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Biosolutions : passer à la vitesse supérieure

Véritables atouts de la transition agroécologique, les biosolutions peinent encore à s’ancrer dans les pratiques agricoles. Car, entre curiosité et interrogations, leur adoption se heurte à des freins aussi bien chez les agriculteurs que chez les TC. Leur avenir ne fait pourtant aucun doute : elles seront un « passage obligé », ont insisté les participants à nos 19es rencontres Agrodistribution. Accompagnement, formation et nouvelles approches commerciales, les dix experts ont débattu des leviers à activer pour accélérer leur déploiement.

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Promesse d’une agriculture durable et plus respectueuse de l’environnement, les biostimulants et produits de biocontrôle occupent une place croissante dans les débats. En ce sens, le secteur se structure : les associations comme Alliance biocontrôle, France biocontrôle, Abba (Association biocontrôle et biostimulation pour l’agroécologie) ou Afaïa fédèrent les acteurs, tandis que des dispositifs publics, comme le Parsada ou le Grand défi biocontrôle et biostimulation pour l’agroécologie, soutiennent la recherche et l’innovation.

Pourtant, sur le terrain, les biosolutions peinent à se faire une place. En témoigne le baromètre d’Alliance biocontrôle : la part de marché du biocontrôle en France n’était que de 12 % en 2024, loin de l’objectif de 30 % fixé pour 2030. Du côté des biostimulants, la croissance à deux chiffres observée ces dernières années doit beaucoup à la flambée des prix des engrais, qui les a cantonnés dans un rôle de substitut conjoncturel plus que de véritable levier stratégique.

Alors quels leviers actionner pour ancrer ces solutions dans les pratiques et faire passer leur déploiement à la vitesse supérieure ? C’est à cette question qu’ont tenté de répondre les dix intervenants de nos 19es rencontres Agrodistribution, en démarrant les débats par un état des lieux du terrain.

Selon notre enquête Agrodistribution-ADquation de mars réalisée auprès de 401 agriculteurs exerçant en grandes cultures, polyculture-élevage et élevage, 49 % d’entre eux déclarent utiliser des biostimulants. Un chiffre jugé « encourageant » et « rassurant » par Thibault Poisot, chef marché biostimulants chez Actura, qui souligne toutefois la difficulté de cadrer les biostimulants : « Où est-ce que les sondés ont placé la limite ? Est-ce qu’un bore 150 enrichi à 2 % d’algues est considéré comme un biostimulant ? »

« Peu d’innovation » en biocontrôle

Côté biocontrôle, ils sont 43 % à déclarer en utiliser (comme en 2023), mais là encore l’interprétation reste à nuancer. « J’ai peur que le soufre représente une grosse majorité », alerte Ludivine Manoury, chef marché soins des cultures chez Andermatt France. Kévin Larrue, directeur innovation chez Océalia, pointe le manque d’alternatives en grandes cultures : « Le panel de solutions est limité. L’arrivée des phosphonates a permis de déplafonner les utilisations, mais il y a peu d’innovation. » Une situation exacerbée par des délais d’homologation jugés trop longs, que les associations tentent aujourd’hui de réduire afin de faciliter l’entrée de nouvelles solutions.

Changer de modèle

Interrogés sur les freins à l’adoption, les agriculteurs citent en premier l’absence de besoin ressenti. Un constat que Kévin Larrue préfère voir comme une opportunité : « Une large part des agriculteurs demandent à être convaincus. Cela signifie que la porte reste ouverte. » Vient ensuite le doute sur l’efficacité, hérité de la première génération de produits. Partiellement efficaces, mal maîtrisés et mal conseillés, ils ont terni l’image des biosolutions. D’autant plus que, contrairement aux produits conventionnels dont l’action est visible, l’effet des biostimulants reste parfois imperceptible. « Souvent, les agriculteurs n’ont pas de témoins dans la parcelle, donc sans les mesures, les pesées, les agriculteurs voient le surcoût du produit mais pas le bénéfice », illustre le directeur innovation d’Océalia.

Un frein qui en entraîne un autre : le prix. « Pour moi, les deux sont liés, parce que si l’on est conscient de l’intérêt que peuvent apporter les biosolutions et que l’investissement est rentable, cela encourage à les utiliser quel que soit le contexte économique », analyse-t-il. Mais pour Alexandre Hallier, directeur appros international chez Soufflet agriculture, cet argument masque surtout un manque de connaissances : « C’est une réponse facile pour dire qu’on ne maîtrise pas. En réalité, il y a surtout un besoin de formation et de compréhension. » Le déficit de connaissances est d’ailleurs le quatrième frein cité par les agriculteurs. Et pour cause, l’utilisation des biosolutions impose une approche à 360° des systèmes agricoles puisque leur efficacité varie en fonction des conditions locales, des pratiques agricoles et des cultures. « Cela implique de changer de modèle et d’accompagner les équipes dans ce changement », souligne Kévin Larrue.

La jungle des biostimulants

Et s’approprier les biosolutions n’a rien d’évident. « Ce terme regroupe beaucoup de choses, peut-être trop, constate Ludivine Manoury. Certains utilisateurs ne savent même pas dans quelle catégorie classer leurs produits. » Une confusion que partage Marie-Emmanuelle Saint-Macary, formatrice indépendante et directrice scientifique chez Frayssinet : « Le fait que les taux d’utilisation des produits de biocontrôle et des biostimulants soient similaires montre que, pour les agriculteurs, il s’agit de la même chose. Il faudrait clarifier leurs rôles respectifs, car ce flou ne favorise pas leur déploiement. »

La confusion est d’autant plus grande que les agriculteurs comme les distributeurs évoluent dans une véritable jungle de biostimulants. Le marché a explosé, attirant une multitude d’acteurs. « En un an, j’ai rencontré 85 fournisseurs différents, chacun proposant de 5 à 30 solutions. Et dans la majorité des cas, il s’agit de produits similaires, mais présentés avec un discours, un positionnement ou un argumentaire différent », raconte Thibault Poisot.

Résultat : une offre pléthorique qu’il faut trier. « La réglementation est moins contraignante pour homologuer les biostimulants, ce qui fait que certains fabricants connaissent moins bien leurs solutions. Le travail de décryptage revient donc à la distribution, qui doit tester et comprendre dans quelles conditions le produit s’exprime ou non », regrette Kévin Larrue.

Et même lorsque l’efficacité est au rendez-vous, reste encore à catégoriser les solutions. « Nous avons testé des produits venus d’Amérique du Sud avec des résultats prometteurs, mais impossibles à classer : il n’existe pas de case officielle pour les commercialiser », déplore Thibault Poisot.

Une opportunité à saisir

Cette complexité n’empêche toutefois pas les biosolutions de s’imposer comme un pilier de la transition agroécologique. Et si elles se sont d’abord développées dans les cultures spécialisées, elles gagnent désormais du terrain en grandes cultures, où les opportunités ne manquent pas. « Le marché des biostimulants doit désormais aller au-delà de la gestion des stress climatiques pour s’ouvrir à l’efficience nutritionnelle, aux gains qualitatifs, etc. », projette Romain Careghi. Confiant, il ajoute : « Nous avons les forces vives là où il faut pour continuer à avancer et permettre à nos agriculteurs d’atteindre ces fameux retours sur investissement. »

Un optimisme que partage Kévin Larrue : « C’est un marché d’avenir, puisque les aléas climatiques ne cessent de se multiplier tandis que les solutions conventionnelles se raréfient. Il faut investir dans la technique et dans la compréhension de ces solutions pour donner de la conviction à nos équipes. Car pour qu’un technico-commercial soit convaincant, il doit d’abord être convaincu. Ceux qui font l’effort aujourd’hui investissent dans l’avenir. »

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