« La récolte 2024 ne régulera pas le marché »
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Emmanuel Leveugle, président du groupe bio d’Intercéréales et de Terres Univia, fait le point sur le dernier bilan FranceAgriMer du 8 février. Si certains hectares de blé n’ont pu être emblavés, le manque ne suffira pas à compenser les stocks disponibles.
Quelles sont aujourd’hui les projections pour la récolte 2024 en grandes cultures bio ?
Le 8 février s’est tenue une réunion du groupe bio d’Intercéréales et Terres Univia, avec autour de la table tous les acteurs de la filière. Nous avons validé les derniers bilans FranceAgriMer. Un point particulièrement important a été discuté : les semis de céréales pour la récolte 2024, rendus difficiles, voire impossibles dans certaines zones par les fortes pluies. On estime qu’au niveau national, 75 à 80 % des surfaces ont été semées, avec de fortes disparités régionales, de 40 % à 100 %. L’état végétatif est très variable. Il y a eu du tassement, certains grains ont pourri. Sans compter que les interventions de désherbage n’ont pas toujours été possibles, avec un risque de salissement important des parcelles. Une possible baisse du potentiel est à prévoir. On a une estimation des surfaces, mais il faudra voir la suite au printemps.
Cette estimation tient-elle compte des déconversions possibles ?
Non, nous avons une vue sur les surfaces semées, mais sans savoir si elles seront toujours certifiées bio pour la collecte 2024. Nos données sont notamment basées sur les retours de semences des OS. Pour connaître les déconversions, on verra en septembre, quand l’Agence bio publiera ses chiffres. Je ne m’avancerai pas sur un pourcentage des surfaces déconverties, mais je pense qu’il y aura un gradient croissant du Nord vers le Sud. En tout cas, cette année les déconversions seront supérieures aux conversions.
La baisse des surfaces pourrait-elle permettre d’écouler les stocks actuels en blé ?
Non. On a cinq mois de stock de blé tendre. D’après le dernier bilan, 425 000 t de blé tendre bio ont été collectées en 2023, dont 21 000 t de C2. Sachant qu’il y a un stock de report de plus de 140 000 t, issu de la récolte 2022. Les utilisations sont en recul de 8 % par rapport à l’année passée, pour un total de 357 875 t. À cela s’ajoutent les déclassements. La projection du stock final est de 140 952 t au 30 juin 2024, soit de quoi tenir cinq mois. Même si la récolte 2024 n’est pas excellente, elle ne régulera pas le marché. À l’heure actuelle, je ne crois pas que l’équilibre sera atteint avant 2026. Et il reste une grande interrogation, ce sont les volumes chez les agriculteurs stockeurs, que l’on ne connaît pas précisément. Des estimations évoquent 45 000 t, mais c’est peut-être bien plus.
Il y a eu davantage de déclassements ?
Oui, on estime que 67 000 t de bio et C2 vont être déclassées d’ici au 1er juillet 2024, contre 19 152 t sur la récolte 2022. Après, ce sont des volumes qui sortiront de façon effective en juin, pour libérer les capacités de stockage avant la prochaine récolte. En grandes cultures bio, on est passé d’une situation déficitaire à une situation excédentaire. On visait le million de tonnes pour les grandes cultures bio sur la récolte 2021 et nous y sommes parvenus. S’en est suivi une moins bonne récolte l’année suivante, et surtout le début de la guerre en Ukraine qui a conduit à une forte inflation sur les produits alimentaires, pénalisant la consommation de certains segments de marché tels que le bio, et à un déséquilibre entre l’offre et la demande.
Quid de l’export ?
En 2022, nous avons exporté 70 000 t de blé tendre bio, en raison de la baisse des récoltes des autres pays producteurs cette année-là. Aujourd’hui, nous sommes aux alentours de 45 000 t. Le coût de la logistique pour amener les grains vers l’Allemagne et les pays nordiques est un frein. Ce sont d’ailleurs plutôt les opérateurs basés dans le nord et l’est de la France qui en font.
Pour les surfaces qui n’ont pas pu être semées, quelles sont les cultures de report ?
Plusieurs solutions sont envisageables pour les producteurs. Certains partiront sur du maïs. Le bilan de la filière en termes d’adéquation offre demande n’est pas trop mauvais par rapport à d’autres, mais il faut faire attention à ne pas la déséquilibrer. D’autres iront peut-être sur de l’orge de printemps. Dans ce cas attention, il faut absolument qu’ils contractualisent, sinon ils vont se retrouver avec des volumes sur le dos. Le tournesol ne semble pas très attractif, en particulier à cause des problèmes d’oiseaux. Comme le soja, qui est très appétant pour eux. Quant aux légumineuses, féveroles ou pois de printemps, le risque est un moindre remplissage, avec des semis assez tardifs. À chaque agriculteur de voir ce qu’il est possible d’implanter sur son sol. Mais surtout, le message à faire passer, c’est de contractualiser. Il est aussi possible qu’avec la crise certains hectares soient mis en herbe ou en luzerne, mais la question de la valorisation se pose, car le monde animal va mal.
Quelles sont les pistes pour la suite ?
On doit œuvrer pour que la consommation reparte. Différents leviers sont à actionner, notamment la restauration collective et la restauration commerciale. Je n’ai pas la solution, c’est tous ensemble qu’il faut trouver le moyen. Le maillage territorial des points de collecte et des outils de transformation doit être préservé, nous en aurons besoin quand la demande repartira, en particulier en alimentation animale. C’est long de construire des filières, cela demande beaucoup d’énergie.
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