Séparation : le flou perdure
Encore beaucoup d’inconnues émaillent la future mise en œuvre de la séparation du conseil et de la vente pour les produits phytosanitaires, alors que l’échéance se rapproche.
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«La ligne de départ est au 1er janvier 2021 : c’est dramatique de ne pas en savoir plus à l’heure actuelle », déplore Didier Nedelec, délégué général de la FNA. Si la mise en œuvre de la séparation conseil et vente phytos inquiète toujours, elle commence à faire place à de la lassitude dans les entreprises, face à des textes toujours pas finalisés. En pratique, la mesure a été actée dans l’article 88 de la loi Alimentation, parue le 1er novembre 2018 au Journal officiel. Le texte renvoie à une ordonnance, qui après moult débats et plusieurs versions amendées, a été publiée au JO le 25 avril dernier (ordonnance n° 2019-361). Pour le reste, c’est le flou. Un décret est attendu pour définir le conseil stratégique et le conseil spécifique relatifs aux produits phytos rendus incompatibles avec la vente. Un premier jet a été présenté aux parties prenantes, dont Coop de France et la FNA, le 11 juillet. Celles-ci ont fait leurs remarques à la rentrée, et une version finalisée est en préparation : elle devait être soumise à consultation publique courant novembre. Outre ce décret « conseils », il manque les arrêtés des référentiels métiers pour le conseil, la distribution de produits phytosanitaires et leur application. Un décret viendra chapeauter l’ensemble de ces arrêtés. En résumé, il y a encore du pain sur la planche, et en attendant, l’heure tourne.
Référentiels métiers pour fin 2019
Contacté, le ministère de l’Agriculture indique : « L’objectif est que l’ensemble des textes (décret et arrêtés dits « référentiels » qui encadrent les champs d’activité « conseil », « application » et « distribution ») soient prêts d’ici la fin de l’année. » Il faudra ensuite qu’ils soient publiés au JO. Ces délais s’expliquent notamment par la difficulté de formaliser les nouvelles obligations. « Les référentiels sont très pratico-pratiques, il ne doit pas y avoir d’erreur d’interprétation possible », explique Émilie Rannou, responsable conseil et approvisionnement chez Coop de France Métiers du grain. Par exemple, quels sont les points de contrôle permettant de façon simple de prouver qu’il y a bien une séparation capitalistique entre vente et conseil ? Sachant que les typologies d’entreprises sont différentes entre négoces privés et coopératives. Sans compter qu’il est difficile de faire rentrer dans des cases précises le conseil aux agriculteurs, car il dépend du type d’exploitation, de ses objectifs, du contexte pédoclimatique, économique… C’est toute la complexité du décret « conseils ». En pratique, le conseil stratégique est obligatoire pour les agriculteurs : ils doivent y avoir recours deux fois en cinq ans. Le conseil spécifique, non obligatoire, est celui prodigué au cours de la saison, en fonction des bioagresseurs présents dans les parcelles, de leur évolution… Stratégique et spécifique sont incompatibles avec l’agrément de vente. Le vendeur est, lui, chargé du conseil relatif aux bonnes conditions d’utilisation des produits. La frontière est mince entre ce que le vendeur doit faire, et ce qui lui est interdit. D’où l’importance des référentiels métiers, qui devront clarifier les rôles de chacun.
En attendant, la distribution agricole ronge son frein. « Difficile de faire un choix quand les textes sont encore en discussion », résume Didier Nedelec. Malgré tout, certains se positionnent, mais la majorité des entreprises est dans l’expectative (lire encadré). D’autres « ont déjà choisi de mettre en place une facturation séparée entre le conseil et le produit », constate Jean-Nicolas Simon, consultant au cabinet Marketerras. Une façon de recréer de la différenciation vis-à-vis de ses concurrents et entre ses agriculteurs, mise à mal avec la fin des remises, rabais et ristournes sur les produits phytos. Face à ce contexte incertain, « on sent aussi que les entreprises cherchent à s’alléger, à réduire les coûts », analyse Jean-Nicolas Simon.
17 % des agriculteurs pour la vente
Quant aux agriculteurs, notre sondage ADquation-Agrodistribution (voir infographie) montre qu’ils préféreraient que leur distributeur choisisse le conseil plutôt que la vente : 64 % des répondants penchent pour cette option, notamment chez les moins de 50 ans (72 %) et en polyculture-élevage (69 %). À noter, il n’y a pas de différence significative entre les agriculteurs travaillant avec une coopérative ou un négoce. Seuls 17 % ont répondu en faveur de la vente, en particulier dans les fermes de 150 ha de SAU ou plus (24 %) et en grandes cultures (22 %). Et 19 % n’ont pas su se prononcer. « Ces chiffres montrent que les agriculteurs plébiscitent le conseil apporté par la distribution agricole, se félicite Didier Nedelec. Nous avons toute notre place. » Quant à la surreprésentation de l’option vente en grandes cultures et dans le Nord-Est, « cela pourrait être lié à la présence plus importante de groupements d’achats dans ces zones », avec des agriculteurs prenant leur conseil ailleurs, avance le représentant de la FNA. « Les résultats sont intéressants mais les exploitants connaissent-ils ce changement de réglementation ? », nuance Émilie Rannou chez Coop de France. Les principaux concernés ne sachant pas encore tous les tenants et aboutissants de la mesure.
Marion Coisne
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