Agriculture alternative Osez !
Face à l'évolution des modes de production qui se dessine avec moins d'intrants, coopératives et négoces s'éveillent à un dossier qui devient incontournable sous la pression réglementaire et sociétale. L'approche est plus ou moins affirmée selon les entreprises.
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Agriculture alternative. Le mot « alternative » peut sembler quelque peu galvaudé car utilisé tous azimuts. Mais comment définir autrement cette période charnière que vit aujourd'hui l'agriculture dans l'évolution de ses modes de production, notamment en liaison avec le Plan Ecophyto 2018 ? Il faut bien trouver des alternatives pour continuer à produire plus avec moins d'intrants. Les plus engagés parlent ainsi de leur côté d'agriculture écologiquement intensive, concept développé par Michel Griffon et repris par Terrena et Nouricia. D'autres, comme le groupe coopératif Cerena, substituent productive à intensive, ou encore, vont parler d'agriculture durable. Mais ce dernier terme est censé englober une approche sociale, voire économique si cette dernière n'est pas déjà abordée.
L'agriculture alternative s'intéresse aux « méthodes alternatives » à l'agriculture conventionnelle, qui permettent de réduire les apports en produits chimiques. Les moyens de lutte biologique, appelés produits de biocontrôle (phéromones sexuelles, stimulateurs de défense naturelle, insectes auxiliaires…) en font partie. Sans oublier l'appui des OAD (outils d'aide à la décision) et autres logiciels d'optimisation ou de modélisation. D'autre part, cette démarche peut aller plus loin en touchant la diversification de l'assolement, les pratiques culturales, l'écosystème des parcelles…
Parler le même langage
Les chercheurs, sommés par le gouvernement d'élaborer le programme « Ecophyto R & D » (lire AD n° 203, p. 6), ont proposé plusieurs définitions afin que chacun puisse enfin parler le même langage, depuis les serres de l'Inra jusqu'à la parcelle de l'agriculteur. Cinq niveaux ont été distingués selon des stratégies différentes en termes de protection phytosanitaire et d'objectifs de production. Entre un niveau appelé N0, pour une « agriculture intensive » fortement utilisatrice de produits phytos, et un niveau appelé N3, pour une « agriculture biologique » excluant tout recours aux produits de synthèse, d'autres niveaux émergent : N1, « protection raisonnée » limitant le recours aux phytos grâce aux OAD, N2a « protection intégrée » avec des méthodes alternatives sans remettre fondamentalement en cause les itinéraires de production et N2c « production intégrée » requérant assolements nouveaux et toutes alternatives.
Les sentinelles de la terre
Pour favoriser le changement des pratiques, le principal levier d'action reste la diffusion sur le terrain. Cette étape se heurte malheureusement à de trop nombreux obstacles, selon les chercheurs : lacunes sur les connaissances, focalisation sur un nombre limité d'alternatives, peu de références techniques, incompatibilité des pratiques alternatives avec les exigences des filières… «En outre, chacun organise sa stratégie en fonction de celle des autres et considère qu'il peut difficilement en changer tant que celle des autres n'évolue pas », ajoute Jean-Marc Meynard, de l'Inra Versailles-Grignon.
Pourtant, sur le terrain, une bonne partie des agriculteurs sont réceptifs. Selon notre sondage BVA, concernant l'utilisation de moyens de lutte alternatifs aux produits phytosanitaires chimiques traditionnels, la moitié des agriculteurs ont franchi le pas ou sont prêts à le faire (voir ci-dessus)
Toutefois, un mouvement se dessine chez les distributeurs agricoles. Timide chez certains, plus affirmé chez d'autres. Il y a des pionniers qui ont pris le sujet à bras-le-corps. Nouricia et Terrena (lire p. 34 et 35) en font partie, Cerena, dans le Nord, également avec la mise en place d'une grande plate-forme (lire p. 36 et 37). Ces entreprises, notamment les deux premières, abordent cette nouvelle façon de produire dans une approche de stratégie globale, impliquant à fond leurs agriculteurs. Ainsi, Terrena a mobilisé plus de 400 adhérents, les « sentinelles de la terre », pour tester des innovations, des pratiques culturales ou des réponses au dossier énergétique.
Pas encore prioritaire pour tous
Certes, il n'est pas question de jeter le bébé avec l'eau du bain. Comme le souligne Denis Cochet du réseau Agridis qui travaille sur un screening de nouvelles solutions, « la protection phytos classique représente 90 % du marché. Il ne faut pas la négliger et, au contraire, elle est à travailler pour être encore améliorée ». Et à ce jour les solutions alternatives ne sont pas jugées suffisamment efficaces pour être utilisées seules. Toutefois, un flux de nouveautés est attendu dans les trois à quatre ans à venir.
En attendant, la prise de conscience du passage d'un schéma à un autre est présente ou est en train de se faire chez les distributeurs. « Nous sommes convaincus que le changement des pratiques agricoles est inscrit dans l'air du temps pour des raisons économiques et écologiques. Le challenge est de rendre l'agriculteur moins dépendant de son environnement et de pérenniser son exploitation », commente Benoît Presles qui a suivi ce dossier pour le compte du réseau Agridis. Mais voilà, les priorités du quotidien amènent beaucoup de coops ou de négoces à le laisser de côté, car ils croulent déjà sous le poids de la VAE, du Certiphyto et autre réglementation. S'engager dans une telle démarche induit une redistribution des cartes, avec une modification de l'offre commerciale. La question du paiement des services et des conseils par les agriculteurs se pose. Certains risques sont à prendre en terme de préconisation, de nouvelles connaissances sont à acquérir et de nouveaux équipements à prévoir. De plus, outre revoir sa façon de travailler en amont, certains craignent de se retrouver face à une moindre collecte et de gérer des productions aux débouchés moins garantis à l'aval.
Privilégier la synergie
Tous ces éléments pourraient être toutefois canalisés et mieux abordés grâce à une mutualisation des moyens. Le rapport Ecophyto R & D en appelle ainsi à développer des synergies entre structures. Raymond Reau, ingénieur de recherche à l'Inra de Versailles-Grignon, insiste sur ce partage des compétences et des connaissances (lire encadré). Sur le terrain, on observe déjà l'émergence de grandes plates-formes communes à divers acteurs comme celle impliquant Cerena et deux autres coopératives (lire p. 36). Quant à la nouvelle association internationale pour une agriculture écologiquement intensive pilotée par Michel Griffon, son leitmotiv est de fédérer les forces vives autour de ce concept ou toute démarche s'y rapprochant.
Fait nouveau à souligner, la naissance de groupements d'intérêt scientifique, comme le GIS grandes cultures haute performance économique et environnementale qui réunit recherche et organisations économiques. Le train est en marche. Il va être compliqué de ne pas monter dedans. La réglementation et la pression sociétale laisseront-elles une place à la frilosité ? Comme le souligne Louis Damoiseau d'IBMA (International Biocontrol Manufacturers' Association), « l'étau se resserre avec la nouvelle directive européenne qui à l'horizon de 2014 oblige toutes les productions végétales à adopter la notion de protection intégrée ». Certes, les derniers propos de Nicolas Sarkozy sur une éventuelle réduction des contraintes environnementales ont jeté un trouble. Mais n'y a-t-il pas du bon sens, entre autres économique, dans cette recherche de modèles plus durables ? Ne vaut-il pas mieux oser et anticiper ?
DOSSIER RÉALISÉ PAR HÉLÈNE LAURANDEL
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