Redonner de l’attrait à la multiplication
Face aux contraintes de la production et à la hausse des prix des commodités ces dernières années, la multiplication de semences a perdu de son intérêt auprès des agriculteurs. Pour les semenciers, redynamiser la filière française est un enjeu majeur pour conserver sa compétitivité.
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Depuis plusieurs années, la filière française de production de semences peine à maintenir son réseau d’agriculteurs multiplicateurs. La situation s’est même dégradée depuis deux ans. « Avec les aléas climatiques de plus en plus forts, la baisse des moyens de production comme les produits phytosanitaires, le désamour des citoyens envers le monde agricole et les difficultés en matière d’irrigation ces deux dernières années, la filière rencontre de plus en plus de difficultés pour conserver l’intérêt des producteurs », concède Didier Nury, ancien président de l’UFS (Union française des semenciers). Un autre facteur s’est ajouté à ces difficultés : l’envolée des matières premières à la suite du conflit russo-ukrainien, ce qui a rendu moins attractive sur le plan économique la multiplication de semences.
Conséquence : les surfaces de production ont à nouveau reculé en 2023, pour passer sous le seuil des 368 000 ha, soit une baisse de près de 5 % par rapport à 2022 qui était déjà une année mauvaise pour le secteur (lire infographie). En maïs, par exemple, les surfaces de multiplication (hybrides commerciaux et semences de base) ont régressé de 4 % en 2023 par rapport à 2022, pour atteindre près de 85 000 ha, même si « cela reste un niveau de production très élevé », tempère Nicolas Montepagano, responsable filières maïs à l’AGPM. Cette érosion s’explique par des stocks assez bas et des années de production moroses, comme en 2020 ainsi qu’en 2022 où la multiplication de maïs a atteint seulement 70 % de ses objectifs.
Betteraves et pommes de terre en berne
La sole de semences de céréales recule elle aussi de 3,75 %. La baisse est à nouveau sévère pour les semences fourragères (-16 %), les semences de betteraves (-8 %) et les plants de pommes de terre (-10 %), après un premier recul en 2022 inédit depuis vingt ans. Les opérateurs ont été impactés par la très forte augmentation du coût des engrais, de l’énergie et de la main-d’œuvre, du fait de la guerre en Ukraine. La hausse des prix de l’électricité pèse fortement sur les coûts de stockage des plants au froid. Certains producteurs ont ainsi préféré arrêter cette production techniquement et économiquement exigeante. Ils étaient 711 en 2023 (contre 784 en 2022), le plus bas niveau depuis plus de cinq ans.
La situation est meilleure pour les semences d’oléagineux qui voient leurs surfaces progresser de 9 % environ en 2023 par rapport à 2022, année où le conflit russo-ukrainien avait là aussi déstabilisé le marché. La rémunération a aussi pesé dans la balance : du fait de l’envolée des cours des oléagineux, la différence entre les « prix consommation » et les « prix semences » s’était réduite, grappillant la valeur ajoutée de la semence. Pour maintenir les surfaces, les établissements ont fait des efforts sur les contrats, avec la volonté de reconstituer les stocks réduits par la hausse des surfaces d’oléagineux pour la consommation. Enfin, après une chute importante en 2022, les potagères et florales ont regagné à peu près ce qui avait été perdu.
Des OP pour conduire les négociations
Reste qu’au total, le nombre de producteurs de semences a encore reculé de près de 2 % en un an. Depuis cinq ans, la France a même perdu 10 % de ses multiplicateurs. Dans ce contexte, Semae souhaite fidéliser les producteurs pour préserver les surfaces et contrer le risque d’affaiblissement de la filière. L’interprofession des semences et plants a ainsi travaillé sur une réglementation offrant aux multiplicateurs la possibilité de se grouper en organisations de producteurs (OP) et gagner en force de négociation pour la contractualisation des semences. Le décret en question est paru le 2 août dernier au Journal officiel. « Avec les lois Egalim, nous nous sommes rendu compte qu’il existait un chaînon manquant et qu’il y avait besoin de ce cadre-là, souligne Élise Leclercq, responsable du pôle des sections chez Semae. Cela permet aux agriculteurs multiplicateurs d’avoir un poids un peu plus important pour conduire leurs négociations de prix et les travaux qu’ils veulent mener, car les OP ne portent pas que sur les négociations financières. »
Le texte réglementaire précise les conditions de reconnaissance des organisations de producteurs, notamment les semences concernées et la surface annuelle minimale de production de semences sous contrat avec des établissements semenciers : elle doit être d’au moins 250 ha, sauf pour les espèces potagères, ornementales, aromatiques et à parfum cultivées en plein champ, pour lesquelles la surface annuelle minimale est de 150 ha. Pour celles cultivées sous abri et le riz, aucune condition de surface n’est applicable. L’OP doit comporter au moins 25 producteurs sous contrat. Cette valeur est fixée à cinq producteurs pour les OP ne regroupant que des producteurs de semences de riz et à dix producteurs pour les OP ne regroupant que des producteurs de semences d’espèces potagères, ornementales, aromatiques et à parfum cultivées sous abri. Le nouveau cadre réglementaire est suffisamment souple pour permettre la création de plusieurs formes d’OP, y compris celles portant sur plusieurs espèces multipliées.
« Ce décret est l’aboutissement du travail de l’interprofession mené en étroite collaboration avec les familles professionnelles représentant les agriculteurs multiplicateurs et le ministère de l’Agriculture », se félicite Semae. Maintenant, ce sont aux multiplicateurs de s’emparer ou non de cet outil supplémentaire, et de déposer leur demande de création d’OP. La filière maïs devrait être la première à avoir la reconnaissance d’OP pour la récolte 2024 (lire encadré). D’autres filières, comme celle de la betterave, devraient lui emboîter le pas.
Revaloriser la rémunération
« Notre urgence est de redonner de l’intérêt à la production de semences », confirme Rachel Blumel, directrice générale de l’UFS. Le syndicat travaille sur plusieurs axes afin d’améliorer la situation. Le premier est de revaloriser les prix payés aux agriculteurs multiplicateurs, mais il faudrait aussi que leurs clients acceptent de payer plus cher les semences. Ces éléments sont discutés au sein de chaque entreprise. « Les contrats depuis deux ans ont été très fortement revalorisés en France pour maintenir les réseaux de producteurs, assure Didier Nury. Mais cela pose aussi un problème en matière de compétitivité économique par rapport à d’autres pays. »
Avoir accès à l’irrigation
Autre axe de travail pour les semenciers : l’identification par les décideurs politiques de la filière des semences comme stratégique. L’UFS souligne un double enjeu : la sécurisation de l’accès à l’eau dans les territoires, ainsi qu’à l’énergie pour les entreprises. Pour Didier Nury, « changer les modalités de négociations avec les organisations de producteurs ne se fera pas une baguette magique. Si on veut maintenir la compétitivité, il faut que nos multiplicateurs aient des moyens de production, aient des accès à l’irrigation préservés. Il est pour cela nécessaire que les productions de semences soient reconnues comme des cultures spécialisées lorsqu’il y a des décrets préfectoraux. » Et de poursuivre : « Nous avons beaucoup travaillé le dossier de l’irrigation avec de nombreuses actions au niveau local avec les préfectures, et au niveau national avec les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique. Nous avons aussi essayé de sensibiliser sur les impasses techniques en termes de produits phytos. Cela évolue doucement. Nous sommes tous conscients qu’il faut changer les pratiques, aller vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement, mais il faut que cela soit fait de manière intelligente, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas d’interdiction sans solutions de remplacement. »
De la visibilité pour la jeune génération
L’inquiétude est palpable aussi sur les années à venir, car beaucoup de producteurs vont prendre leur retraite, sans forcément de reprise. Lorsque les terres partent à l’agrandissement, les surfaces en multiplication ne sont souvent pas maintenues, du moins pas en totalité. « Il faut pouvoir proposer aux jeunes producteurs de la visibilité et une stabilité pour qu’ils puissent se lancer sereinement dans la production de semences », considérait Laurent Bourdil, président de l’Anamso, l’Association nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences oléagineuses, le 17 avril dernier. « Le métier de la multiplication de semences est très technique et nécessite une expertise qui s’affine au fil des contrats et au fil des années. Et la jeune génération souhaite peut-être un revenu plus constant et une rentabilité plus immédiate. Elle a aussi besoin d’être davantage accompagnée au niveau technique et supportera moins bien l’échec », observait de son côté Anne Gayraud, directrice administrative et syndicale à la Fnams (Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences), le 3 octobre, lors d’un atelier organisé par Semae intitulé « La filière face au défi du recrutement ». « Il va falloir être inventif pour rester compétitif, insistait Pierre Pagès, président de Semae, lors de cet atelier. On a besoin de redonner une image favorable des métiers auprès des jeunes. »
L’interprofession a lancé une cartographie des agriculteurs multiplicateurs de semences pour connaître la réalité du terrain et les évolutions à venir. L’objectif est aussi de donner aux producteurs des outils pour se projeter. « Le changement climatique va être une question clé pour l’engagement des agriculteurs sur le métier de la semence, insiste Pierre Pagès. Nous menons ainsi une étude pour mesurer les impacts de l’évolution du changement climatique sur nos métiers, sur la production, ce qui doit aussi nous aider à anticiper ces évolutions et à lancer des adaptations nécessaires. »
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