Un savant équilibre entre émissions et séquestration
L’agriculture doit composer entre la réduction limitée de ses émissions et son fort potentiel de séquestration du carbone.
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La marge de manœuvre pour atténuer les émissions de GES de l’agriculture est étroite. Cela ne peut se faire sans la mise en place de pratiques répondant à trois grands axes de travail. Le premier concerne l’optimisation des pratiques d’élevage, notamment bovin, pour restreindre les émissions de CH4 ainsi que de N2O. Pour cela, il est nécessaire de jouer sur plusieurs points : l’adaptation des rations, la conduite du troupeau ou encore la gestion des effluents.
Depuis plusieurs années déjà, des initiatives bas carbone ont été mises en place par les filières bovines. La Ferme laitière bas carbone, portée par le Cniel depuis 2015, a pour objectif de réduire les émissions de GES des exploitations laitières de 20 % en dix ans. Plus de 9 300 éleveurs sont aujourd’hui engagés. Et pour la viande, le plan d’action européen Life Beef Carbon, lancé en 2015, a pour ambition de diminuer l’empreinte carbone de la viande de 15 % en dix ans. Pas en reste, l’élevage ovin est également engagé au travers du projet européen Green Sheep. Au total, ce sont plus de 13 000 éleveurs français qui sont aujourd’hui impliqués dans ces démarches. Laetitia Leconte, responsable développement durable du pôle animal de La Coopération agricole, tient toutefois à préciser que « en contrepartie, l’élevage entretien et valorise des millions d’hectares de prairies stockant du carbone et qui lui permettent de compenser environ un tiers de ses émissions ».
Repenser la fertilisation azotée
L’optimisation de la fertilisation azotée est le deuxième levier d’action pour limiter les émissions de N2O. Réduire l’utilisation de fertilisants minéraux de synthèse est essentiel, leur seule fabrication étant déjà fortement émettrice de GES, notamment de CO2. Plusieurs pratiques répondent à cet enjeu : le recours à des engrais organiques, à d’autres formes d’engrais minéraux moins sujets à la volatilisation et à la lixiviation (avec inhibiteur d’uréase, par exemple), ou encore l’introduction de légumineuses à graine dans la rotation ou dans les prairies temporaires, ces dernières fixant l’azote. Dans tous les cas, l’utilisation d’outils de pilotage de la fertilisation pour optimiser les apports est préconisée.
Enfin, dans une moindre mesure, il est nécessaire que les exploitations françaises limitent leur utilisation d’énergies fossiles, responsables en grande partie des émissions de CO2, notamment par la valorisation de leurs effluents d’élevage ou de la biomasse produite pour la production d’énergie. Sur la réduction des émissions de ses adhérents, Terrena est particulièrement en pointe. La coopérative a lancé en 2014 AgriCO2 qui regroupe aujourd’hui neuf actions techniques d’atténuation des émissions de GES. L’objectif est de permettre à chaque agriculteur de quantifier et de valoriser les économies de CO2 réalisées sur son exploitation.
Tous pour un et 4 pour 1000
Mais pour l’agriculture, le défi ne se limite pas à la restriction de ses seules émissions de GES. Les sols agricoles présentent en effet, avec les forêts ou les bois, le pouvoir de séquestrer du carbone. Si leur potentiel de stockage est très important, il est cependant encore trop peu exploité.
Le 1er décembre 2015, lors de la Cop 21, l’initiative 4 pour 1000 a été lancée par la France afin de limiter le réchauffement climatique à +2 °C. Le postulat de départ : un taux de croissance annuel de 0,4 % des stocks de carbone du sol, soit 4‰ par an, dans les premiers 40 cm de sol, réduirait de manière significative dans l’atmosphère la concentration de CO2 liée aux activités humaines. Mais comment y arriver ? Si les grandes cultures sont de véritables « pompes à carbone », en captant le CO2 atmosphérique pour leur photosynthèse et le restituant en partie au sol, il est nécessaire d’aller plus loin et de repenser les systèmes de production.
Éviter le déstockage de carbone
Dans une étude de 2019 (1), l’Inra a identifié neuf pratiques permettant le stockage additionnel de carbone dans le sol. Elles relèvent notamment de la mise en place de cultures intermédiaires, de l’insertion et de l’allongement des prairies temporaires, des haies ou encore de l’agroforesterie. Ces pratiques représenteraient un potentiel de stockage additionnel de 31 Mt éq CO2 par an pour les grandes cultures et les prairies françaises.
« Mais il faudrait avant toute chose qu’on arrive à ne plus déstocker le carbone déjà présent dans le sol, alerte Jean-Luc Forrler, spécialiste de l’agriculture de conservation des sols chez Vivescia. Une exploitation moyenne française déstocke plus de carbone qu’elle n’en stocke. » En cause, l’exportation des résidus de culture, mais aussi le travail du sol qui induit la minéralisation de la matière organique et donc le déstockage du carbone. Selon lui, « l’agroforesterie, le maintien des prairies permanentes, les bandes enherbées, les cultures intermédiaires et le semis direct sont les seules techniques avec un bilan positif pour le stockage du carbone. Le travail profond déstocke le carbone, le TCS superficiel a un impact neutre et le semis direct a une balance positive et stocke le carbone. »
(1) « Stocker du carbone dans les sols français : quel potentiel au regard de l’objectif 4 pour 1000 et à quel coût ? », synthèse de l’étude Inra, juillet 2019.
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