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VU À L'ÉTRANGER Moulin Eshete : du blé subventionné par l'Etat éthiopien

Le moulin de Tadese Eshete, ici avec son chef meunier Salomon Bayou, emploie 20 personnes et produit aujourd'hui 10 500 t de farine, soit 40 % de sa capacité.C. DEQUIDT

En Ethiopie, la majorité des moulins fonctionne grâce au blé importé par le gouvernement. Témoignage de Tadese Eshete à la tête d'une minoterie à Addis-Abeba.

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Tadese Eshete est un chef d'entreprise éthiopien heureux. Dans ce pays pauvre, outre ses activités d'origine dans le bâtiment, il a réussi à créer un empire composé d'un moulin d'une capacité de 25 000 t de farine par an, d'une exploitation agricole de 1 340 ha en trois fermes sur les hauts plateaux et d'une étable de 400 vaches laitières en production. L'aventure agricole a commencé en 1995 avec le moulin : « Les besoins du pays étaient tels que j'ai senti une opportunité. » Tadese Eshete débauche Salomon Bayou qui était chef meunier dans une minoterie d'Etat. Celui-ci a les compétences et le réseau pour élaborer le projet. Il se rend en Chine pour acheter une technologie et construit le moulin au coeur d'Addis-Abeba, la capitale. Les premiers blés sont écrasés début 1996.

Démarche filière au départ

Précurseur dans le pays, Tadese Eshete pense immédiatement à la notion de filière pour approvisionner le moulin en blé. En Ethiopie, la terre appartient à l'Etat qui la loue par bail emphytéotique de 39 à 99 ans. Avec l'aide de Brook Tekle, il dépose un projet pour une première ferme de 770 ha sur les hauts plateaux. « Nous avons prouvé aux banques le bien-fondé de la démarche et elles ont suivi », précise Brook Tekle. Grâce à son professionnalisme, les résultats sont au rendez-vous. Tadese Eshete décide alors de s'agrandir et accède à trois nouvelles fermes pour une superficie totale de 1 334 ha. Puis, Brook Tekle réussit à le convaincre d'investir dans une ferme d'élevage laitier, car le son peut être un excellent complément d'aliment pour l'élevage. « Avec les céréales de la ferme, plus quelques fourrages et surtout le son du moulin, nous avons de belles performances dans l'élevage. » Et le lait est valorisé auprès d'industriels locaux.

Changement de stratégie

En 2005, Tadese Eshete change de stratégie. « En faisant nos calculs de rentabilité, nous avons vite compris que nous allions gagner plus d'argent en vendant sur le marché local notre blé, plutôt que de le moudre. En effet, le prix du blé en ferme est soutenu par l'Etat. Il était acheté 400 €/t en janvier 2016. » Il entre alors en contact avec l'Etat pour être référencé comme moulin capable de fournir à bas prix les boulangers de la capitale. La contrepartie est simple. « Nous achetons le blé que l'Etat importe dans le port de Djibouti à un prix fixe de 239 €/t, que nous sommes obligés de revendre en farine à 346 €/t », précise Salomon Bayou. Pas de négociation, les marges sont connues de tous. L'Etat peut ainsi fournir de la farine à prix acceptable pour la population. Le moulin est devenu un simple prestataire de services. La seule inconnue est le prix de la logistique car le moulin prend à sa charge le transport du silo de stockage de l'Etat au moulin.

Du matériel chinois

Salomon Bayou est satisfait car le process de fabrication de la farine reste le même. « Je ne connais pas l'origine des blés. D'une livraison à une autre, la qualité peut changer mais il n'y a pas trop de variations. » Ne lui parlez pas de protéines, gluten ou encore indice de Hagberg, il n'en a jamais entendu parler. Tout se fait par expérience. Les chinois lui ont appris, il y a maintenant quinze ans à faire de la farine. Rien n'a changé depuis. Il connaît ses trois lignes de production par coeur.

Le moulin écrase chaque année 14 400 t de blé pour produire 10 500 t de farine qui sont ensuite ensachées par 50 kg, avec un logo « farine subventionnée par l'Etat ». Salomon Bayou aimerait bien en faire plus : « Le moulin tourne à 40 % de ses capacités, car nous sommes dépendants du bon vouloir de l'Etat. » Aucun problème de débouchés. La demande est telle que la production est vendue avant même d'être fabriquée. A Addis-Abeba, Il y a 58 moulins qui fonctionnent de la même façon. Celui d'Eshete emploie 20 personnes avec un salaire journalier de 5 € par jour. Une manière aussi d'assurer de l'emploi.

Christophe Dequidt

Le prix du blé en ferme est soutenu par l'Etat. Il était acheté à 400 €/t en janvier 2016.

C. DEQUIDT

La capacité d'écrasement est de 25 000 t par an, avec six broyeurs par ligne. Mais le moulin n'écrase que 14 400 t de blé importé, et dépend du bon vouloir de l'Etat.

C. DEQUIDT

Stockage des sacs de 50 kg, avec la mention « farine subventionnée par l'Etat », avant départ sous 48 h dans les boulangeries.

C. DEQUIDT

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