Des signaux erratiques pour le futur
Le porc en berne, la volaille qui se cherche pour lutter contre les importations, les bovins sonnés par le coup de semonce de Lactalis qui veut réduire sa collecte en France… Les productions animales françaises et, donc, la nutrition animale ont peu de visibilité, même si certaines perspectives sont encourageantes.
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Avec une projection au minimum à 19,5 Mt d’aliments fabriqués en France en 2024 après les maigres 19,1 Mt de 2023, la nutrition animale hexagonale souffle un peu en 2024. Pour François Cholat, le président du Snia, en déplacement chez Huttepain le 17 octobre dernier avec Intercéréales, l’année devrait donc se terminer aux environs de 19,6, voire 19,7 Mt. Certains segments restent en retrait comme les aliments pour porcs, ceux pour les lapins et les aliments pour les segments premium.
La chute du bio enrayée
Les prévisions du Snia et de La Coopération agricole Nutrition animale donnent ainsi les aliments pour ruminants en croissance à 6,22 Mt (contre 6,11 Mt en 2023) avec une progression légère de tous les segments sauf les présentations mash. Mais l’annonce de la réduction de collecte de lait par Lactalis jette le doute, même si d’autres laiteries reprennent certains élevages laissés pour compte. Le porc poursuit son érosion à 4,21 Mt (contre 4,3 Mt), mais la baisse ralentit. La volaille, qui représente plus de 40 % de la production nationale, repart franchement à la hausse (8,15 Mt contre 7,8 Mt), toutefois sans revenir au niveau des années 2020 et 2021, avant la violente crise de l’influenza aviaire. En très fort retrait, le lapin a perdu plus d’un tiers de ses volumes en sept ans (200 000 t en 2024).
Le bio recule quant à lui depuis le Covid, souffrant d’un effet ciseau entre hausse de prix de ses propres matières premières et baisse de la consommation en magasins. En effet, la croissance annuelle à deux chiffres des années 2017-2021, tout comme le plus haut niveau atteint en 2021 à 740 000 t d’aliments bio, ne sont plus que des souvenirs, comme d’ailleurs plusieurs projets de construction d’usines d’aliments dédiées. 2022 (-11 %) et 2023 (-11 %) ont en effet vu tomber ce volume à 576 100 t. Mais il semble avoir atteint son plancher avec une timide reprise espérée pour 2024.
Des marchés toujours fragiles
Au niveau européen, il est encore tôt pour disposer de données précises, mais la Fefac s’attend à une année 2024 similaire à 2023, avec toujours beaucoup d’hétérogénéité dans les dynamiques. La production porcine européenne reste encore à la peine, notamment en Italie, lourdement frappée par la fièvre porcine africaine. L’aviculture reprend des couleurs grâce, au moins partiellement, à la vaccination après les épisodes d’influenza aviaire qui ont frappé la France. C’est pour les bovins que les prévisions sont les plus floues, mais la Fefac n’attend pas de rupture forte de la tendance à une stabilité globale (lait et viande confondus). Les évolutions sont très variables selon les zones. Ainsi, la Pologne estime poursuivre sa croissance à + 2 % en se renforçant tant en volailles qu’en porcs, la Slovénie et le Portugal annoncent une année positive, alors que les Pays-Bas continuent de se contracter, passant sous les 13 Mt. L’Allemagne et la Belgique sont aussi en retrait.
Alors que les marchés restent au mieux fragiles, les signaux envoyés par l’UE sont un peu confus, dans l’attente de l’entrée en fonction effective des commissaires, dont celle du Luxembourgeois Hansen à l’agriculture. Sa lettre de mission souligne également qu’il devra travailler en étroite collaboration avec le commissaire chargé du commerce en vue d’assurer la réciprocité et des conditions de concurrence équitables au niveau international. Leurs visions sont attendues dans les 100 premiers jours de leur prise de fonction, soit probablement pour fin février. Elles devraient s’appuyer, d’une part, sur les recommandations des récents rapports (rapport Draghi, Dialogue stratégique) et, d’autre part, sur la clarification de certaines règles, comme celle qu’espèrent les opérateurs sur la non-déforestation importée. La date d’entrée en application de cette règlementation a été reportée d’un an, mais nombre de questions techniques restent en suspens.
Prévisions contrastées
Si le Snia espère que les volumes repassent au-dessus des 20 Mt en 2025 et les années suivantes, l’étude prospective réalisée pour la seconde année consécutive par LCA Nutrition animale acte un recul des volumes jusqu’à 18 Mt en 2030. Toutefois, Patricia Le Cadre, directrice du Céréopa, lors de l’AG Qualimat Sud-Ouest de juin dernier, estimait qu’au-delà de ce chiffre, la réflexion doit prendre en compte un recul différencié des volumes selon les espèces et les régions, l’évolution dans la ventilation par espèce au sein des usines ainsi qu’une évolution dans les segmentations (non OGM, bio…) et dans la gamme des aliments. Ainsi, la montée en puissance de la fabrication à la ferme en porcs a déjà pesé sur le transfert vers les complémentaires au détriment des aliments complets, la tendance pouvant être inverse avec la montée en performance des troupeaux laitiers. Elle pointe également « un indice de consommation toujours plus bas et une formulation éco-environnementale qui pourrait rabattre les ratios de prix entre les matières premières ».
Restructurations industrielles
Du point de vue du parc industriel français, si le nombre d’usines s’effrite légèrement depuis plusieurs années (294 sites contre 310 en 2021, pour une moyenne par site de 65 000 t/an), plusieurs opérations ont marqué l’année. Confirmée en juin 2023, la séparation d’Eureden et de Terrena dans leur filiale commune Nutréa, après 13 ans d’alliance, est ainsi entrée en application le 1er janvier 2024. La répartition des sites de nutrition animale, dont la production est passée de 1,4 Mt en 2009 à 800 000 t en 2023, se solde aussi par la fermeture de l’usine de Languidic (Morbihan). Annoncée le 23 mai dernier, elle devrait être complètement finalisée au 1er trimestre 2025.
En Bourgogne, après sa mise en redressement judiciaire en décembre 2023, la coopérative Avéal a été reprise fin juin par quatre structures : Bourgogne du Sud, Coopaca, Eurea et, pour sa section nutrition animale, Philicot, filiale du groupe Nicot. Celui-ci passe ainsi de sept à neuf sites de fabrication d’aliments (mash, granulés, spécialités).
Dans l’ouest et le sud du Massif central, la principale réorganisation vient de la fusion, le 29 mars, des groupes coopératifs Capel et Unicor. Avec ses sept usines d’aliments, la nouvelle structure Natera produit 275 000 t d’aliments par an et s’inscrit dans l’alliance Solevial fondée en 2013 entre Unicor, Qualisol et Evialis (Invivo-ADM).
Dans le Centre, c’est la reprise d’Axéréal nutrition animale (Tellus) par Sanders qui a fait l’actualité (lire p. 58). La filiale du groupe Avril, déjà leader français en volume, et 57e mondial selon le classement de Feed Strategy, pourrait grimper plus haut l’an prochain : l’intégration des 70 000 t issues de sa reprise de Soufflet nutrition animale puis des 400 000 t de Tellus lui ferait atteindre les 3,8 Mt, même si Sanders restera loin du numéro 1 mondial, le chinois New Hope (28,7 Mt), ou même du premier européen, le néerlandais De Heus (12,3 Mt).
Compétitivité et décarbonation
La nutrition animale française s’est aussi dotée cette année d’un plan sectoriel. « Nous l’avons élaboré dans le cadre du plan gouvernemental de reconquête de la souveraineté de l’élevage. Cette feuille de route claire et précise guidera notre action pour les prochaines années », résume David Saelens, président de LCA Nutrition animale.
Le plan s’organise en cinq axes : gagner en efficience par la nutrition de précision ; œuvrer pour la compétitivité des filières d’élevage ; décarboner et réduire les impacts environnementaux ; contribuer à la santé et au bien-être animal ; nourrir les animaux pour nourrir la population en diversité et en qualité. « La nutrition animale est attendue sur les sujets d’innovation afin de proposer des solutions alimentaires qui contribuent à la décarbonation de l’élevage tout en maintenant et, même, en augmentant sa compétitivité. Nous sommes convaincus, affirme-t-il, que c’est en avançant sur les deux pieds de la compétitivité et des transitions que nous serons capables d’assurer la souveraineté alimentaire de nos filières animales. »
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Alimentation animale 2025
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