« Il y a vingt ans, il n’y avait rien, à peine une cabane sans toilettes », sourit Dimitar Machuganov, créateur de l’entreprise AJD Agro et propriétaire d’une ferme de 4 300 ha. L’histoire est belle mais pas unique. Le retour à la terre après la chute du mur a été pour quelques agriculteurs tchèques, polonais, hongrois et bulgares une belle occasion de faire fortune. « Nous avons repris la ferme familiale en 2000 avec mon épouse Jana. Avec moins de 10 ha, nous avions à peine de quoi faire vivre notre famille, mais nous avions du courage et des envies », sourit Dimitar Machuganov.
Opportunités et gestion des risques
Vingt ans plus tard et après trois dépôts de bilan assumés, la ferme est l’une des plus importantes de Bulgarie en taille et performance. « Le plus dur a été de retrouver la confiance des banques. La gestion des risques est pour moi ce qui prime dans l’entrepreneuriat. Cela passe par une excellente répartition entre cultures d’hiver et de printemps et une diversification efficiente. »
Pourtant, « le retour à la terre a été un terrible fiasco dans notre pays », soupire Dimitar Machuganov. La grande majorité des nouveaux propriétaires n’avait aucune compétence. « Très vite, nous avons commencé à louer des terres et en acheter quand c’était possible financièrement. En 2000, les terres valaient à peine 300 €/ha, elles en valent aujourd’hui en moyenne 6 000. J’ai commencé par la culture de céréales et d’oléoprotéagineux. Les rendements ont doublé en quinze ans. Les subventions de la Communauté européenne nous ont permis d’acheter du matériel et des semences. Nous avons gagné beaucoup d’argent que nous avons systématiquement réinvesti. »
La ferme exporte 100 % de sa production de grandes cultures, via le port de Varna à 120 km sur la mer Noire. « Nous avons optimisé la logistique par l’achat de camions, car en Bulgarie, il ne faut pas compter sur la compagnie ferroviaire nationale. » 2016 marque un tournant stratégique majeur pour l’entreprise. Les fermes bulgares sont directement en compétition avec les céréales russes et ukrainiennes. « Nous produisons du blé à moins de 100 €/t, toutes charges confondues, vendu en moyenne à 150 €/t en 2019, avec des rendements optimisés à 8 t/ha. Le taux de protéines est autour de 12 %. Les Russes, eux, ont des coûts qui sont 15 à 20 % plus bas. Ce ne sera pas tenable à terme pour nous. »
En bon stratège, agriculteur de l’année en 2007, ancien président de l’association des producteurs de blé, Dimitar Machuganov voyage alors pour trouver un nouveau débouché. Sa question est simple : comment trouver une diversification qui puisse consolider l’acquis de la ferme tout en offrant une nouvelle rentabilité pérenne. La réponse viendra d’un séjour dans l’est de la France. « J’ai visité des exploitations et des coopératives françaises, spécialisées dans la luzerne », se souvient-il. Le coup de cœur est immédiat et surtout la faisabilité. Dans ses terres à céréales avec un climat favorable, la légumineuse est une formidable tête de rotation et le complément idéal pour sa structure : 50 % des surfaces lui sont destinées aujourd’hui et 60 % des ouvriers.
Fédérer le plus de fermes possible
Avec son fils Andrei, 31 ans, il décide d’investir. « En quatre ans, nous avons créé une usine performante de 70 000 t de capacité de déshydratation, à la fois pour la luzerne, la paille et le maïs, précise Andrei. Nous avons investi 15 M€ en 2016. Prendre des risques ne nous a jamais fait peur, d’autant plus que personne ne vient nous embêter sur des critères écologiques et que nous pouvons bénéficier d’aides de l’UE importante. » Pendant que son père façonne la nouvelle activité à la ferme, Andrei parcourt le monde. « Aujourd’hui, nous vendons 34 000 t de luzerne déshydratée sous diverses formes, dans 16 pays, en priorité sur l’Asie et le Moyen-Orient. Des pays où je croise Désialis et les autres acteurs du secteur. Nous recevons aussi beaucoup à la ferme où, prochainement, un showroom va être installé. C’est un gage de crédibilité pour nos clients étrangers. De nombreuses délégations, dont celle du vice-ministre de l’Environnement, de l’Eau et de l’Agriculture d’Arabie saoudite, le docteur Abdulaziz Al-Batshan, nous ont rendu visite fin 2019. » Pour recevoir correctement ses visiteurs dans ce petit coin de Bulgarie, la famille a construit un complexe hôtelier de luxe qui est dirigé par Jana. Une autre forme de diversification, pleinement en cohérence avec les activités agricoles.
Ce n’est qu’un début, l’activité déshydratation va rapidement dépasser l’activité grandes cultures. Déjà 25 autres agriculteurs produisent pour AJD Agro. L’entreprise a organisé des formations. « La luzerne est très populaire. Elle a un fort potentiel, elle apporte des protéines et ne coûte pas cher à produire. Nous allons la rendre rentable et fédérer le plus de fermes possible. Sans oublier l’activité paille pour laquelle nous voyons beaucoup d’avenir. »