Phytos illégaux Endiguer le flot
La lutte contre le commerce illégal de produits phytosanitaires est un combat de longue haleine, et si des mesures prometteuses sont prises, d'autres risquent d'aggraver le phénomène. Tour d'horizon des différents acteurs, et du rôlede chacun, pour mettre le holà aux phytos hors-la-loi.
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Le commerce illégal de produits phytosanitaires est une affaire très lucrative. Une cargaison d'insecticides contrefaits, produits en Chine et valant quelques dizaines de milliers de dollars peut, par exemple, être revendue un ou deux millions d'euros en Europe. « C'est un moyen pour les trafiquants de se faire beaucoup d'argent, avec somme toute un niveau de risques modéré, reconnaît Jean-Blaise Davaine, adjoint à la BNEVP (Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires). Les réseaux criminels sont bien structurés, et profitent de l'accroissement régulier des échanges de marchandises entre pays, et des lacunes du cadre répressif commun. » Mais les moyens de lutte se renforcent, avec des projets de collaboration entre douaniers et agents du ministère de l'Agriculture en cours, qui devraient contribuer à endiguer le flot.
Les pouvoirs publics ont aujourd'hui conscience du problème. En témoigne, le 5 novembre, la déclaration de Christian Eckert, secrétaire d'Etat chargé du Budget, lors de la troisième journée nationale de destruction des contrefaçons saisies par les douanes. Lunettes de soleil, sacs à main, mais pas que : « Je pourrais également citer les produits phytosanitaires qui font l'objet d'une surveillance renforcée tant pour leur effet polluant sur les sols et dans l'air que pour les dangers qu'ils représentent pour la santé publique. » Les contrefaçons de phytos font partie d'un problème plus vaste de produits illégaux, dénomination qui recouvre un certain nombre de cas (lire ci-contre). Comme tout commerce illégal, il est difficile de quantifier le phénomène, même si au niveau européen, un rapport commandité par la Commission, paru en mars 2015, le chiffre à 10 % du marché phytos, avec des différences entre pays, précisant que le phénomène a particulièrement augmenté entre 2006 et 2008. En France, il touche surtout les régions frontalières, notamment le sud, avec des échanges importants avec l'Espagne. Thierry Castel, de la CAPL, à Avignon, estime que 20 % du marché arbo serait concerné, et 15 % du marché vigne. Des chiffres que l'on retrouve par ailleurs en interrogeant la profession.
Arrivées par les ports
S'il y a bien sûr un manque à gagner, la situation est surtout problématique au vu du danger que peuvent représenter ces produits hors-la-loi pour les utilisateurs, l'environnement, les cultures, et les consommateurs. Comment arrivent-ils chez nous ? Le rapport commandité par la Commission européenne fait part d'entrées principalement par voie maritime, notamment par les ports d'Anvers (Belgique), Rotterdam (Pays-Bas), et Hambourg (Allemagne), avec des saisies importantes réalisées. Des importations par voie terrestre, notamment via l'Europe de l'Est, existent aussi. La voie aérienne est minime. Ensuite, à l'intérieur de l'UE, les produits transitent jusqu'au marché de destination. Ils viendraient pour beaucoup de Chine. Contre ces flux, plusieurs organisations agissent, au niveau national et international (voir infographie), en collaboration les unes avec les autres. Au niveau de la France, on peut globalement établir deux catégories de contrôles touchant aux phytos illégaux : ceux faits auprès des distributeurs et des agriculteurs par les Sral au sein des Draaf, dans les différentes régions, et ceux faits aux points d'entrée dans l'UE, notamment au niveau des ports, par les douanes.
Une brigade spécialisée, la BNEVP
La BNEVP intervient essentiellement au niveau des distributeurs et des formulateurs. Elle tente néanmoins de plus en plus d'intervenir en amont, en collaborant par exemple avec les douaniers lors de l'arrivée des marchandises sur le territoire. Elle est investie de trois missions essentielles : la lutte contre la délinquance sanitaire et phytosanitaire organisée, l'appui technique aux services de contrôle sanitaire, dont les Sral, et la réalisation d'enquêtes nationales. Parmi les seize agents qu'elle compte, 4,5 équivalents temps plein sont dédiés aux phytos, dont deux récemment embauchés à la suite des déclarations du ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, fin 2012, où il avait évoqué sa volonté de lutter contre ce phénomène. « La cellule phytosanitaire a été créée en 2002, pour faire face à l'extension des trafics de produits phytosanitaires illicites et contrefaits. Les dispositions relatives au commerce parallèle, instaurées au début des années 2000 pour les produits phytopharmaceutiques, ont largement été utilisées, détournées, manipulées par les fraudeurs », relate Jean-Blaise Davaine. L'enquête débutée en 2002 sur ce thème est très large et se poursuit encore aujourd'hui. Les agents de la BNEVP sont hors normes : très mobiles, ils ont les mêmes prérogatives que les agents des Sral, mais disposent d'une compétence nationale et, avec une expérience dans le domaine pénal, travaillent en lien étroit avec le monde judiciaire. Quand c'est nécessaire dans une enquête de la BNEVP ou d'un Sral, les agents peuvent actionner « l'article 40 » (du code pénal), qui oblige tout fonctionnaire à signaler à l'autorité judiciaire un crime ou un délit. Au-delà de ce signalement et de la transmission de leurs éléments, c'est l'expertise de la BNEVP qui est mise à disposition des services de la Gendarmerie nationale (dont l'Oclaesp) ou des Douanes (dont le SNDJ, Service national de douane judiciaire), avec qui les agents de la brigade travaillent régulièrement, sous l'autorité des parquets. L'Oclaesp, c'est l'office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique. C'est un service de police judiciaire, dont le groupe Environnement de la division Investigations enquête, entre autres, sur les trafics de phytos. Les enquêteurs sont appuyés par une conseillère technique détachée du ministère de l'Ecologie, Marie-Claire Lhenry. Leurs enquêtes dépassent souvent les frontières du pays, « ce qui prend du temps, reconnaît le lieutenant-colonel Thepaut. Il faut des commissions rogatoires internationales, des traductions... » Même si, comme la BNEVP, elle travaille énormément en collaboration avec les autres institutions. Outre les produits sans autorisation de mise sur le marché, ceux retirés, ou les contrefaçons, « on enquête aussi sur des trafics de produits homologués comme engrais, avec des allégations phytosanitaires », fait part Marie-Claire Lhenry. Comme à la BNEVP, les effectifs de l'Oclaesp sont en progression : de seize en 2004, ils sont au total soixante-dix aujourd'hui.
Unités mixtes pour les contrôles
En face, les trafiquants sont bien organisés, et très réactifs. « Mais nous avons beaucoup de projets, avec la volonté de travailler plus en amont, explique Jean-Blaise Davaine à la BNEVP. Nous cherchons à être plus actifs sur les ports, en collaborant avec nos collègues douaniers. Des unités mixtes associant des inspecteurs du Sivep (Service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières, qui contrôle notamment les végétaux), des agents des douanes et de la BNEVP pourraient ainsi être mis en place, en France, afin de mieux cibler et intercepter à terme les arrivages de produits phytosanitaires illégaux. Nous avons bon espoir que ce soit très efficace. » Sur ces sujets, les industriels viennent prêter main-forte aux différentes institutions. L'ECPA (European Crop Protection Association) se penche sur ces trafics depuis plus de dix ans. Le projet devait initialement durer trois ans, mais l'ampleur de la problématique en a fait un axe de travail permanent. L'ECPA a également mis en place un site d'information, www.illegalpesticides.eu, et réalise des campagnes de sensibilisation et de formation. « Aujourd'hui, on travaille sur l'optimisation des contrôles, avec les autorités compétentes au niveau européen et dans les Etats membres : Douanes, Europol, Olaf, BNEVP en France, explique Jean-Charles Bocquet, directeur de l'ECPA. Nous voulons être des facilitateurs. » L'ECPA échange avec l'OMD (organisation mondiale des douanes), et des formations spécifiques vont être proposées aux douaniers en Europe. « Nous nous tenons aussi à disposition des autorités pour réaliser les analyses sur les produits saisis », ajoute Jean-Charles Bocquet. Au niveau de chaque firme, des initiatives ont aussi été prises. En sus des actions judiciaires à l'encontre des sociétés ayant copié ou falsifié des produits, des mesures concernant le packaging sont mises en oeuvre. « Pour limiter les copies, le nom Adama est inscrit en relief sur nos bidons depuis un an, et le sera bientôt sur les bouchons », illustre Emmanuelle Clin, responsable communication France de la firme.
Des sanctions plus conséquentes
Outre un manque de contrôles, c'est souvent la faiblesse des sanctions qui concentre les critiques. Pourtant là encore, les choses bougent, avec des sanctions renforcées, notamment par la loi d'avenir agricole en 2014 (lire p. 38). Et pas que dans les textes : si la brigade est soumise au secret de l'enquête, Jean-Blaise Davaine fait part « de sanctions conséquentes et dissuasives dans des affaires qui ont été jugées récemment ». Outre des sanctions administratives, une procédure pénale peut être engagée. « En pratique, pour les agriculteurs, il n'y a jamais de peine d'emprisonnement ferme prononcée », précise Sylvie Bloch-Moreau, avocate à la cour d'appel de Paris, spécialisée dans la réglementation des produits phytopharmaceutique. Même s'il n'est pas à exclure que les autorités veuillent faire dans l'avenir un exemple. Et les amendes ? « Souvent, elles sont de l'ordre de 500 à 1 500 €, relate Sylvie Bloch-Moreau. Ce sont des amendes de principe. » Cela dit, « la dissuasion ne vient pas tellement de la condamnation, mais déjà, le passage en tant que tel devant le tribunal correctionnel a un impact psychologique lourd », nuance l'avocate. Et il va être de plus en plus difficile de se défendre avec un « je ne savais pas », entre les formations Certiphyto et les campagnes de sensibilisation.
DOSSIER RÉALISÉ PAR MARION COISNE
Nombreux sont les agriculteurs français qui connaissent Cazorla, distributeur espagnol basé à Figueras. La majeure partie de sa clientèle est française et les produits qu'il vend, pas toujours autorisés chez nous. Et il ne s'en cache pas : dans un mail adressé à des clients français cet été, Daniel Cazorla déclarait : « Les produits phytos sans homologation française, on les vend au magasin. »
S. BOLLENDORFF
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