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4 clés pour savoir exprimer sa vulnérabilité au travail

Julien Bruno, psychologue du travail, psychothérapeute au Centre Pierre Janet à Metz (julien.bruno@univ-lorraine.fr)

On considère parfois que la vulnérabilité ne relève que du domaine privé et n’a rien à faire dans le monde professionnel. Mais les grandes transformations du travail, la mondialisation, la concurrence, en imposant des défis nouveaux, ont contribué au règne de la performance et à mettre ses émotions de côté. Pourtant la vulnérabilité ne doit pas être vue comme une fragilité, explique Julien Bruno, psychologue du travail à Metz. Exprimée, comprise, gérée, elle peut même être facteur d’évolution dans une entreprise.

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Reconnaître que c’est une responsabilité de l’entreprise. Il y a une cinquantaine d’années, alors que la France était un pays davantage industriel, ce terme de vulnérabilité recouvrait les problèmes physiques, le handicap, la maladie, mais n’avait pas de connotation psychologique. Tout le monde allait au turbin et il ne fallait pas se plaindre. Mais depuis une quinzaine d’années, la notion de bonheur au travail a fait son apparition, dans la foulée de la création des start-up. Avec des nouveaux profils comme ces managers du bonheur qui ont installé des baby-foot et organisé des petits-déjeuners conviviaux. Le corollaire a été que, s’il était question d’épanouissement, il fallait reconnaître l’inverse, le mal-être. L’entreprise est peu à peu devenue l’endroit qui avait elle aussi une responsabilité sur notre santé, notre bonheur. Depuis, une de ses composantes de la souffrance professionnelle, la vulnérabilité, peut davantage s’exprimer.

Formuler ses limites. Exprimer cette sensation de fragilité, d’inadéquation entre ce que vous êtes et ce que vous faites, c’est savoir parler de ce qui ne vous convient pas. Être capable de dire ses limites, avec pour objectif de demander de l’aide. Parfois il y a maldonne au départ, lors de l’embauche, lorsque le profil ne correspond pas avec la fonction. Comme lorsqu’on demande à quelqu’un d’introverti, ou qui n’a pas encore toutes les armes en main, de prendre la parole régulièrement en réunion. C’est souvent aussi une difficulté à atteindre les objectifs, en raison d’une surcharge de travail. Cette vulnérabilité peut résulter d’un entourage difficile, de collègues qui manquent d’empathie, d’un n + 1 exigeant mais formulant mal ses demandes, d’un manager peu reconnaissant. Enfin, le salarié peut être aussi affecté par des problèmes dans sa vie privée, une maladie, qui vont entraver ses capacités professionnelles.

Libérer la parole. Pour exprimer ce mal-être, je conseille déjà au salarié d’en discuter avec ses collègues, qui occupent des postes similaires, afin de savoir si certains ont le même ressenti. Il faut ensuite en faire part au manager qui a défini le poste. S’il y a inadéquation entre les compétences réelles du salarié et le poste, c’est de sa responsabilité. Mais attention, l’expression de cette fragilité ne doit pas être un « déversoir » pour un mal-être plus général, s’il est lié notamment à un caractère difficile, des relations conflictuelles avec ses collègues… ou son conjoint ! Le cadre doit rester resserré autour du poste en cause et des missions.

Faire émerger des nouvelles ressources. L’expression, assumée, de cette vulnérabilité va permettre aux managers, au service RH, de prendre conscience de ce qui ne va pas et de remettre en cause certains fonctionnements. Ce n’est pas forcément la personne qui est en défaut, mais parfois le poste lui-même. Un manager peut en tirer parti pour faire progresser son service en faisant mieux coïncider capacités et objectifs. Une nouvelle organisation va peut-être faire surface, des nouvelles ressources pour l’entreprise vont émerger grâce à ce que j’appelle le partage social des émotions. Cela peut passer par des formations, comme des entraînements à la prise de parole, pour un salarié peu à l’aise devant un auditoire, des reclassements, des changements de poste.

Dans une plateforme logistique, où les tâches peuvent être très répétitives, une alternance sur plusieurs postes de travail dans une même journée pourra être proposée, afin d’éviter la fatigue physique, et à plus long terme les troubles musculo-squelettiques. Donner l’opportunité aux salariés d’exprimer ce qui ne va pas va permettre de progresser dans la prévention. Lorsque j’interviens en entreprise, j’explique toujours qu’il faut remettre de l’humain dans la gestion des salariés, en plus des objectifs de croissance, de performance. La vulnérabilité fait partie de notre condition humaine. La nier, c’est aller à son encontre. Pouvoir l’exprimer, puis l’intégrer, permet à tous, entreprise et salariés, d’en sortir gagnant.

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