Transmettre un négoce Toute une histoire
Sujet très sensible, la transmission des entreprises de négoce est avant tout une histoire d'hommes et de femmes agissant en fonction de leurs vécus et du contexte environnant. La FNA en fait une priorité. Ira-t-on jusqu'à créer des fonds d'investissement mutualisés ? La diversité des voies empruntées montre que le champ du possible existe.
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« Le dossier sur la transmission des entreprises de négoce est une des priorités du mandat de notre président, Frédéric Carré », affirme Sébastien Picardat, directeur de la Fédération du négoce agricole. Une priorité définie à la suite de l'affaire SCPA, le négoce du précédent président de la FNA, Christophe Vigier, qui a été repris par la coopérative CAPL, le 1er janvier 2014. Une pilule difficile à avaler dans la profession. Une priorité d'autant plus justifiée qu'une bonne moitié des négoces agricoles serait à reprendre dans les dix ans à venir avec 50 % de leurs dirigeants âgés aujourd'hui de 50 ans et plus. A ce jour, la coopération reprend une bonne partie des entreprises en mal de successeur. Toutefois, depuis la création de la FC2A avec ses collègues de la viande, la FNA prône l'ouverture partant du principe que chaque opérateur, privé ou coopératif, exerce une même activité économique. La FNA enregistre d'ailleurs, depuis deux ans, de nouvelles adhésions de filiales de coopératives. Les privilèges fiscaux alloués aux coopératives leur permettent d'accumuler un « trésor de guerre » facilitant une certaine emprise financière sur les négoces cherchant repreneur. « Là, où un négoce pourra mettre un million d'euros pour reprendre son voisin, la coopérative doublera la mise », confie un acteur privé.
La loi des affaires
En même temps, c'est la loi du business. D'ailleurs, Pierre Guy, PDG d'Anjou Maine céréales, le rappelle : « Nous ne sommes pas dans une guerre de religions, mais dans le monde des affaires. » Après avoir frappé à plusieurs portes, dont celles d'autres négociants, le dirigeant sarthois a ouvert son capital au groupe coopératif Terrena (lire p. 37) afin d'assurer le développement et la pérennité de son entreprise. Un dirigeant, qui a trimé toute sa vie de 70 à 80 h par semaine, peut avoir envie de céder au plus offrant, si aucune reprise familiale ne se dessine à l'horizon. La réduction de la pression fiscale sur les plus-values, notamment depuis début 2013, peut rendre encore plus tentant une vente intéressante de l'entreprise.
Rester indépendant
Le sujet de la transmission est sensible car il touche aux choix intrinsèques d'hommes, ou de femmes, et à leur intimité émotionnelle. Et dans un monde où l'argent mène bien souvent la danse, il s'agit alors d'avoir des convictions accrochées aux tripes, afin de préserver vaille que vaille le caractère indépendant (et familial) de sa structure. Cependant, défendre voire promouvoir un négoce familial ou patrimonial reste le leitmotiv de la fédération, comme le souligne son président (lire ci-contre). Mais le modèle de la transmission familiale a perdu de sa puissance. En France, tous secteurs confondus, à peine 15 % des PME familiales sont reprises aujourd'hui dans un cadre familial, même si le souhait des dirigeants est bien plus élevé. Des exemples comme le négoce Bresson pourraient devenir des cas d'école dans quelques années. Le mot « famille » est en effet chevillé au corps de cette société (lire p. 32).
De même chez Bernard, dans l'Ain, son dirigeant Xavier Bernard a pour objectif de « rester indépendant ». Et il fait remarquer qu'il n'est pas propriétaire, mais locataire de son entreprise car « je suis dans la logique de transmettre à la génération suivante ». A 47 ans, ce dirigeant ne s'est pas encore penché sur les modalités techniques de la transmission mais la prépare. Ses deux fils, Philippe et Baptiste, ont fait le choix de le rejoindre en juillet 2013 sur des postes opérationnels dans un premier temps. « Le groupe a été structuré en trois entités juridiques correspondant à ses trois métiers pour donner plus de clarté aux enfants. L'essentiel est que l'entreprise se développe et soit viable. » Et il est bien placé pour le savoir, puisque d'une affaire pesant 27 M€ en 1994, il en a fait un groupe de 150 M€ de CA.
L'appui des réseaux
Quand la succession n'est pas envisageable, il reste pour alternative, la reprise par un ou des salariés, comme chez Beauchamp (p. 34), la reprise par un autre négoce (p. 36) ou par une coopérative, comme cité précédemment. Et ce n'est pas forcément une vente à tout prix. Ainsi, Patrick Pomarel a fini par rejoindre le groupe Perret, tout en gardant ses actions, pour arriver à un compromis avec son frère qui prenait sa retraite et souhaitait vendre ses parts au plus offrant. « Le prix d'achat était correct et la proposition de Perret était la mieux adaptée au devenir de l'entreprise par rapport aux offres des coopératives. »
Si les négoces avaient à leur disposition des systèmes mutualisés d'investissement, voire des fonds extérieurs, la transmission en serait facilitée. C'est pourquoi la mise en place de fonds d'investissement est une des pistes qui va être travaillée au sein de la FNA, avec l'appui des réseaux économiques. Des réseaux qui engagent aussi à leur niveau une réflexion sur l'avenir de leurs négoces membres. C'est le cas d'Agridis. Si à une époque ce réseau a repris des structures comme CIC ou Semences et conseils (devenue TS Agri) à la demande de leurs anciens dirigeants, ce modèle appartient au passé. Il souhaite s'investir en effet différemment dans la pérennité de ses membres. Aller vers un comportement plus collaboratif est un chemin à suivre pour Lionel Cappelletti du cabinet juridique et fiscal, Axeval. « Des associations de repreneurs entraîneraient plus facilement les banques. Mais il y a encore des tabous autour de ces questions de transmission à faire tomber. »
Ouvrir à de nouveaux financiers
Quant à se tourner vers des investisseurs extérieurs, ces PME familiales ne sont pas toutes prêtes à ouvrir leur capital. Celles qui le font ont une certaine taille comme le confirme Florence Alin d'Unigrains. « Nous sommes sollicités le plus souvent par des entreprises qui font partie des cinquante premiers négoces français. » Cet organisme intervient « dans le haut du bilan par le jeu de prises de participation minoritaire ou aussi d'obligations ». Et pour une durée déterminée tout en laissant le temps nécessaire à l'entreprise d'organiser ce retrait.
Mais la cause n'est pas perdue. Ainsi, Olivier Tordjman, avocat d'affaires spécialisé en fusion et acquisition, estime « qu'il y a un schéma à réfléchir pour ouvrir ce marché du négoce agricole à de nouveaux acteurs financiers ». Cet avocat accompagne d'ailleurs la FNA dans ses réflexions actuelles. « Pour s'adresser à un fonds d'investissement, il s'agit d'avoir une histoire à raconter avec un business plan et un management de succession. Et montrer également un intérêt financier de rentabilité. »
Vivier de repreneurs
D'où l'enjeu stratégique d'anticiper toute transmission, quelle que soit la voie prise. La FNA compte s'y atteler avec la création d'une centrale de bilans pour la réalisation de benchmarking, prochaine mission du futur DAF en cours de recrutement. Il va être étudié également la constitution d'un vivier de repreneurs potentiels soit internes à l'entreprise soit des actionnaires externes, négoces ou coops, avec mise en place d'un comité de direction au sein de la structure concernée.
Lionel Cappelletti observe ainsi : « Toute transmission demande deux à cinq ans de préparation pour structurer l'entreprise et faire émerger quelques cadres pour épauler le patron. » Tout un travail est à engager en termes d'information, et de formation des négociants, et d'étude d'une fiscalité souvent lourde, mais pouvant bénéficier d'allégements (lire encadré). Mais aussi en matière d'accompagnement. « Un négociant qui souhaite reprendre un autre négoce a quelques points à respecter : s'affilier à un cabinet conseil, prendre un négociateur, bâtir plusieurs stratégies de reprise et se donner accès au financement », précise Jean-Marc Ferlini, dirigeant d'Agri Agen.
Transmettre une entreprise, c'est toute une histoire qui se termine... et qui peut se poursuivre si la configuration le permet. Cependant, un tel sujet peut vite tomber dans le « passionnel ». Il a besoin d'être relativisé.
DOSSIER RÉALISÉ PAR HÉLÈNE LAURANDEL
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