Login

VU AU SÉNÉGAL Les Grands moulins de Dakar, clef de voûte alimentaire

Situés au coeur du port de Dakar, les Grands moulins couvrent 65 % des besoins en farine du marché sénégalais.

Véritable institution nationale, onzième entreprise du Sénégal, les Grands moulins de Dakar sont au cœur de la sécurité alimentaire du pays. Sous contrôle d’un conglomérat américain depuis 2017, ils disposent d’une assise financière solide et peuvent se permettre de s’engager sur la voie de la responsabilité sociétale.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Les Grands moulins de Dakar, première industrie meunière du Sénégal, sont aujourd’hui l’une des plus grandes entreprises agroalimentaires d’Afrique de l’Ouest. Leader depuis sa création, en 1947, elle couvre 65 % des besoins en farine du marché sénégalais et s’est également diversifiée dans l’aliment pour le bétail, la volaille et l’aquaculture.

Le pain, base de l’alimentation

Le pain fait partie du patrimoine national et de la vie quotidienne des Sénégalais. Mais son prix, et donc indirectement celui de la farine, est au centre de la lutte contre l’inflation. C’est d’autant plus vrai que la consommation de farine a progressé de façon spectaculaire, + 15 % depuis le début de l’année 2024. Le recul du pouvoir d’achat incite les habitants à consommer des sandwiches plutôt que des repas complets. « Le gouvernement n’a de cesse de nous demander de baisser nos prix », précise Franck Bavard, directeur général des Grands moulins de Dakar.

Des milliers de petites boulangeries artisanales disposent de livreurs de pain qui approvisionnent les boulangeries de détail et les marchés locaux. (© C. DEQUIDT)

« La filière meunerie est très organisée au Sénégal avec des revendeurs de farine auprès des milliers de petites boulangeries artisanales à travers le pays. Ces dernières disposent de livreurs de pain qui approvisionnent les boulangeries et pâtisseries de détail et les marchés locaux. Chacun prend sa marge. Comme souvent, c’est l’industriel qui est considéré comme celui qui fait les profits alors que, concrètement, les intermédiaires développent des marges supérieures. » Les six grands acteurs du secteur se sentent parfois boucs émissaires. Baisser les prix est toujours possible, mais cela mettrait fortement en danger le tissu industriel. « Ça ne pourrait se faire sans aide de l’État, avance le DG. L’intégralité des blés est aujourd’hui achetée sur les marchés internationaux. Nos marges sur les cinq dernières années ont été entre -2 et + 2 %. »

La piste du blé local hasardeuse

L’une des solutions pourrait être que le Sénégal devienne un producteur de blé significatif. Des essais, à grand renfort médiatique, sont en cours dans la région de Saint-Louis, à l’initiative de l’Institut sénégalais de recherches agricoles et de plusieurs semenciers internationaux. Les Grands moulins en sont aussi partenaires. « Nous leur apportons un soutien technique en leur mettant à disposition notre laboratoire de renommée internationale et une aide financière, avec la promesse d’acheter les productions au prix international. »

Cependant, force est de constater que les premiers résultats sont décevants. Si le taux de protéines est satisfaisant, les rendements sont faibles, le PS et le temps de chute de Hagberg peu compatibles avec la production de farine. Le devenir d’une filière blé sénégalaise est plus qu’aléatoire pour des raisons essentiellement climatiques, notamment à cause de la période de vernalisation, impossible dans un pays comme le Sénégal. « Faire pousser du blé tendre au Sénégal de façon efficiente et régulière semble une utopie, estime Franck Bavard, même si on constate des progrès, au regard des derniers résultats de sélection et de l’exploration de nouvelles dates de semis et de méthodes d’irrigation. Si en blé tendre, cela semble inconcevable, il existe peut-être une voie pour le blé dur. Dans un pays musulman à plus de 90 %, cela pourrait être intéressant mais reste très risqué pour faire de la semoule », souligne Alain Bonjean, spécialiste mondial du blé, fondateur et co-auteur du World Wheat Book.

L’implication américaine

Les Grands moulins ont été rachetés en 2017 par un conglomérat américain du secteur de l’agroalimentaire, Seaboard Corporation, dont le siège social est au Kansas. « Les Américains nous ont apporté une assise financière indispensable. Ils souhaitaient une implantation fiable dans un contexte de sécurité politique en Afrique de l’Ouest. Le port de Dakar était aussi pour eux une opportunité intéressante pour l’ensemble de leurs activités. »

Cette prise de contrôle a eu un impact sur l’approvisionnement de blé sur le marché international. « Les Américains, qui ont aussi racheté notre maison de trading en Suisse, nous ont laissé une totale liberté dans l’approvisionnement en blé sur le marché mondial. La guerre en Ukraine a totalement bouleversé notre sourcing, car nous avions 50 % de nos blés qui arrivaient de Russie et 10 % d’Ukraine, le reste étant européen. Le boycott imposé par nos nouveaux partenaires et la rareté du blé ukrainien fait que nous nous approvisionnons aujourd’hui uniquement en Europe, majoritairement en France et dans les pays baltes ». La qualité et la régularité d’approvisionnement de la production hexagonale sont reconnues à Dakar.

Redistribution des résultats

Le groupe s’est engagé depuis longtemps dans une démarche RSE avec un cabinet spécialisé. Les actions en faveur de la mobilisation du personnel, avec notamment la redistribution d’une part de ses résultats en interne, fait très rare dans le pays, en font un exemple. Sa politique de sécurité au travail intransigeante est aussi remarquable.

Au niveau national, on ne compte plus les œuvres caritatives dans les écoles ou centres sociaux. « Nous avons créé une ONG pour faire du village de Ndem un modèle où les équilibres sociaux, économiques et environnementaux sont une priorité », se réjouit Franck Bavard. Une approche particulièrement appréciée par la maison mère américaine.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement