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GENEVIÈVE NGUYEN et FRANÇOIS PURSEIGLE, enseignants-chercheurs à l’INP-Ensat « Accompagner la pluralité des stratégies d’exploitation va demander un travail de dentellière »

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Enseignants-chercheurs à l’INP-Ensat (1), Geneviève Nguyen et François Purseigle observent la mutation des exploitations agricoles, notamment dans le cadre de la chaire Germea (2), dont les coopératives Euralis, Terrena et Vivescia sont mécènes. François Purseigle a partagé d’ailleurs le fruit de ses travaux et réflexions dans un récent ouvrage coécrit avec Bertrand Hervieu, « Une agriculture sans agriculteurs ». Pour Agrodistribution, les deux enseignants reviennent sur l’essentiel des évolutions constatées tout en mettant en écho les besoins en accompagnement qui en découlent.

Comment évolue la population agricole aujourd'hui ?

François Purseigle : Selon la MSA, le nombre d’exploitations agricoles est passé de 1,587 million en 1970 à 398 794 chefs d’exploitation en 2020. Ce recul s’est accompagné d’une transformation des structures d’exploitation en termes de surface, de taille économique, d’architecture juridique, de mode de gouvernance ou encore des formes de mobilisation de la main-d’œuvre, avec une forte augmentation de la délégation des tâches ou des associations d’exploitants. De 2010 à 2020, on note une baisse de 31 % des micro-exploitations (moins de 25 000 €/an de production brute standard) et une progression de 3,4 % des grandes exploitations (PBS supérieur à 250 000 €/an), seule catégorie à avoir progressé. Mais attention, les statistiques ne disent pas tout. La surface moyenne des exploitations française, qui serait de 69 hectares, ne dit rien de leur montée en complexité et des groupes de société à l’œuvre dans certaines filières.

Quelle est votre analyse de l'évolution des exploitations ?

F. P. : Nous décrivons l’évolution des structures d’exploitation avec notre regard de sociologue qui amène à identifier trois faits marquants. Le premier est l’amenuisement, accompagné du vieillissement, de la population des chefs d’exploitation, c’est-à-dire les agriculteurs, mais également des actifs familiaux. La deuxième tendance est un éclatement des structures. C’est paradoxal car, en sociologie, le phénomène minoritaire est souvent décrit comme amenant à l’homogénéisation des pratiques et pensées. Or, les exploitations agricoles sont toujours plus différentes les unes des autres. Les travaux de la chaire Germea montrent d'ailleurs que cet éclatement s’accompagne d’une fragilisation du modèle de l’exploitation familiale et d’une quasi-disparition de l’exploitation conjugale. Troisième tendance : l’affrontement. Dans le livre, nous parlons de dispute. En effet, des affrontements ont lieu avec des populations qui ne voient pas l’activité agricole de la même manière, y compris au sein même du monde agricole.

Geneviève Nguyen : Pour compléter, nous observons le développement rapide d’une grande diversité de structures d’exploitation avec des formes d’organisation du travail et des logiques productives nouvelles : des très grandes entreprises agricoles intégrées, des collectifs inédits, des exploitations qui délèguent et font faire notablement…

« C’est un grand défi pour les TC de rendre les exploitations attractives pour les nouveaux porteurs de projet »

Quelles en sont les conséquences en termes d'accompagnement ?

G. N. : Les trois tendances affectent les modalités d’accompagnement et les solutions proposées. Un conseiller n’est plus forcément face à l’interlocuteur classique qu’est le chef d’exploitation. Il peut avoir affaire à un gérant, à un salarié, à de multiples associés aux compétences différentes. Et, les besoins ne seront pas les mêmes d’une exploitation à une autre puisque l’on a un éclatement du modèle. D’autre part, l’affrontement observé au sein de la population agricole arrive à un moment où des besoins de « faire avec » se font ressentir. Comme certains agriculteurs ne peuvent pas s’entendre, les solutions de mutualisation ne pourront pas toujours être proposées par le conseiller.

F. P. : Le TC va devoir repenser ce qui fait une unité de production. En effet, les contours des unités de production ne correspondent plus toujours à ceux de la société civile d’exploitation, mais à ceux d’agencements complexes qui relèvent de l’association sous des formes nouvelles, de l’intégration de salariés ou d’une délégation d’activités plus ou moins affirmée. L’offre de conseil va alors forcément évoluer dans ces nouveaux périmètres. Les agents des coopératives ou négoces doivent ainsi identifier au mieux les objectifs et stratégies des chefs d’entreprise agricole et leur capacité à faire, afin de maintenir la capacité de collecte et d’approvisionnement.

Et comment voyez-vous le rôle des coops et négoces dans les reprises d'exploitation ?

F. P. : C’est un grand défi pour les TC, et leurs coopératives ou négoces, de faire en sorte que les exploitations agricoles puissent être suffisamment attractives pour les nouveaux porteurs de projet. D’autant plus que le renouvellement non pas seulement des générations mais plus largement des actifs agricoles est le premier défi à relever pour maintenir la capacité de production (mais on est en retard sur ce plan-là) et réussir la transition agroécologique. Pour faciliter la reprise, une nouvelle forme de conseil est à construire afin de réaliser un diagnostic très précis, et trop rarement fait, pour être au clair sur la structure qui va prendre en charge le projet d’un autre et l’aider à se réadapter. En effet, l’agriculteur cédant devra laisser une exploitation qui correspondra aux nouvelles ambitions des porteurs de projet.

G. N. : Il est également important de souligner la difficulté à saisir qui sont les potentiels repreneurs et à les accompagner, tellement les profils peuvent être différents. Parmi ceux-ci, une majorité va adopter des figures d’actifs agricoles que les TC n’ont pas l’habitude de côtoyer : des entrepreneurs à la tête de grandes exploitations agricoles et en mesure de piloter d’autres unités de productions, des étudiants sortant d’écoles d’ingénieur ou des professionnels en reconversion voulant s’installer sur des modèles alternatifs… François pilote d’ailleurs une thèse sur les dispositifs d’installation innovants. On voit ainsi émerger des collectifs de dix à vingt individus qui s’installent avec des compétences différentes sur très peu de foncier agricole.

Des nouvelles offres seront donc à déployer ?

F. P. : J’invite en effet les coopératives et négoces à se positionner sur des offres innovantes en étant partenaires de la restructuration de l’exploitation, non seulement sur le plan du conseil, mais aussi sur le financement. Face à la diversité des situations, ça sera d’ailleurs un travail de dentellière : il va falloir une pluralité de packs en termes de services.

G. N. : Le financement du matériel va être également un point majeur car avec une agriculture « triplement performante », on va vers du matériel et des intrants plus chers. Mais avec les problèmes d’affrontement, l’action collective doit être réinventée autour d’alliances nouvelles. Nous observons ainsi sur le terrain des partenariats inédits entre acteurs classiques des filières et des figures originales d’intermédiaires et de chefs d’orchestre. Et si dans les dix ans à venir, des exploitations ne peuvent être reprises, il va falloir aussi imaginer des portages transitoires.

Les acteurs du terrain bougent-ils suffisamment ?

F. P. : Depuis que nous avons lancé nos travaux, nous constatons que les opinions évoluent. Cela bouge bien depuis quelque temps, mais pas au rythme de l’effacement. Le nombre de reprises ne sera pas suffisant pour maintenir la capacité de production. Les coopératives ont d’ailleurs tout intérêt à éviter un décalage entre les instances de gouvernance et le terrain. S’ils ne sont pas alignés sur la même dynamique de transformation, il sera difficile de construire un projet commun.

(1) Institut national polytechnique - École nationale supérieure agronomique de Toulouse

(2) https://www.chaire-germea.fr

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