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L’organisation du travail revisitée

D’un travail à distance forcé, certaines entreprises vont en faire un atout de bien-être, d’efficacité et d’attractivité, ainsi que de réduction de charges et de CO2, en structurant le télétravail et en ancrant les visio.

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F ortement chamboulée par la crise du Covid-19, l’organisation du travail dans les entreprises vit des scénarios très hétérogènes après le confinement : les uns reviennent à la vie d’avant, alors que d’autres opèrent une vraie bascule et font ce « pas de géant » exprimé par Corinne Lelong, DAS de La Coopération agricole (ci-contre). Surtout sur le télétravail. En effet, autant les réunions en visio peuvent faire l’unanimité pour les gains générés, autant le télétravail n’est pas poursuivi par tous, en raison, entre autres, d’un vécu compliqué.

Ce n’est pas forcément une question de taille. Chez Phyto Service, avec 80 salariés sur 19 sites, le télétravail existe depuis 2002 grâce à la volonté de sa dirigeante, Laurence Gosseaume, qui a « encore plus flexibilisé » son organisation interne pour parer à toute nouvelle crise. Et c’est par souci d’anticipation que Frantz Gault, de LBMG, spécialiste du « travailler autrement », invite à le maintenir.

Justement, parmi ceux revenus à la « normale », certains ne s’interdisent pas d’étudier la pertinence de réintroduire du télétravail. Au négoce Lepicard, sa responsable RH, Émilie Bocquet, évoque « une réflexion en cours pour un télétravail ponctuel ».

Des vécus très hétérogènes

Chez Armbruster, le sujet sera abordé lors de la révision de l’accord sur la durée du temps de travail vers la fin de l’année. « Le télétravail peut être bénéfique pour certains postes à raison d’une demi-journée ou une journée pour étudier des dossiers de fond. Et il peut être un élément vendeur pour les jeunes », explique Lydia Cazevieille, sa responsable RH. Une approche prudente car de la cohésion d’équipe a été perdue « et le rapport à l’autre est différent en virtuel, on voit moins sa réaction ».

Un vécu négatif que met aussi en avant Nicolas Lecat, DG de RAGT Plateau central, pour expliquer sa non-reconduction : « L’expérience n’a pas été positive pour tous en raison de conditions inappropriées. Toutefois, si nous sommes amenés à aborder ce sujet, nous prendrons le temps de le faire avec les représentants du personnel. »

Chaque situation est en fait particulière. Parmi les entreprises qui font la bascule, les retours peuvent être très positifs, comme chez Terrena avec 95 % des télétravailleurs ayant eu un bon vécu, et chez NatUp où 90 % souhaitent le faire perdurer. Et des opposants au télétravail en sont devenus ses promoteurs, à l’image de Philippe Grié, DRH du groupe Terrena (lire p. 29), qui est en train d’en étudier les modalités.

Des mises en place par étapes

Pour sa part, NatUp, va mettre en place de façon structurée le télétravail pour le personnel éligible (200 sur 1 500) en débutant par un jour par semaine sur un an. « Si c’est concluant, nous passerons à deux jours par semaine », précise Yann Lapeyronnie, son DRH. Selon leur enquête interne, 75 % des télétravailleurs ne souhaitent pas dépasser les deux jours par semaine afin de préserver les moments de convivialité.

La coopérative Valfrance emprunte le même chemin avec un test d’une journée par semaine, de septembre à décembre, pour la trentaine de personne du service administratif (sur un effectif coop de 150), qui se transformera « en deux jours par semaine à partir de janvier s’il est concluant », commente Laurent Vittoz, son DG. Les services de la centrale d’achat Actura vont aussi fonctionner à un rythme de deux jours télétravaillés possibles par semaine, « à l’appréciation du chef de service et formalisés par une charte déjà en cours avant la crise », précise Éric Barbedette, son dirigeant. Chez Terres du Sud, une charte est aussi en projet pour « instaurer un modèle durable pour les équipes des fonctions supports », informe le président, Patrick Grizou. Au négoce Carré, « des collaborateurs sont restés à 100 % en télétravail, en particulier ceux à risque, d’autres font un jour sur deux par semaine, et certains sont revenus à temps plein », explique Claudine Duval, sa responsable QHSE.

Des accords ou chartes vont se profiler d’ici à la fin de l’année. NatUp, qui avait déjà une vingtaine de collaborateurs en télétravail (convenu lors du recrutement), formalisera un accord entre mi-septembre et mi-octobre « car les demandes sont assez pressantes et il s’agit de ne pas laisser les anciennes habitudes revenir ».

Trois enjeux majeurs

Ce dernier argument est une des motivations de Sébastien Graff, DRH du groupe InVivo, pour instaurer une nouvelle organisation du travail, avec une situation urbaine du siège qui y pousse encore plus. « Le télétravail devient une norme à raison de 50 % du temps travaillé avec trois formules (1 semaine sur 2 ou 1 jour sur 2 ou 2 à 3 jours par semaine), des horaires décalés pour les journées au bureau afin d’éviter le rush des transports, un bureau virtuel proposant des pauses-café et la livraison à domicile de repas équilibrés », détaille Sébastien Graff. Ce dispositif, expérimental durant un an, permettra de réduire de moitié les surfaces de bureau et de participer aux 5 à 10 M€ d’économies du plan de relance. Toutefois, pour Sébastien Graff, le télétravail représente avant tout trois enjeux majeurs : « Préserver l’équilibre vie pro et vie perso des collaborateurs ; maintenir, voire améliorer la performance au travail ; et concilier collectif et connectivité. » Avec un volet managérial essentiel assorti d’une formation des managers.

NatUp programme également une telle formation, mettant aussi dans la boucle les salariés concernés. « Télétravailler sur du long terme n’a rien à voir avec la situation d’urgence vécue. Cela ne s’improvise pas. De nouvelles contraintes seront à gérer. Chacun a à prendre conscience que ce n’est pas anodin », insiste Yann Lapeyronnie. Pour Frantz Gault, le télétravail interpelle en effet sur plusieurs points essentiels : « Ce qui peut être fait en présentiel ou en distanciel, comment faire vivre le collectif, quelle valeur donner au présentiel, comment transmettre une bonne pratique, surtout quand il a été vécu de façon dégradée. »

Intégrer les schémas émotionnels

Des points de vigilance sont en effet à examiner, notamment pour éviter ou limiter le risque de fracture sociale. Afin de pallier tout éventuel fossé entre « cols blancs » et « cols bleus », Frantz Gault suggère « d’apporter aussi de la flexibilité aux cols bleus en ajustant les horaires, le temps de travail, et de créer un système d’échanges avec des tandems cols blancs - cols bleus ». Cette solution peut sembler idéaliste mais, quoi qu’il en soit, il estime que « le télétravail ne crée pas de problèmes, il les révèle tout en remettant le travail à sa juste place, car on travaille pour vivre et non l’inverse ». Pourquoi ne pas aussi offrir la possibilité de travailler ponctuellement à distance comme NatUp le propose à ceux ne pouvant pas télétravailler, que ce soit pour régler un projet ou de l’administratif. Les TC pourront, entre autres, en bénéficier.

On touche là du doigt le sujet sensible de l’intégration des schémas émotionnels dans la vie de l’entreprise. Un sujet pris en main par Dijon céréales, qui va donner suite à son initiative durant le confinement par le test d’un numéro vert d’écoute des salariés (lire ci-dessous). « Une ligne a été franchie, car c’est la première fois de ma carrière que je vois les entreprises intégrer les schémas émotionnels personnels avec autant de puissance dans leur approche, relate Alain Baraton, consultant du réseau Motival. En tant que coach, nous ne pouvons pas nier la vie personnelle. Et quand on concilie vie pro et vie perso, on monte beaucoup plus vite en compétence. Je croise les doigts pour qu’il en reste quelque chose, pour que perdure ce souci de prendre soin les uns des autres. » D’ailleurs, son réseau a recruté l’an dernier un sophrologue. « Le Covid est un accélérateur car nos clients coops ou négoces se demandent comment leurs salariés ont vécu la situation. Dans nos formations sera ajoutée une approche sur le développement personnel. »

La digitalisation, poussée à outrance par le confinement, peut justement faciliter la vie si elle est à bon escient et bien dosée. Le Covid a été ainsi un accélérateur de la communication et de la formation à distance et, plus globalement, du déploiement du digital chez certains, à l’image de NatUp qui en fait, dans son cas, un évènement plus marquant que le télétravail. Ou encore de Valfrance qui passe « à une très forte automatisation dans les silos, indique Laurent Vittoz. Nous allons utiliser des équipements de GMAO et déployer des systèmes de flash code qui pourront être lus par les smartphones des collaborateurs pour simplifier leur travail et réduire les échanges de papiers. »

Moins de déplacements fait du bien

Quant aux visioconférences, elles sont entrées dans le quotidien de nombre d’entreprises pour les gains générés en temps, en argent et en émission de C02. Au groupe Carré, « les réunions vont se dérouler au maximum en visioconférence, indique Claudine Duval. Ce sera notamment le cas des comités de direction. » Chez Lepicard, le pli a été pris aussi, « même si nous sommes sur le même site car cette pratique fait gagner du temps en allant à l’essentiel », avance Émilie Bocquet. Pour sa part, regrettant le manque d’interaction durant le confinement, Lydia Cazevieille juge toutefois la visioconférence pertinente pour éviter des déplacements « si elle se déroule entre 4 et 5 personnes et sur une courte durée ». Terres du Sud privilégie aussi les petits comités, « sinon, c’est plus compliqué, reconnaît Patrick Grizou. Quoi qu’il en soit, réduire les déplacements fait du bien à la planète et supprime les risques pris au volant. Faire 10 heures de route pour se rendre à Paris pour 3 heures de réunion, ce n’est plus possible. »

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