Leurs priorités, leurs valeurs, leurs clés pour réussir La nouvelle vague de dirigeants
Neuf « patrons » de coopérative ou de négoce, ayant pris leur fonction en 2020 ou 2021, ont accepté de témoigner sur ce qui leur tient à cœur dans leur nouvelle mission. Gageons qu’ils sauront transformer les difficultés en tremplins et mener collectivement leur entreprise dans un contexte qui, derrière sa complexité, peut être source d’ouverture et d’enrichissement.Par Hélène Laurandel avec les correspondants
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Les récentes nominations de directeurs chez Limagrain, Natura’pro, Maïsadour ou encore, dans un futur proche, Cérèsia, corroborent le titre de ce dossier inspiré par le rythme plus soutenu de mouvements depuis deux à trois ans à la tête des coopératives et négoces. Neuf dirigeants, dont deux associés (lire p. 28), qui ont pris leurs fonctions entre l’an dernier et cette année, ont bien voulu témoigner sur leur façon de mener à bien leur mission. Ces témoignages cohabitent dans une palette de profils donnant le ton de la réalité terrain. Cependant, au-delà de leurs différences, ces DG manifestent des points communs entre la passion pour leur nouvelle mission et la volonté de la remplir en s’appuyant sur le collectif. Une volonté retrouvée autant côté coopératif, avec son mode de gouvernance participatif, que côté négoce, à l’image du groupe familial dans lequel navigue Paul Bidaut (p. 31) et qui a fait appel à une coach afin de mieux « avancer tous ensemble ». Ou de Maximilien Carré (p. 27) qui nourrit ses réflexions à partir de ses réseaux.
Vers un retour aux valeurs
Ces nouveaux dirigeants feront-ils bouger les lignes, si elles ont à bouger ? Ayant en dessous de la cinquantaine, voire la quarantaine pour la plupart de ceux qui témoignent dans ce dossier, comment abordent-ils leur fonction à partir de leurs valeurs et de leurs expériences ? Quelles sont leurs priorités et leurs clés pour réussir ?
Ils reprennent souvent la main après un départ à la retraite, comme chez EMC2 (p. 32), ou un changement d’horizon de l’ancien directeur, à l’exemple de Val’Limagne. coop (p. 26), ou dans le cas d’une succession comme souvent chez les négoces. « Nous avons toute une génération de dirigeants arrivant à la retraite, observe Olivier Claux, directeur associé de MG Consultants. Depuis cinq ans, nous gérons cinq à dix recrutements par an de DG pour des coopératives ou des négoces. »
Ce cabinet de recrutement est au cœur de ces mouvements d’hommes ou de femmes leaders. Tout comme le cabinet Biloba qui a été amené à chercher six à sept dirigeants cette année, au lieu de quatre habituellement, et a d’ailleurs des recrutements de dirigeant en cours pour trois coopératives et un négoce versés dans les productions végétales « C’est lié à un fort vieillissement de la pyramide des âges. Il y a aussi des exigences en nouvelles compétences et ce souhait pour les coops, de vouloir retourner vers le modèle coopératif au sens strict, commente Laurent Larlet, son gérant. Nous avons connu en effet il y a une quinzaine d’années des recrutements plutôt de techniciens de la gestion avec des CV éloignés de l’agriculture. Aujourd’hui, de nombreuses demandes sont faites avec un retour aux valeurs principales de la coopération et même du négoce. »
5 nouvelles dimensions demandées
Comment sont alors recrutés les dirigeants d’aujourd’hui ? Chez MG Consultants, on insiste en premier lieu sur l’opportunité que représente le départ d’un directeur, surtout quand il a été longtemps en poste, pour repenser l’organisation de la direction générale. « Quand nous rencontrons un client, nous lui demandons d’abord vers quoi va aller la structure dans les cinq ans, pour bien définir le profil. Parfois, on peut même procéder à plus d’un recrutement pour remplacer un directeur qui avait plusieurs casquettes », avance Olivier Claux qui invite à rechercher des candidats qui complètent, par leurs compétences, l’équipe en place. Cette complémentarité peut être recherchée également avec le président dans le cas d’une coop. « Nous faisons alors passer le test de personnalité aux candidats et au président, pour ensuite les confronter. Le président peut préférer une personne complémentaire à lui dans le cadre de leur binôme », explique Olivier Claux.
Aujourd’hui, parmi les critères recherchés chez un futur dirigeant, cinq dimensions sont régulièrement demandées : l’aptitude à la communication, la sensibilité à l’innovation et au marketing, des qualités politiques (pour négocier des alliances ou rapprochements), une certaine connaissance financière et budgétaire et, élément majeur, la conduite du changement. En effet, comme le fait remarquer de son côté Laurent Larlet, « on attend d’un nouveau dirigeant qu’il mène le changement. Or, coops et négoces ont d’importantes évolutions à piloter, notamment avec la loi EGalim et la transition agroécologique. » C’est pourquoi il observe, dans les profils attendus, une tendance forte à privilégier une personne qui parle métier car plus crédible pour faire acter le changement. « Une coop recherche davantage aujourd’hui la défense de ses valeurs coopératives avec un dirigeant tourné vers le revenu des adhérents, les filières et l’innovation. Quant aux négoces, on sent une priorité donnée à la capacité de rassembler les hommes et à préserver la stabilité des équipes. »
Être l’animateur du collectif
Toutefois, le recrutement d’un DG n’est pas si simple que cela, selon Aurélien Caurier, DG de Sevépi (p. 25), qui parle de « mercato des DG ». Il est vrai que quelle que soit la structure, son animation devient plus complexe dans un contexte multifactoriel, mais elle peut représenter une source d’enrichissement et d’épanouissement non négligeable. Le volet humain de cette fonction prend ainsi de l’ampleur avec l’ouverture vers le bien-être des salariés, les enjeux sociétaux et environnementaux et avec la diversité de situations à embrasser entre des agriculteurs dans le bio, d’autres dans l’ACS et d’autres encore se mobilisant sur le stockage du carbone. Sans parler des nouvelles filières à monter, des partenariats à construire tout en gardant l’indépendance de l’entreprise. « Ce métier de dirigeant devient beaucoup plus riche et plus intéressant. D’autant que le DG est censé être l’animateur du collectif dans l’entreprise, tout en rendant plus perméables les relations entre les différentes fonctions, ajoute Laurent Larlet. C’est passionnant. Encore plus pour la génération 35-40 ans qui a de l’énergie, de la conscience et du temps pour mettre en place de nombreuses choses. » Intervenante sur la formation Aristée, Emmanuelle Ferrari, du cabinet Cap Sirius (ci-contre), salue pour sa part « le challenge passionnant des nouveaux dirigeants qui sont au cœur des grands enjeux de notre monde. Ils ont des cartes à jouer très intéressantes. Avec leur jeunesse, leur dynamisme, en étant à l’écoute de leur monde, ils ont de belles choses à accomplir. »
Comprendre la complexité du métier
Toutefois, à la différence de leurs aînés, cette jeune génération serait sûrement moins encline à s’engager vingt ans ou plus à la tête de la même structure, surtout en coopérative. « La génération des dirigeants historiques de coop va disparaître », présage Laurent Larlet. Aurélien Caurier abonde dans ce sens : « Est-ce que les jeunes dirigeants de coops se voient faire ce métier dans 20 ans ? Je ne pense pas. Ce n’est pas notre entreprise et c’est un métier très impliquant et sollicitant. En outre, quand rien ne va, on tend à se décharger très vite sur les directeurs. » Aussi, il pense que « le grand enjeu du Dirca (NDLR : mouvement des cadres dirigeants de la coopération agricole auquel il adhère) est d’arriver à faire comprendre la complexité de notre métier ». Le jeune dirigeant trouve pertinente l’idée d’une meilleure préparation à ce poste. « Si ça tangue, comment gérer la situation ? » Il aimerait dans ce sens une approche complémentaire à la formation Aristée, pour les dirigeants de coops, qu’il a suivie avant de prendre sa fonction de DG. Le sujet est délicat, tout comme la négociation du contrat de travail pour les dirigeants salariés de coop ou le risque d’éphémérité de ce poste soulevé par certains.
Est-ce que le projet en réflexion à ce jour de créer un module de gouvernance commun entre Aristée et la formation Sénèque pour les administrateurs, pourrait contribuer à lever certains doutes et à une meilleure compréhension entre les parties ? Le parcours diplômant Aristée, organisé par l’Essec, LCA Solutions + et le Dirca, est dédié aux dirigeants salariés des coops. Sa 10e promotion va démarrer en janvier 2022.
Un accompagnement du Dirca
C’est en fait le Dirca qui a poussé l’idée d’Aristée. Outre la formation, ce mouvement a trois autres objectifs : défendre les intérêts des cadres dirigeants salariés, être un creuset de réflexions et d’échanges et accompagner au quotidien, grâce à sa déléguée générale, Julie Demay, les dirigeants qui débutent dans la fonction, notamment, ou ceux en situation difficile telle une fin de contrat rapide.
Un nouveau service est proposé depuis cette année : un dispositif de parrainage qui permet de mettre en contact un adhérent ayant une problématique à résoudre avec un des 65 membres parrains bénévoles de tous âges et de tous secteurs. « Plusieurs jeunes dirigeants ont sollicité cet accompagnement pour des questions de management ou techniques, avance Julie Demay. Nous avons négocié également des tarifs privilégiés avec six coachs que nous pouvons recommander à nos membres. » Par ailleurs, le Dirca a œuvré à un guide d’entretien annuel entre le président et le directeur. « Ce guide a été validé par La Coopération agricole en juin dernier, détaille Christian Cordonnier, son président. L’idée est de se poser vraiment une fois dans l’année, de prendre ce temps-là pour contribuer à fluidifier la relation. » Et ainsi participer à une certaine harmonie au sein de la structure et à titre personnel.
Négoce : le Club Nouvelle génération
Quant au négoce, il propose également deux clubs de réflexions et d’échanges à ses entreprises. C’est Négoce Expansion qui abrite ainsi le club Dirigeants et le club Nouvelle génération qui, comme son nom l’indique, réunit des jeunes négociants en fonction ou en réflexion sur la transmission ou sur le fait de continuer ou pas le métier. Avec le premier, l’objectif est de nourrir l’analyse sur l’orientation à donner à l’entreprise à partir de thématiques spécifiques. « C’est un laboratoire d’idées qui doit conduire à des actions concrètes », ajoute Lucie Martin, animatrice du club. Depuis un an, tout un travail est engagé par Négoce Expansion, avec le concours de Demeter, sur le thème de la prospective, avec des ateliers et des actions de formation. « Une publication sera finalisée en janvier pour diffusion auprès du club Dirigeants », précise François-Claude Cholat, président de Négoce Expansion.
Le second axe de travail porte sur le renouvellement des générations avec la formation et le club Nouvelle génération. « C’est un club très dynamique et très enrichissant, 30 ans de moyenne d’âge, qui s’intéresse à toutes les nouvelles tendances, aux filières, développe Marie-Sophie Curtelet, son animatrice. Des rencontres sont organisées avec des jeunes agriculteurs, jeunes meuniers et aussi le CJD rassemblant des jeunes dirigeants de tous secteurs d’activité économique. » Un des objectifs étant de se créer des réseaux d’échanges. Une façon de braver la fameuse solitude du dirigeant.
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