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« L’éternel problème, c’est la jonction entre les maillons »

Yves Le Morvan think tank Agridées

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Yves Le Morvan, responsable filières et produits au think tank Agridées, a conduit pendant un an un groupe de travail réunissant tous les maillons de la filière céréalière française à l’export. Il en a édité une note (disponible sur www.agridees.com) qui vise à relancer une dynamique positive dans la chaîne exportatrice française, actuellement fragmentée. Ancien d’Unigrains, de Coop de France et d’InVivo, il livre également ses réflexions sur l’amont de la filière.

« Quel regard portez-vous sur l’état de la filière exportatrice céréalière ?

Ce qui m’a beaucoup frappé ces dernières années, c’est le problème récurrent d’organisation de cette filière et une difficulté d’adaptation au souhait des clients, alors que s’installe une offre mer Noire pérenne et qualitative. On a su se battre pour la teneur en protéines, mais on peine à construire une offre fluide et réactive, à la fois globale et diversifiée.

Y a-t-il une chaîne exportatrice en France ?

Oui et non. Oui, dans le sens où l’on exporte tous les ans 8 à 12 Mt de blé vers les pays tiers. Non, dans la mesure où il y a très peu de remontées fines du souhait du client. Dans le monde, les grandes filières exportatrices sont assez souvent dédiées avec des chaînes intégrées, plus courtes. C’est d’ailleurs le cas de Soufflet, dont la maîtrise globale permet de mieux gérer risques et marges tout en proposant un panel d’origines différentes. C’est la meilleure organisation aujourd’hui, alors que dans le secteur coopératif, qui a la responsabilité de la collecte française à 75 %, tout est tronçonné. Déjà, il y a certainement des coûts d’intermédiation supplémentaires, mais, surtout, se pose l’éternel problème de la jonction entre les maillons. Il y a une incapacité durable entre les coops et leurs unions à matcher pour être efficace. D’où l’appel de Thierry Blandinières au rassemblement. On peut être sourd à cet appel, mais aujourd’hui le système est bloqué. Le seul moyen d’en sortir, c’est de retrouver une intelligence collective par la création d’une nouvelle entreprise coopérative dédiée avec un nouveau tour de table capitalistique, des engagements d’apports et l’acceptation de prendre des risques.

Combien coûte la chaîne du grain en France ?

Il y a beaucoup de variabilité, mais sans compter l’éventuel coût du stockage à la ferme, si l’on additionne les frais de réception, des multiples stockages, d’allotement et de manutention, de l’ordre de 20 à 25 € chez l’OS, l’approche du silo portuaire au mieux à 10 €/t, et un coût de fobing des silos portuaires de 5 €/t, parmi les plus compétitifs au monde, ça fait 35 à 40 €/t. Et ce dans la construction actuelle, car on voit que de nouveaux acteurs, tel Comparateuragricole, le font différemment pour beaucoup moins.

Où peut-on gagner de la compétitivité ?

Il y a un cheminement de l’ordre de 10 €/t vers lequel tendre, et les gains ne peuvent pas provenir que des producteurs. La logistique française d’acheminement, à partir de la sortie des silos des OS jusqu’aux bateaux ou aux industriels, bénéficie déjà d’un bon crédit dans les comparatifs internationaux. On peut juste regretter une sous-utilisation des modes de transport alternatifs au camion. La marge de manœuvre est davantage au niveau des OS qui font face eux-mêmes à un changement de business model. Vu d’en haut, ils sont nombreux (150 coops, 400 négoces) et fonctionnent souvent sur le double métier collecte-appro. On le sait depuis longtemps, mais pour faire un raccourci brutal, c’est le taux de marge de l’appro qui équilibre la déficience du taux de marge collecte, souvent négatif, alors que la collecte représente 50 % du CA des coops d’appro-collecte. Et la marge appro risque d’être écrasée avec la séparation du conseil et de la vente.

Comment les OS peuvent-ils rebondir ?

Il faudrait réduire les marges en baissant les fameux frais de siège, s’attaquer, et c’est le plus délicat, à l’organisation et la permanence du fonctionnement terrain. Surtout, c’est la logistique interne pour lutter contre tous les transferts indus, pour éviter les ruptures, qui doit concentrer l’essentiel des réflexions. Toutes les entreprises y travaillent obligatoirement, l’objectif sur ce point étant de gagner 2 à 3 €/t sur les coûts d’intermédiation. Il y a des outils disponibles pour optimiser les flux, et des pistes à venir avec l’intelligence artificielle. Mais il ne s’agit plus de réduire les charges uniformément avec la « technique du rabot », il va falloir penser les services différemment pour, certes, conserver la proximité, mais aussi préserver les parts de marché, en répondant aux demandes des acheteurs, y compris internationaux. »

Propos recueillis par Renaud Fourreaux

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Réinventer la chaîne du grain

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