jours, dès qu’on ouvre la porte. » Et pourtant, tient à souligner Alain, « on est entouré de collaborateurs responsables, motivés, pour certains dans l’entreprise depuis plus de vingt ans, sur lesquels on peut compter dans les moments difficiles, comme cette crise du Covid-19. C’est l’avantage d’être petits. »

Toujours indépendant en collecte

Une particularité du négoce est d’avoir un pilier fort en collecte, qui représente 2/3 du chiffre d’affaires, contre 1/3 pour l’appro. « On maîtrise notre collecte de manière indépendante », affirme le duo, qui vend les grains soit par l’intermédiaire de courtiers, soit directement aux acheteurs. Le blé, majoritaire, part en meunerie, en alimentation animale (à l’usine Sanders locale) et à Rouen pour l’exportation lorsque le marché est porteur. En deuxième position, le maïs est expédié au Benelux et chez Sanders. Derrière, les orges sont destinées à la malterie et à l’exportation, et le colza part à l’usine Saipol du Mériot.

Autre singularité : ce sont les patrons qui se chargent de l’achat et de la vente des céréales, laissant aux deux TC la gestion des appros, dans le souci de garder contact avec la clientèle : « J’ai toujours eu à cœur de connaître et de rester proche des agriculteurs qui travaillent avec nous, insiste Alain Suplisson, et les conversations vont bien souvent au-delà du commerce. »

Si les deux dirigeants se font accompagner par un cabinet comptable, la transmission concrète du métier est travaillée en interne. Martin profite de l’expérience d’Alain, qui est bien conscient que son fils est d’une autre génération et peut voir les choses autrement, ce qu’il considère comme un atout. « Moi, je suis papier crayon, lui est davantage calé dans les nouvelles technologies », indique Alain dans un échange complice avec son fils. « En tout cas, on s’entend très bien, et même si on n’est pas toujours d’accord, on est dans un esprit constructif tous les deux. »

Martin est persuadé que ce métier est fait pour lui : « Je suis né dedans, je fais les moissons depuis que je suis en droit de travailler et mon parcours d’étudiant m’a conforté dans le fait que je voulais travailler dans le grain. » Depuis un an, il a affaire directement aux acheteurs et aux courtiers, et prend en charge les deux tiers de la commercialisation des céréales, aux côtés de son père. Parmi ses ambitions, il souhaiterait approfondir le risque prix face à la volatilité des cours, et travailler encore plus la qualité sanitaire des grains. Il sera particulièrement attentif à préserver les bénéfices de la démarche CRC (Culture raisonnée contrôlée) que l’entreprise a mise en place depuis 2015. Les Ets Suplisson sont en effet engagés dans cette filière en partenariat avec le moulin des Gaults, voisin de 10 km, à Poilly-lez-Gien. Appartenant à la maison Foricher, ce moulin ne travaille que des blés CRC et est approvisionné à 40 % par le négociant de Coullons.

Un quart des blés en CRC

« La démarche CRC dans l’entreprise est partie du constat avec mon père que l’on vendait beaucoup de céréales à l’étranger, on était sur des logistiques longues, alors qu’on avait à côté le moulin des Gaults qui vend ses farines à des boulangeries artisanales locales. On a adapté la filière CRC au niveau local, résume Martin Suplisson. Du blé au pain, entre les parcelles de nos 45 agriculteurs fournisseurs de CRC et les boulangers, le trajet n’est parfois que de 20 km. » Le négoce collecte 5 000 à 6 000 t de blé CRC, soit un quart de sa collecte de blé tendre. « Chaque année, on produit uniquement ce dont le moulin a besoin en quantité et en qualité. » Le meunier se dit lui-même atypique dans ses demandes : du goût, du jaune, de l’extensibilité. Cela conduit à faire produire une quinzaine de variétés, dont certaines, au potentiel plus limité, qui sont remises au goût du jour. La prime à l’agriculteur est comprise entre 10 et 30 €/t selon la variété justement.

« Le CRC, ce n’est plus le même métier, affirme Martin Suplisson, on privilégie la qualité à la quantité. Valoriser en local le travail de tout le monde, c’est quand même mieux que de faire du blé standard. » « Cela fera la sixième récolte en 2020, et nous n’avons jamais déclassé un lot », se félicite Xavier Coutant, responsable qualité. Un important défi est néanmoins à relever dès les prochains semis : le sans résidu de pesticides, exigé par le GIE CRC pour la récolte 2021. Le négoce a déjà relevé avec brio le défi du sans insecticide de stockage en investissant en 2019 dans l’extension de 5 000 t (4 cellules) d’un de ses sites construit en 2011 à 2 km du siège, extension dédiée au CRC et rendue sans insecticide de stockage. « Nous ventilons à l’air naturel et nous travaillons avec de la terre de diatomée (SilicoSec) sur les silos vides, informe Martin Suplisson. Surtout, nous misons sur la propreté des cellules. »

Fini les insecticides de stockage

Des pratiques qui ont essaimé sur les deux autres silos du groupe, l’historique au bourg de Coullons et celui de Saint-Firmin-sur-Loire, racheté à un agriculteur il y a cinq ans. « Tout cela nous a permis, depuis la récolte 2019, de ne plus appliquer aucun traitement insecticide de stockage. » L’entreprise projette aussi de mettre en place une fosse de réception dédiée au blé CRC pour garantir la sécurité sanitaire. À suivre, une fois les répercussions de la crise sanitaire du Covid-19 passées justement.

© Renaud Fourreaux - « Le CRC, ce n’est plus le même métier, affirme Martin Suplisson, actuel DG, on privilégie la qualité à la quantité. Valoriser en local le travail de tout le monde, c’est quand même mieux que de faire du blé standard. »

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