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La relation aux agriculteurs mise à l’épreuve

Nicolas Vermeulen, Edouard Minier et Anaïs Begaud.

Les tensions sur les marchés ont eu un impact assez fort sur le rôle d’achat de collecte assumé par les organismes stockeurs, qui sont amenés à faire bouger les lignes.

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Être plus réactif dans les prix de collecte pour suivre le marché minute par minute, rester attractif dans l’offre commerciale, être plus rigoureux pour faire respecter les contrats par les agriculteurs, appuyer les discours sur la marge de production face à des intrants en hausse… Et ne pas oublier de continuer de travailler sur la valeur ajoutée dans les filières dans une logique de différenciation de long terme. Avec la volatilité des prix qui a fait son grand retour sur les marchés en 2022, les professionnels de l’achat de collecte ont été poussés à faire bouger les lignes dans leur relation avec leurs clients ou adhérents agriculteurs, et ceci dans différentes directions. Un exercice rendu d’autant plus complexe face à un public hétérogène.

Des prix fermes plus réactifs

Parmi les évolutions les plus évidentes relevées par les professionnels participant à nos 17es rencontres, la réactivité de la fixation du prix en est une. Alors que les marchés ont connu certaines fluctuations record, jusqu’à 100 €/t en une journée en colza, les systèmes d’achat de collecte en prix ferme auprès des agriculteurs ont été mis à rude épreuve.

Au sein du négoce Bernard, deux systèmes continuent d’avoir leur raison d’être. « Nous avons un système de cotation basé sur le prix de la veille des marchés à terme aux côtés d’un outil de commercialisation indexé en temps réel pour ceux qui veulent profiter de la volatilité journalière », pointe Anaïs Begaud, responsable céréales de la structure. « De notre côté, nous avons mis en place le routage d’ordre, explique Maxime Thuillier, directeur céréales d’Unéal. C’est-à-dire qu’au moment où l’agriculteur appuie sur le bouton, cela appuie aussi pour nous. Donc nous n’avons quasiment aucun risque hormis les une à deux minutes de temps de réaction qui leur est accordé pour pouvoir nous renvoyer la signature électronique. Concilier le besoin d’instantanéité dans nos cotations avec notre souhait d’instantanéité de retours signés pour être sécurisés a été un vrai challenge. »

Faire circuler la bonne information

Édouard Minier, agriculteur adhérent de la Scael, a également constaté une évolution dans la fixation des prix au cours du jour. « Maintenant, je reçois les prix par SMS, où il est bien mentionné le fait que les prix sont susceptibles de bouger. Je ressens aussi une plus forte réactivité, notamment vis-à-vis des sites de comparateurs de prix agricoles. » Pour communiquer sur les prix, Antoine Fetilleux, responsable céréales chez Pissier, passe beaucoup en direct auprès des agriculteurs. « Pouvoir assurer des remontées ou des descentes sur le terrain le plus rapidement possible est un vrai enjeu, complète Frédéric Ducournau, animateur de collecte de Maïsadour. Faire circuler la bonne information au bon moment est très important, y compris lorsque l’information change. Nous sommes dans une structure quasiment mono-produit avec le maïs, il y a une forte expertise marché attendue de notre part sur cette production. »

Pour partager l’information avec les agriculteurs, il est parfois utile de passer par des organismes extérieurs et indépendants des enjeux de la collecte. « Nous avons ainsi organisé des réunions avec Agritel, témoigne Anaïs Begaud, responsable céréales des Ets Bernard. Les agriculteurs ont tous été un peu déçus quand il leur a été dit que, globalement, le marché avait déjà intégré la guerre en Ukraine. Cependant, c’était très bien que ce soit quelqu’un d’autre que nous qui le leur dise. »

Travailler la marge

À côté de leurs offres en prix ferme, les opérateurs n’ont cependant pas délaissé le prix de campagne dans l’offre commerciale. « Il y a sept ou huit ans, le prix d’acompte représentait encore une part forte qui s’est réduite ces trois dernières années. Aujourd’hui, nous identifions un besoin de sécurisation et nous sommes en train de travailler un prix d’acompte dynamique, sécurisant et plus transparent, met en avant Frédéric Ducournau. On a mis cela en place pour la campagne 2023, avec des objectifs ambitieux sur les nouveaux contrats. » Au sein des Ets Bernard, une attention particulière est portée à la construction du prix de campagne qui se fait de façon collégiale au sein de l’équipe céréales et de la direction. Chez Unéal, le prix d’acompte est couplé à un engagement précoce des volumes avant le 31 mars.

L’idée de déplacer la question du prix d’achat de la collecte vers un processus de sécurisation de la marge avec l’agriculteur semble petit à petit faire son chemin chez les professionnels. « Nous avons amplifié la démarche technico-économique depuis un an et demi, avec un discours visant notamment à lier les achats d’engrais avec des ventes de grains, confirme Nicolas Vermeulen, responsable collecte d’Agrial. À côté de « radio-campagne », il est important d’avoir un raisonnement individuel. Cela se fait via des groupes d’agriculteurs. Notre extranet permet aussi aux adhérents de se situer. » « Le scénario un peu catastrophe, c’est d’acheter l’urée à 900 €/t et de vendre les céréales à 200. Nous avons donc adapté notre discours pour éviter cela », abonde Anaïs Begaud.

Bien suivre ses taux d’engagement

Avec un taux d’engagement précoce important de la part des agriculteurs pour la vente de la récolte de 2022 auquel s’est adjointe une hausse plus tardive des cours, certains agriculteurs ont pu avoir tendance à ne pas vouloir honorer pleinement leurs contrats. Les professionnels témoignent également de comportements de personnes qui ont voulu accompagner la hausse régulièrement et qui n’ont pas toujours été rigoureux dans le suivi de leur taux d’engagement, alors même que la climatologie de l’année a mis les rendements sous pression. Face à cela, les organismes de collecte ont souvent été proactifs en lançant à chacun des piqûres de rappel de leurs engagements avant les moissons.

En outre, l’année 2022 a confirmé l’utilité et la nécessité d’avoir des engagements écrits et une traçabilité. « Cela a été accentué aussi cette année sur les appros, notamment pour les engrais, ce qui était assez nouveau », témoigne Édouard Minier. « On gère des chiffres d’affaires énormes pour très peu de marge. C’est la loi de notre métier. Et on ne peut pas se permettre de porter le risque pour les autres », justifie Maxime Thuillier. Ce durcissement s’est traduit également dans une plus grande rigueur pour aller chercher les manques de marchandises contractualisées dans les livraisons.

2022 et encore 2023 ont sans conteste mis sous pression la relation entre les agriculteurs et leurs organismes stockeurs. Cependant, il ressort de notre sondage Agrodistribution-ADquation que les agriculteurs sont et restent globalement très satisfaits de la relation avec leurs partenaires de la chaîne des grains. Comme quoi la rigueur de plus en plus nécessaire dans la gestion de la collecte semble finalement assez bien comprise sur le terrain.

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