Soutenir les agriculteurs en difficulté
L'accompagnement des agriculteurs en situation délicate, objet de nos 10es rencontres d'Agrodistribution, est devenu incontournable. Toutefois, l'homme est à remettre au coeur du débat dans un esprit collaboratif pour stimuler l'émergence de vraies solutions.
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« Il travaille vraiment très dur, pas pour s'offrir des vacances, juste pour payer les factures, et honorer toutes ses créances. Des personnes comme lui, il y en a toujours davantage, qui doivent de l'argent à autrui. » Ces quelques mots sont extraits d'un poème écrit cet été par un éleveur laitier. Le monde agricole ne touche-t-il pas les limites d'un système qui a fait son temps ? La conjoncture est telle, que la question peut se poser. Et elle ne peut que renforcer le bien-fondé du message porté par les 10es rencontres d'Agrodistribution en juin dernier, qui se sont intéressées à l'accompagnement des agriculteurs en difficulté. Autant cette problématique pouvait être un épiphénomène à une époque, autant aujourd'hui elle a malheureusement pris de l'amplitude dans le contexte de la dernière moisson 2016, qui met les céréaliers dans le rouge pour une bonne partie d'entre eux. Une situation qui génère une mobilisation quasi générale avec l'émergence de nombreux plans de soutien (lire p. 28), notamment de la part des coopératives dont le statut est censé les rendre proches des agriculteurs. Les trésoreries sont tendues que ce soit en productions animales ou végétales. Pour certains exploitants, les plans de soutien permettront de passer le cap jusqu'à la récolte 2017, en souhaitant qu'un même scénario ne se reproduise pas. Pour d'autres, aux difficultés financières déjà avérées, c'est un pavé de plus dans la mare de leurs soucis. Selon notre sondage ADquation-Agrodistribution, ils étaient déjà une bonne majorité d'exploitants à annoncer, en avril et mai dernier, période de l'enquête, avoir connu des difficultés financières sur les deux dernières années. Une tendance sûrement plus prononcée à ce jour.
Une bonne marge de manoeuvre
Mais l'aspect économique de la situation n'est souvent que la face émergée de l'iceberg, car derrière peuvent se profiler de nombreuses causes qui ne sont pas liées à la conjoncture économique. Comme les conflits relationnels que notre sondage a traité en restant dans l'univers professionnel de l'exploitant. Tout en sachant, par ailleurs, qu'entrent en jeu les conflits familiaux, exploitation et famille étant souvent étroitement liées. D'autres éléments s'ajoutent comme les défaillances d'ordre technique... Intégrer l'ensemble de ces facteurs nécessiterait une enquête plus approfondie et plus qualitative.
Toutefois, un constat fort ressort de ce sondage : il existe une bonne marge de manoeuvre en matière d'accompagnement, d'autant plus qu'ils sont un bon quart à s'être déjà sentis dans l'incapacité de surmonter leurs difficultés professionnelles. En effet, les agriculteurs estiment en majorité ne pas être bien secondés pour faire face à ces aléas, encore plus s'ils se trouvent confrontés à des problèmes relationnels. Un résultat qui n'étonne pas les participants de la table ronde, notamment Pascal Turquier, coordonnateur du dispositif Réagir en Champagne-Ardenne et qui devrait s'inscrire dans la nouvelle grande région Est : « Dès qu'on est sur le volet humain, isolement, relationnel, difficultés morales, j'ai beaucoup d'agriculteurs qui me répondent : "Je n'ai personne pour m'aider et en plus on ne me propose pas d'accompagnement." Il n'y a pas de solutions puisque rien n'est mis en place. Je trouve que l'on va devoir prendre un virage, quant à l'attitude à adopter concernant l'accompagnement des agriculteurs en difficulté, il va falloir qu'on change de posture. »
« Que faisons-nous ? »
Un changement de posture qui semble d'autant plus imparable comme le fait remarquer Thierry Lemaître de CERFrance Nord-Est-Ile-de-France : « L'évolution psychologique de la personne qui est en difficulté évolue. Parce que plus les difficultés s'accumulent, plus la personne s'isole, ne regarde pas ou n'ose plus trop regarder autour d'elle, s'enferme dans certains raisonnements. » C'est ce qui semblerait se passer en ce moment selon Christophe Guérin, président de l'association de soutien AMR58 : « Depuis la mauvaise moisson, nous enregistrons peu d'appels, alors que tous les agriculteurs français sont touchés. Nous sommes inquiets car les agriculteurs sont à bout et des suicides sont à prévoir. »
Dans la mesure où ces exploitants vont un jour craquer... soit seul avec parfois une issue fatale, soit devant leur technico-commercial, la charge émotionnelle n'est alors pas facile à gérer. Référent adhérents chez Euralis, Alain Del Rio s'est retrouvé dans de telles situations. « Etre à leur écoute fait du bien aux agriculteurs, c'est sûr. Mais nous, les gens de terrain, cela nous charge énormément, émotionnellement bien sûr, et nous ne sommes pas formés à cela. Et, je peux vous garantir que quelquefois, c'est très compliqué. C'est bien de prendre toutes ces informations, de faire un constat, mais après, qu'en faisons-nous ? » Une question à laquelle la table ronde s'est attachée à répondre, car des actions voient le jour sur le terrain, même si elles peuvent être encore améliorées, comme le service d'écoute mis en place par la MSA (lire p. 29 à 31). Et au-delà des réponses apportées dans l'urgence, sans doute est-il nécessaire de prendre du recul pour porter un autre regard sur les événements qui se déroulent et faire émerger de nouvelles idées porteuses qui permettraient, entre autres, de recréer un lien social qui s'est effiloché au fil du temps et accentue le phénomène d'isolement. Et de faire feu de tout bois avec des mesures mises à disposition, comme la MAE, avec la création de filières qualité, pour ramener un ballon d'oxygène dans les campagnes.
DOSSIER RÉALISÉ PAR HÉLÈNE LAURANDEL
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