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Fertilisation Dans la jungle des biostimulants

Profusion de produits et de fabricants, coups bas, réglementation inadaptée, les biostimulants cumulent. Difficile pour les coops et négoces d'y voir clair. Mais, ils se mettent à reconsidérer sérieusement leur gamme, d'autant que les TC ont eux-mêmes des attentes vis-à-vis de ces produits techniques et différenciants.

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« Un bazar sans nom », « Une véritable cacophonie », les expressions ne manquent pas pour qualifier l'univers de ceux qu'on appelle communément les biostimulants. Et qui n'ont pas d'existence dans la réglementation française. Ils ne sont pas non plus forcément « bio », et le terme « stimulation » peut aussi prêter à confusion puisqu'ils ne sont pas des stimulateurs de défense naturelle, qui eux se rapportent davantage à la famille des produits phytosanitaires. Alors, on les retrouve sur le marché comme « biofertilisants », « activateurs de sol », « stimulateurs de croissance et/ou de développement », « additifs agronomiques », « phytostimulants »... Certaines de ces terminologies n'étant d'ailleurs pas forcément légales non plus. Ce foisonnement terminologique est aussi dû à la diversité d'origine et de nature de ces produits qui ciblent la plante, le sol ou les engrais eux-mêmes, mais dont le but est bien d'activer le sol ou de stimuler les plantes pour améliorer leur croissance. Ainsi, ils se définissent davantage par ce qu'ils font que par ce qu'ils sont.

Les microbiens sèment le trouble

Pour y voir plus clair, le Centre d'études et de prospective du ministère de l'Agriculture, avait commandité une étude sur les « Produits de stimulation en agriculture » (SDP et biostimulants), confiée à Bio by Deloitte et Rittmo agroenvironnement, et qui a été publiée en février 2015. L'étude retient comme définition des biostimulants, celle de l'Ebic, le syndicat européen des fabricants : « Un matériel qui contient une ou des substances et/ou micro-organismes dont la fonction, quand ils sont appliqués aux plantes ou à la rhizosphère, est de stimuler les processus naturels pour améliorer ou avantager l'absorption des nutriments, l'efficience des nutriments, la tolérance aux stress abiotiques, et la qualité des cultures, indépendamment du contenu en nutriments du biostimulant. » Mais que sont concrètement ces produits ? Selon ce rapport, bouclé à l'automne 2014, un tiers d'entre eux étaient alors constitués d'extraits d'algues. Rien de surprenant : cette catégorie de biostimulants est la plus ancienne sur le marché français. « Certains biostimulants sont finalement sur le marché depuis plus de trente ans, et remarketés régulièrement », pointe Ludovic Faessel, coauteur du rapport. « Quel agriculteur n'a jamais essayé une algue ou une mycorhize ? », se demande Antoine Meyer, DG de Sumi Agro. Les biostimulants microbiens, à base de micro-organismes et d'extraits de micro-organismes, ne représentaient que 13 %. « Mais leur proportion doit être aujourd'hui plus élevée, vu le nombre de ces produits à caractère novateur homologués depuis la fin de l'étude », constate Ludovic Faessel. C'est cette croissance exponentielle ces dernières années qui a d'ailleurs semé le trouble, car tant que les biostimulants étaient constitués de matières inertes (extraits d'algues, acides aminés, substances humiques...), personne ne se souciait trop de savoir s'ils étaient en règle. Mais dès que l'on parle de matières vivantes, ça change tout. « Les micro-organismes ne sont pas totalement neutres, ils peuvent potentiellement secréter des toxines et avoir des effets sur la santé humaine », poursuit-il. Et de manière générale, bien que les biostimulants soient associés à des risques de toxicité plutôt faibles (avec en plus des substances actives à doses « homéopathiques »), au cas par cas, leur innocuité gagnerait à être évaluée.

45 fabricants, plus de 300 produits

La prolifération du nombre de produits se prévalant d'être biostimulants, leurs allégations multiples, et leur mise en marché hasardeuse a engendré une confusion croissante chez les distributeurs. Les auteurs du rapport ont mené un recensement, non exhaustif, qui fait état fin 2014 de 45 metteurs en marché en France, issus d'horizons divers, et plus de 300 produits biostimulants sur le marché français, dont plus des deux tiers mis en marché par voie irrégulière d'application des normes ! La majorité de ces substances est proposée dans des formulations les associant à des matières fertilisantes classiques. « D'un point de vue réglementaire, l'ajout de matières fertilisantes permet de légitimer à tort un positionnement réglementaire, explique l'étude. D'un point de vue marketing, l'ajout d'un biostimulant permet de renouveler le discours commercial d'une gamme de matières fertilisantes classiques. »

Des espoirs parfois déçus

En même temps, les biostimulants suscitent un intérêt grandissant dans un contexte où les attentes sociétales sur la durabilité des systèmes agricoles sont de plus en plus fortes, mais aussi parce qu'ils sont vus par la distribution comme apporteurs de marges dans un secteur de la fertilisation où règne les commodités. « Historiquement, les biostimulants concernaient surtout les cultures spéciales, à plus haute valeur, détaille le rapport. Ces dernières années, ces marchés ont été confrontés à une baisse de prix et une concurrence d'autres régions productrices dans le monde. » En conséquence, notamment avec des spécialités stimulant la teneur en protéines du blé, améliorant l'installation de la plantule en début de culture (effet starter), voire même en traitement de semences, le développement des biostimulants destinés aux grandes cultures s'est accéléré. Et c'est là où se fait aujourd'hui essentiellement la croissance. D'après notre sondage ADquation-Agrodistribution (lire p. 25), un agriculteur sur cinq aurait déjà utilisé un biostimulant. Cette proportion est d'ailleurs plus élevée en orientation grandes cultures (27 %) et pour ceux travaillant plus de 50 ha de céréales (28 %). Et parmi ceux qui n'ont pas encore sauté le pas, ils seraient 23 % à bien vouloir essayer, voire 32 % chez les agriculteurs exerçant en grandes cultures, et même 36 % pour les céréaliers ayant plus de 50 ha. Reste à passer la barrière du prix...

Mais les agriculteurs en attendent parfois beaucoup trop, du fait d'un décalage entre les promesses commerciales et les effets réellement observés. « En effet, par manque de formation ou de communication (ou par mauvaise information ou présentations erronées ?), admet l'étude, les utilisateurs comparent encore les produits de stimulation aux produits classiques. » Or, ces produits ne sont pas censés remplacer les fertilisants traditionnels. En eux-mêmes, ils n'apportent pas ou très peu d'éléments nutritifs à la plante. Ils peuvent permettre de réduire un peu les doses, mais ils sont surtout présentés comme un moyen d'améliorer l'efficience des engrais minéraux. Leurs modes d'action originaux à travers la plante et le sol séduisent autant qu'ils déconcertent.

Un marché en plein essor

Les biostimulants étant des produits complexes par excellence, et pouvant contenir une multitude de substances actives, certaines pouvant agir d'ailleurs comme stimulateurs de défense des plantes, leur effet sur la plante sera le résultat d'un ensemble d'actions, qu'il est difficile de décrire individuellement, et avec une efficacité très variable. Ce pourquoi aussi il est difficile d'avoir des résultats transparents. Pour Benoît Planques, président de la Cas, « il y a une telle technicité en France qu'il est difficile de gagner quelques points statistiquement valables. En revanche, cela peut aider à revoir les pratiques culturales et le rapport au sol ». Quoi qu'il en soit, et bien qu'encore de taille limitée (selon l'Unifa, 5 % des surfaces, Valagro l'estime à près de 100 M€), le marché français des biostimulants est en plein essor, surtout si on le compare à celui de la fertilisation classique.

DOSSIER RÉALISÉ PAR RENAUD FOURREAUX

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