Construire les modèles de demain
La multiplication des filières et la perspective de la séparation du conseil et de la vente apparaissent comme des déclics pour accélérer la modernisation des politiques commerciales.
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A l’aune des échanges menés lors de nos 14es rencontres, on ne peut sans doute pas parler de révolution dans les politiques commerciales de collecte, mais en tout cas on observe des évolutions de plus en plus rapides. Avant, on pouvait changer par exemple tous les cinq ans de PolCo, aujourd’hui, on peut voir des ajustements survenir quasiment chaque année. Pas forcément de ruptures donc, mais des politiques de plus en plus mouvantes, qui prennent en compte l’instabilité réglementaire croissante ainsi que le développement tous azimuts des filières.
De moins en moins de tout-venant
Cette explosion du nombre de cahiers des charges demandés par les clients pour les filières spécifiques, Gaëtan Synaeve, assistant commercial céréales chez Sevépi, l’observe sur son secteur : « La proportion de céréales en filière grignote tous les jours sur la part de céréales tout-venant. » Mais de manière générale, « toutes les démarches que font les entreprises aujourd’hui, c’est d’aller chercher de la valeur, et de la redonner derrière à l’agriculteur grâce à une rémunération supérieure de ces qualités spécifiques ». Tout cela nécessite, selon lui, « un gros travail de l’agent de relation culture » auprès des agriculteurs afin de rentrer dans le cadre de ces filières : pour réussir à transmettre aux agriculteurs les exigences de ces cahiers des charges, avec des filières qui refusent tel produit ou telle variété, et puis aussi pour aller chercher les documents de traçabilité. Car « on sait très bien que pour récupérer une traçabilité complète, il faut envoyer les équipes commerciales, il faut un suivi, parfois même deux rendez-vous ». Donc, selon Gaëtan Synaeve, le métier de TC a de l’avenir, même si, pour le coup, « on a fait plutôt le choix de rester sur du prix moyen pour ces contrats filières car cela reste compliqué au niveau logistique, en tout cas à grande ampleur, d’être sur du départ ferme ».
En termes de modes de commercialisation d’ailleurs, si le prix moyen et le prix ferme restent le socle, de plus en plus de ponts se font entre les deux. Unéal, par exemple, a créé il y a deux ans trois offres commerciales d’après moisson, pour ceux qui ne se sont pas engagés avant le 31 mars : PMH, PMP et PML (Prix moyen hiver, printemps, et long). « Pour le PMH, détaille Jean-Baptiste Crombez, on donne à l’agriculteur un acompte en septembre et on vend ses céréales entre septembre et décembre, on calcule la moyenne de ses prix de vente sur cette période, et on lui donne le complément au mois de janvier. Pour le PMP, même principe, sauf que les ventes sont faites entre janvier et mai, et pour le PML, de mi-septembre à fin avril. »
Si les modes de commercialisation se diversifient, comme l’illustrent les orientations prises par Maison François Cholat (lire p. 35), pas question pour les coopératives de proposer des prix différenciés, comme peuvent le faire des négoces présents sur de vastes territoires ou même Walagri en Belgique (p. 38). Gaëtan Synaeve défend ce principe d’équité : « Chez nous, un prix est un prix. Il n’y en a pas cinquante. Pendant la période d’engagement, on propose à tous les adhérents tous nos contrats filières (label rouge, pois, colza érucique…), soit ils acceptent, soit ils refusent. Mais l’équité est respectée à 100 %. »
Davantage d’éthique commerciale
L’imminence de la séparation du conseil et de la vente n’atteint pas les participants de la même manière. Raphaël Jeudy, à la tête des Ets Jeudy, ne remue pas ciel et terre, d’autant qu’« il y a toujours un doute sur la mise en place catégorique au 1er janvier 2021 ». Jean Simon, DG d’Atlantique céréales, qui est davantage en aval dans la commercialisation des céréales, n’intègre pas à son niveau ce potentiel changement, même s’il estime que les OS devront être plus actifs vis-à-vis de la collecte et leurs commerciaux plus actifs dans les achats de céréales. « La modernisation, glisse-t-il, elle devrait passer justement par cette éthique commerciale, d’être plus au fait de la manière dont l’agriculteur souhaite commercialiser ses céréales. D’autant que c’est valorisant pour un TC d’acheter ce que l’agriculteur a produit au cours de l’année. »
En tant que TC, Jean-Baptiste Crombez, chez Unéal, ne se projette pas encore forcément, même s’il estime que les agriculteurs intègrent le changement plus vite qu’on ne le pense : « Chez Unéal, au niveau de l’appro, on propose depuis cette année des packs d’accompagnement. Chose qui nous paraissait folle quand la direction appro nous les a présentés. Force est de constater que les agriculteurs l’ont super bien intégré ! » C’est aussi le cas chez Valfrance (lire ci-dessus) et Sevépi où la politique commerciale a évolué dans le sens d’une valorisation de la fidélité davantage à travers la collecte. La réorganisation des activités des TC est également à l’œuvre, avec la spécialisation de deux TC dans le bio, ou d’un ancien chef de silo dans le conseil au stockage et à la conservation des grains, afin de permettre aux agriculteurs stockeurs d’arriver à valoriser davantage leur collecte. « Ce sont des nouveaux métiers qui se créent, et qui apportent beaucoup de valeur », positive Gaëtan Synaeve. Et d’insister : « Si on nous interdit de conseiller de l’appro, ça ne veut pas forcément dire qu’on nous interdit d’aller conseiller des filières. »
Chez le négoce belge Walagri, même s’il reconnaît qu’il est « le seul autour de la table à ne pas être concerné par la séparation », Ricardo Pacico embraye et veut y voir « une opportunité de valoriser le conseil, de faire comprendre à l’agriculteur que ce qu’il paie, ce n’est pas le produit, c’est le conseil. Dans nos contrées, vu qu’on coûte cher par rapport au marché international, l’avenir n’est pas dans le tout-venant. Il est justement dans les filières et dans une autre façon de cultiver et de valoriser. Et c’est ça que les collecteurs doivent travailler avec les industriels et la grande distribution. » L’agriculteur Mickaël Portevin, qui fut par le passé responsable engrais chez Soufflet, est d’accord : « Même si je ne suis pas un convaincu du bio, il faut vraiment que nos entreprises arrivent à être moins phyto-dépendantes et à se reconstruire autour des modèles de collecte et de la filière. »
Passer du prix à la rentabilité
Surtout, pour Ricardo Pacico, « le gros défi, c’est d’arrêter de parler du prix, c’est de passer du prix à la rentabilité et de la culture à la rotation. Parce qu’un prix, c’est un prix sur quoi ? La seule chose importante pour un agriculteur, c’est sa rentabilité. Je pense qu’on gagnera tous à aller sur ce schéma-là parce que, finalement ce qu’on vend, c’est du conseil. Et le conseil, le contact et la confiance, je ne pense pas qu’une plateforme de vente par internet pourra le remplacer, et c’est ça qu’il faut apporter à l’agriculteur, analyser ses chiffres, discuter avec lui de sa rentabilité. » Pas facile néanmoins, selon Mickaël Portevin : « La rentabilité, pour avoir été de l’autre côté de la barrière, c’est compliqué de rentrer dans ce genre de discussion avec l’agriculteur, parce que ça veut dire qu’il faut toucher à ses chiffres personnels. Définir des prix de seuil, pour un commercial, quand il doit justement parler d’engrais, de phytos, de semences et de services, ce n’est pas forcément très simple. »
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