Séduire les jeunes agriculteurs
Etre attractif vis-à-vis de la jeune génération d'agriculteurs est un challenge pour les coopératives et négoces. Offres commerciales, école de formation, clubs, commissions « jeunes »... les initiatives ne manquent pas. Aller plus loin par un soutien à l'achat du foncier lors de l'installation, sera-t-il une prochaine étape ?
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Créer une relation privilégiée et durable avec les jeunes agriculteurs. Tel est le défi des coopératives et négoces dans un contexte de concentration toujours plus important de l'outil de production agricole. Le nombre d'installation n'a cessé de régresser globalement ces dernières années. La pyramide des âges va générer de nombreuses cessations d'activité dans les années à venir. Reste à savoir où partiront les terres libérées. Aujourd'hui, « sur 1 million d'hectares libérés par an, 500 000 ha partent à l'installation, 400 000 ha à l'agrandissement et 100 000 ha à l'artificialisation qui ne fait que progresser », précise François Purseigle, maître conférencier en sociologie.
A ce jour, les jeunes agriculteurs, de 40 ans et moins, représentent 19 % de la population d'exploitants, selon le RGA 2010. Toutefois, si l'on se focalise sur les exploitations dites « professionnelles », leur représentativité doit flirter avec les 30 %. Etant donné le pari que représentent les années à venir, l'accompagnement des nouveaux installés, dont la jeune génération, est essentiel pour assurer d'une part le fonds de commerce de demain et, d'autre part, dans le cas des coopératives, le renouvellement des instances de gouvernance. Or, à ce jour, l'implication dans la vie coopérative des agriculteurs, et plus particulièrement des jeunes, est bien fragilisée.
D'ailleurs, le syndicat des Jeunes agriculteurs reconnaît volontiers cette désaffection en soulignant que « souvent taxées d'être trop individualistes, les nouvelles générations d'agriculteurs doivent redonner du sens au collectif ». Le syndicat a fait du volet collectif le thème de son rapport d'orientation 2013, articulé autour de la coopération (lire p. 26). Il va même jusqu'à poser une réflexion quant à une nouvelle forme de coopération multipartenariale au-delà même des outils coopératifs déjà existants. Ces outils font l'objet, dans le rapport, d'un bilan de leur fonctionnement et d'une approche sur la place à donner aux jeunes agriculteurs en leur sein. « J'attends une plus grande écoute et une plus forte imprégnation des jeunes dans le conseil d'administration », précise Thierry Houël, éleveur laitier de 35 ans et un des trois rapporteurs du rapport des JA.
Toutefois, certaines coopératives ont entrepris des politiques dédiées à la jeune génération, depuis plusieurs années, par la mise en place d'écoles de formation, de clubs, commissions ou groupes « jeunes ». Selon notre sondage auprès de 151 technico-commerciaux, deux tiers des distributeurs proposent une approche spécifique aux jeunes exploitants (voir ci-dessus), avec une plus forte mobilisation chez les coopératives (81 %). Les négoces s'en tiennent bien souvent à des mesures commerciales tout en cherchant, pour certains, à structurer une offre comme les Ets Bernard dans l'Ain (lire p. 30), qui envisagent même de monter un club jeunes.
Donner du recul aux JA
Côté coops, la Cam 53, par exemple, a démarré son comité Cam Avenir en 1983, 110 Bourgogne a lancé une école de jeunes dans le début des années quatre-vingt-dix, lors de sa création. Cette école a évolué vers une nouvelle démarche en 2003, conduite par Christophe Dequidt, consultant, et qui a pris par la suite le nom d'« Atout jeunes ». Depuis, cette initiative a été développée vers d'autres coopératives à l'image de Terres du Sud (lire p. 29). « Aujourd'hui, nous continuons "Atout jeunes" en commun avec Capserval dans le cadre de l'union Seine Yonne », détaille Jean-Marc Krebs, DG de 110 Bourgogne. Une formation qui demande un certain back-office et dont le dynamisme est entretenu en faisant vivre les groupes. Ainsi, pour la première fois, la coopérative bourguignonne a organisé cette année un voyage d'études réunissant les quatre promotions Seine Yonne. De leurs côtés, Terres du Sud et Unicoque font travailler ensemble les différentes sessions sur un projet d'entreprise.
« Un jeune agriculteur qui a suivi cette formation ne porte plus le même regard sur la coopérative et modifie son comportement à son égard », souligne Jean-Marc Krebs. Démystifier l'outil coopératif est également le leitmotiv de Triskalia (lire p. 28) qui est en train de monter des groupes par métier, parallèlement à un groupe transversal relancé en 2008.
Chez Cam 53, Marie-Annick Jagline, animatrice de Cam Avenir, tient à préciser que « l'objectif premier est de donner des outils aux JA pour comprendre ce qui se passe, leur donner de la hauteur par rapport à leur métier et au secteur agricole ». La coopérative mayennaise n'hésite pas à impliquer ses jeunes en les amenant à rendre compte de leurs travaux (cette année autour du diagnostic énergétique) à tous les agriculteurs en assemblée de section, et au conseil d'administration qui a accueilli deux jeunes s'en tenant à un rôle consultatif. De son côté, Agrial se fait fort d'être à l'écoute de ses quarante membres de la commission jeunes (lire p. 31).
Gérer la relation cédant-repreneur
Bien souvent, ces jeunes se retrouvent dans les instances de la coopérative, et plus précisément dans les comités ou conseils de région où leur voix reste consultative. Chez 110 Bourgogne, sur les 90 adhérents des comités de région, entre 30 et 40 ont moins de 40 ans. Dans une interview récente à la revue Paysans, le président de Coop de France, Philippe Mangin, salue la formation « Atout jeunes » qui permet de créer de « véritables pépinières de dirigeants. Nous réfléchissons à Coop de France à la meilleure façon de vulgariser cette démarche ». Des entreprises vont relancer un dispositif de formation d'ici à la fin de l'année tel le groupe Cavac, en Vendée, qui propose des offres bien formalisées en appro-collecte et en élevage. Ou d'autres encore vont structurer une véritable approche dans le cadre du projet stratégique d'entreprise, comme Dijon céréales.
Le soutien au foncier
Ces actions mises en place pourraient-elles aller plus loin pour garantir des terres pour les futures installations ? Cette question peut être traitée à deux niveaux. Ainsi, depuis août dernier, la Cam 53 a créé une nouvelle fonction, chargé de développement auprès des jeunes agriculteurs, afin de gérer les relations cédants et repreneurs et d'anticiper ainsi le flux de cessations d'activité à venir. « Nous sommes complémentaires aux chambres d'agriculture sur ce dossier. Je rencontre les repreneurs potentiels et leur présente la coopérative et son système d'aides tout en réalisant des préchiffrages si le jeune le souhaite », précise Guillaume Nigault en charge du nouveau poste et qui assure également la promotion de la coopération dans les écoles.
L'accès au foncier pourrait devenir crucial avec des terres qui vont jusqu'à tripler de valeur dans certaines zones. Aussi, le soutien des coopératives et des privés pourrait être envisagé sur cet autre plan, selon François Purseigle (lire p. 24), avec la constitution de sociétés qui se rendraient acquéreuses de terres. Une idée qui fait son chemin. Dans le Vaucluse, une SAS est née fin mai avec quatre opérateurs, dont la coopérative CAPL, pour acquérir 100 ha qui seront exploités par des viticulteurs adhérents de la cave coopérative de Caromb.
Dans l'Aude, à la coopérative des vignerons de la Voie romaine et du Cabardès (Aude), une réflexion est en cours « pour examiner le montage, d'ici à la fin 2013, d'une société qui achèterait le foncier et le proposerait en fermage, explique Sébastien Lacuve, DG. Nous voulons éviter que les hectares partent à l'urbanisation ou chez de gros négoces viticoles privés ».
Comment va évoluer l'installation des jeunes agriculteurs à l'avenir ? Faudra-t-il épouser le modèle de l'« agriculture de firme » de la Camargue avec l'arrivée d'investisseurs non agricoles ou suivre les pas de la filière ovine avec son fonds de financement Labeliance Agri 2013 ? A moins que pour préserver leur territoire et leur activité et renforcer leur attractivité, les coopératives et négoces jouent collectif.
DOSSIER RÉALISÉ PAR HÉLÈNE LAURANDEL
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