VU EN INDE Amul, moteur de la révolution blanche
Première entreprise agroalimentaire indienne, la coopérative laitière Amul est une institution inscrite dans l’histoire du pays. Elle est à l’origine de la création du mouvement coopératif et porte une mission fondamentale de stabilité politique.
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En 1946, à l’initiative des Anglais, le consortium international privé laitier Polson s’implante industriellement au cœur d’une importante zone productive à Anand, dans le Gujarat. Rapidement, les producteurs se sentent exploités et s’organisent. Un mouvement pour une collecte mutualiste est créé, village par village, pour mieux valoriser le lait. Un homme politique local, Tribhuvandas Patel, en prend le leadership. Ainsi est né ce qui deviendra Amul et qui chassera Polson de son territoire, le tout dans le contexte très trouble de l’indépendance.
Un modèle et une étincelle
La réussite et l’engouement sont tels que, dans les années 1970, le Premier ministre souhaite que ce modèle soit le guide de la révolution blanche, le plus grand programme de développement laitier au monde. C’est le début du mouvement coopératif. Il se répand dans l’ensemble du pays. Gujarat Cooperative Milk Marketing Federation Limited, plus connue sous le nom d’Amul, en sera le porteur et deviendra la première coopérative mondiale laitière avec son approvisionnement quotidien de 35 millions de litres de lait grâce à ses 18 600 coopératives locales et 18 syndicats régionaux. Pas question d’ouvrir le capital à des investisseurs, Amul reste la propriété de ses 3,64 millions d’adhérents qui perçoivent chaque année plus de 70 % du résultat.
Le modèle coopératif n’est pas la seule raison du succès d’Amul. Il a fallu une étincelle. Comme souvent dans les réussites industrielles, elle est venue de l’innovation technologique. En 1954, le Docteur Dalaya découvre le process qui permet d’industrialiser le lait de bufflonne au même titre que celui de vache. Une découverte majeure dans une Asie où les buffles représentent 45 % du cheptel. Le secret est encore aujourd’hui bien gardé, permettant à la coopérative de se différencier de ses principaux concurrents.
Cette découverte va permettre à Amul de s’imposer et de s’implanter dans l’ensemble du pays. La coopérative va développer une politique pédagogique en aidant les producteurs à être plus performants. Il y a tant à faire, seuls 1 % des élevages ont plus de 20 vaches. Comme l’illustre Sandev Singh, président de l’une des 18 600 coopératives locales, celle de Nandsa dans le Rajasthan : « J’ai 5 vaches, mais grâce à la coopérative, nous progressons chaque année. Nous sommes fiers de produire aujourd’hui 3 500 litres par vache laitière et par an. Elle nous apporte des conseils, un service vétérinaire et nous vend des compléments alimentaires pour la nutrition de nos animaux. »
La logistique et la chaîne du froid sont essentielles. Même si, au niveau national, 83 % du lait est autoconsommé, chaque village a son petit laboratoire d’analyses. Ainsi, une petite partie du lait est collectée puis regroupée dans des tanks plus importants d’où il partira pour les usines de production. Tous les jours, des centaines de camions tracent la route pour approvisionner les usines, dont la plus importante reste celle d’Anand, où tout a démarré.
Une diversification remarquable
Construite en 1954, cette première usine a été complètement rénovée en 1999 avec les techniques les plus modernes, répondant aux normes sanitaires, économiques et de sécurité, pour faire face aux défis du XXIe siècle. À l’origine, l’entreprise produisait essentiellement de la poudre de lait. Le spectre des produits s’est progressivement élargi avec du fromage, du beurre, des boissons lactées, des crèmes glacées, des boissons gazeuses, du chocolat, du ghee et des friandises traditionnelles indiennes. Amul est incontournable dans le pays mais aussi à l’export avec 70 destinations différentes, principalement les États-Unis, les pays du Golfe, Singapour, les Philippines, l’Australie et quelques pays européens. « L’entreprise tient absolument à conserver une seule marque, Amul, pour l’ensemble de sa gamme », insiste Sonia Devanshi, responsable de la communication institutionnelle à l’usine de Anand. « Nous avons été récompensés les vingt dernières années par de très nombreuses distinctions du gouvernement indien pour nos performances à l’exportation, dont le prix national de qualité Rajiv Gandhi “Best of All”, en 1999. »
La division Chocolat est l’un des exemples les plus marquants. Ses trois usines sont implantées à proximité du site laitier d’Anand. On y fabrique des chocolats de renommée internationale, blanc, au lait et noir, avec tous les ingrédients possibles, noisettes, épices…, et même du chocolat à base de lait de chameau. Le lait est 100 % indien. Le cacao et les ingrédients proviennent des « meilleurs pays producteurs » de la planète. « Notre principal objectif est d’être irréprochable sur la qualité, pour se différencier sur le marché international, même si 50 % de notre production reste en Inde », précise Patodia Sir, le directeur industriel. « Nous avons aussi une politique de transparence. Pour cela, nous recevons sur place plus de 600 visiteurs quotidiens, 365 jours par an, notamment des écoles. » Mais le principal défi reste la compétitivité, la hausse des cours des matières premières importées étant jugée exponentielle.
« Une responsabilité immense »
Amul poursuit inexorablement son développement, avec une progression régulière de son chiffre d’affaires, parfois à deux chiffres. Les défis sont multiples dans ce pays de plus de 1,4 milliard d’habitants, où tout ce qui concerne la nutrition et l’environnement est très sensible. « Nos rôles sociaux et sur la durabilité nous amènent à être un élément fondamental de stabilité politique, écrit Shamal Patel, président d’Amul, dans son rapport moral 2024. C’est une responsabilité immense. »
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