Le devenir de la séparation encore flou
Coopératives et négoces sont toujours en attente d’une évolution du dispositif séparant conseil et vente pour les produits phytosanitaires. Au-delà de la profession, les parties prenantes nous livrent leur analyse de la mise en place de la mesure, et de son avenir.
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L’instauration de la séparation conseil et vente pour les produits phytosanitaires fêtera ses quatre ans le 1er janvier 2025. « C’est un supplice chinois, soupire Antoine Hacard, président de La Coopération agricole Métiers du grain. Au moment où l’on était près d’aboutir à quelque chose de cohérent, patatras. » En avril dernier, Agnès Pannier-Runacher, alors ministre déléguée auprès du ministre de l’Agriculture, avait annoncé s’attaquer au sujet (lire encadré). Les espoirs de la profession ont été douchés par la dissolution de l’Assemblée nationale. « On avait avancé avec le gouvernement précédent », regrette Antoine Hacard.
« Les portes sont un peu ouvertes », positive Olivier Bidaut (ci-dessus), à la tête de la commission agrofourniture à la Fédération du négoce agricole, qui milite comme les coopératives pour une abrogation, ajoutant : « Je ne sais pas comment la situation va évoluer, mais on reste ferme sur nos positions. » De fait, difficile vu le contexte politique actuel de savoir si, et si oui quand et comment, la séparation va être modifiée.
Un projet de loi au Sénat
Quant au véhicule législatif, il pourrait venir du Sénat : Laurent Duplomb et Franck Menonville ont déposé le 1er novembre une proposition de loi visant à revenir sur la séparation, mais aussi l’interdiction des 3R et des néonicotinoïdes. Le texte doit passer au Sénat les 17 et 18 décembre. En mai 2023, les sénateurs s’étaient déjà penché sur la séparation et les 3R, et avaient adopté les articles proposant de revenir sur les mesures. Le texte en était resté là. Si la version 2024 est validée, il faudra ensuite qu’elle passe à l’Assemblée nationale, où les équilibres politiques sont compliqués. Début novembre, Antoine Hacard se disait « raisonnablement optimiste » sur la possibilité d’obtenir une majorité de députés. À l’AGPB, le président Eric Thirouin est sur la même ligne : « Il faut abroger le texte », qui a conduit à « vendre sans pouvoir conseiller sur un bon usage ». Côté calendrier, « nous souhaiterions une loi avant la LOA traitant de la séparation conseil et vente et des usages phytosanitaires ».
À la Coordination rurale, Patrick Legras évoque une mesure qui n’a jamais été réellement mise en place sur le terrain, avec des « arrangements ». Pour lui, l’urgence est plutôt à légiférer sur la fin des 3R, et sur les AMM phytos : « On ne comprend pas qu’une même matière active puisse être sous plusieurs noms », dénonce le producteur, pointant un manque de transparence, avec des prix différents selon les distributeurs. A contrario, « à la Confédération paysanne nous sommes depuis longtemps favorables à la séparation conseil et vente, pour éviter d’être juge et partie », rappelle Laurence Marandola. Pour la porte-parole, la séparation « s’est faite de façon timorée ». Il faut la renforcer, et « la dérogation pour les élus de chambres d’agriculture doit arriver à son terme », comme prévu (lire encadré). Au-delà, « pour nous, il faudrait séparer les vendeurs de produits phytosanitaires des instances qui gèrent la question des maladies professionnelles liées à l’utilisation de ces produits », ajoute-t-elle.
Contrôles et transparence
Du côté des conseillers indépendants, le PCIA (Pôle du conseil indépendant en agriculture) voit deux remèdes à la situation présente. « Le dispositif actuel reste en l’état, mais dans ce cas il faut que non seulement tous les organismes certificateurs fassent leur travail correctement, mais également l’État le sien par des contrôles sérieux, afin de faire respecter dans sa totalité la loi sur la séparation. » Le PCIA fait référence aux pratiques de conseil informel de la distribution ayant perduré sur le terrain, relevées entre autres par les députés Dominique Potier et Stéphane Travert dans leur rapport à l’été 2023. Autre piste pour le PCIA : une autorisation de conseil sous conditions pour les distributeurs. « Dans ce cas, il est impératif que ce “conseil” soit délivré par des sociétés séparées, même si leurs capitaux peuvent être pour tout ou partie communs à des structures de vente, ajoute le PCIA. Et ces sociétés ne doivent vivre que de ce conseil qui sera obligatoirement facturé. »
Outre cette séparation organisationnelle, les conseillers indépendants demandent une transparence totale, « car logique et indispensable pour les agriculteurs », et nécessitant que « sur les en-têtes des documents, préconisations et factures, il soit écrit : conseil lié à la vente d’intrants tels que les produits phytosanitaires ». Pour le PCIA, l’agriculteur aura ainsi le choix entre un conseil spécifique lié à la vente de phytos, un conseil non lié aux phytos mais à la vente d’autres intrants, et un conseil « indépendance élargie ». Ajoutant que « par cela et en toute logique, le prix des intrants devra automatiquement baisser ». Côté ONG, François Veillerette, chez Générations Futures, insiste sur l’importance d’un accès à un conseil indépendant, qui doit être piloté « dans l’intérêt général, donc par des politiques publiques de réduction de l’usage des pesticides ». Le porte-parole rappelle que le conseil indépendant est porté au niveau européen, et alerte sur le risque de « démanteler un système [la séparation] certes amendable, mais pour ne rien mettre à place ».
Les firmes s’interrogent
Chez Phyteis, Pierre-Yves Busschaert, responsable des affaires économiques, explique que certaines firmes ayant un agrément vente, elles ont eu les mêmes interrogations que les distributeurs sur la frontière entre information à l’utilisation et conseil. Et plus largement, beaucoup d’entreprises se sont questionnées sur ce qu’il était possible de communiquer, par exemple dans des newsletters, ou lors d’interventions lors de journées techniques pour des agriculteurs. Entre conseil et information, « où mettre le curseur ? résume Pierre-Yves Busschaert. Quand on parle de méthodes combinatoires, alliant produits phytosanitaires et nouvelles technologies ou génétique, par exemple, c’est compliqué. » Il pointe aussi le problème de la responsabilité. « Le vendeur ne faisant plus de conseil, qui la porte en cas de problème lié à l’utilisation ? » Il n’a pour le moment pas connaissance de plaintes litigieuses en raison de ce flou. « La question des OAD nous préoccupe aussi, ajoute Pierre-Yves Busschaert. Un certain nombre ne sont plus valorisables dans des fiches actions CEPP, car relevant du conseil. » Ce qui limite leur utilisation sur le terrain.
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