Bien-être au travail Levons le tabou !
Pour ne pas se retrouver en décalage avec la société, la distribution agricole n'a pas intérêt à rater le coche sur le sujet de la qualité de vie au travail. Ne serait-ce que pour renforcer son attractivité vis-à-vis des nouvelles générations.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Ouvrir le dossier du bien-être au travail dans une entreprise en lien avec le milieu agricole, c'est un peu comme aborder le sujet des 35 heures au congrès du PS. Ça crispe ! Une sorte d'omerta, et ça peut se comprendre, avec des salariés pris en étau entre des patrons qui ont peur d'ouvrir la boîte de Pandore et des agriculteurs au mieux moqueurs, au pire dans l'incompréhension. Car dans la culture agricole, il n'y a pas vraiment de place pour exprimer son mal-être. Les gens peuvent s'entraider mais ne doivent pas se plaindre. « On est dans du paternalisme, relève Laurent Legand, d'EMC2. C'est à la dure ! Et ça peut se comprendre. L'agriculture, ce sont des métiers difficiles. Finalement, quand le technico-commercial va voir l'agriculteur, il n'a pas trop à se plaindre. Et si on dit à l'agriculteur qu'on travaille sur le bien-être au travail, il va répondre : vous vous fichez de moi ! »
Une population positive
En tout cas, chacun à leur niveau, ceux qui ont bien voulu participer à nos 9es rencontres se sentent manifestement concernés par cette problématique du bien-être au travail, que l'on a choisi de centrer sur la population des technico-commerciaux. Si ce métier n'est pas le plus pénible physiquement, c'est moins vrai moralement. Et il constitue tout de même le gros des troupes des entreprises. Et leur force commerciale...
Les TC aiment leur métier et s'y sentent bien. Notre sondage ADquation-Agrodistribution réalisé auprès de 150 d'entre eux le confirme. « C'est une population qui est dans le positivisme, commente Pierre Blondeau, chez Limagrain. Ils ont à faire face à leurs clients, ils ont des produits à vendre, une entreprise à défendre, donc ils sont forcément dans une dynamique plutôt positive. » « Un commercial, il l'a dans le sang, sinon il n'est pas bon dans son métier », abonde Laure Schohn, chez Armbruster. Pascal Brachet, TC depuis trente ans chez Nealia « n'a pas l'habitude de se plaindre, bien que tous les agriculteurs, eux, se plaignent » et que « l'on a des petites voitures sans confort » alors que lui souffre du dos. Chez Triskalia, le TC Alain Hascoet reconnaît aussi que « dans notre métier, on est à la fois libre et on a des responsabilités. Ce qui fait qu'on est forcément un peu moins malade, on n'a pas le temps déjà, et puis on se guérit tout seul, avec la motivation, l'adrénaline... Il y a beaucoup moins d'arrêts de travail que chez les salariés sédentaires ». Malgré tout, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'arrêts de travail qu'il n'y a pas de souffrance.
« Lorsque les médecins du travail évaluent le niveau de bien-être, c'est en dessous de 7/10 qu'ils se posent des questions, fait savoir Christelle, conseillère en prévention et référente sur les risques psychosociaux à la MSA 08-51-55. Ici, avec une note moyenne de 7,6 (voire 7,3 dans les entreprises de plus de 10 TC), on est quand même plus proche de 7 que de 9. Alors que dans les entreprises où les gens vont bien, on est près du 9. » « Il y a une ambivalence et on le voit dans le sondage, note Laurent Legand, car 23 % des TC interrogés avouent avoir été incapables une fois au moins de surmonter leurs difficultés professionnelles. » Un chiffre qui ne surprend pas Alain Hascoet : « On est parfois les seuls à venir voir l'agriculteur, avec qui on fait beaucoup de social. Et il y a des clients chez qui je ne peux plus livrer parce qu'ils n'ont plus d'argent, c'est assez dramatique. » Les TC sont en effet en première ligne...
Une notion à démystifier
Quant à la pression, il ne faut pas voir les résultats forcément négativement. D'autant qu'il n'y a pas de différences significatives selon le nombre d'agriculteurs suivis par les TC. Christiane Belaubre, chez 110 Bourgogne, a l'impression que « c'est une population pour laquelle le moteur de travail, c'est quand même la pression, et qu'ils en ont besoin pour se sentir bien au travail et aller de l'avant ». « Notre satisfaction vient de la réussite à relever ces défis, confirme Pierre Chavallard, TC chez Gaic. On se met cette pression pour justement avoir la reconnaissance derrière. » Mais au-delà, « ce qui fait qu'on se sent bien, c'est qu'on a des relations de confiance excellentes avec nos clients. Cela a une valeur au travail. » Sans oublier que « ce qui fait notre bien-être peut aussi faire notre mal-être ». Pour Christelle Halipré, le bien-être au travail reste une notion difficile à démystifier : « On peine à en parler avec certaines directions parce qu'ils ont l'impression qu'on ne va plus pouvoir travailler, que les gens vont ramener leurs problèmes personnels, qu'on va installer des salles de massage et de repos... Ça peut être une piste d'épanouissement, mais ce n'est pas ça le bien-être au travail ! Je recadre toujours les choses : c'est la prévention primaire, c'est parler de comment se joue le travail, c'est quoi le travail réel. »
Une écoute bienveillante
Deux conceptions s'affrontent en fait, entre les partisans d'un bien-être en entreprise strict et ceux d'un bien-être tout court. Décorréler le travail de la vie privée, ça ne parle pas à Pierre Blondeau, ne serait-ce qu'avec l'usage du smartphone : « Pour les jeunes, aujourd'hui, c'est complètement imbriqué. Il faut absolument qu'on fasse changer les mentalités par rapport à cela. » Vanessa Mathieu déconnecte les deux, déjà « pour que ce soit plus facile pour les dirigeants d'appréhender le sujet. Si au moins, les RH font en sorte que le travail soit apprécié et que le cadre de travail soit agréable, ça aide aussi à traverser les problèmes personnels ». Agathe Cos, RRH chez Axéréal, le voit aussi de cette manière après avoir vécu le regroupement des deux sièges en un. Après un certain nombre de mesures d'accompagnement, et ne niant pas le mal-être que l'entreprise peut engendrer, elle milite pour une certaine responsabilité individuelle. « A un moment donné, si les gens n'adhèrent pas au projet, il faut leur dire, même si c'est difficile, que l'entreprise a fait le choix d'une nouvelle stratégie pour perdurer et que malheureusement, si ça ne leur convient pas, on ne va pas pouvoir les garder. De la même manière, il ne faut pas se raccrocher au salarié si sa décision c'est d'être mieux en dehors de l'entreprise. » Pour Christiane Belaubre, qui instille le bien-être au travail de manière intuitive, il ne s'agit pas de régler les problèmes de la vie privée. « Par contre, si vous êtes à l'écoute et que vous avez réussi à acquérir la confiance de vos collaborateurs, lorsque vous leur demandez : "Qu'est-ce qui se passe ? Je vois bien que ça ne va pas", les gens se confient. Cela permet à la personne à la fois de ressentir qu'elle compte pour vous, pour l'entreprise, que vous la reconnaissez en tant qu'individu productif. Et la personne va se sentir beaucoup mieux. »
DOSSIER RÉALISÉ PAR RENAUD FOURREAUX, PHOTOS FABIAN CHARAFFI
Sommaire
Levons le tabou !
Pour accéder à l'ensembles nos offres :