Fortet-Dufaud : la culture du service payant

« Il y a quinze ans, on faisait 1 M€ de chiffre d'affaires. Aujourd'hui, il avoisine les 13 M€ », se félicite Gérard Garnier, PDG du négoce charentais.Jean-Michel Nossant
« Il y a quinze ans, on faisait 1 M€ de chiffre d'affaires. Aujourd'hui, il avoisine les 13 M€ », se félicite Gérard Garnier, PDG du négoce charentais.Jean-Michel Nossant

Le négoce charentais Fortet-Dufaud connaît une croissance exponentielle, portée par un service éprouvé payant pour le conseil en vigne, Optimus, et une équipe technique affutée, soigneusement choisie et formée.

Il en impose, le siège du petit négoce, à la sortie (ou à l'entrée, c'est selon), du village de Salles-d'Angles, au sud de Cognac. « C'est un ancien garage, indique David Gemon, technicien préconisateur (TP) et actionnaire des Ets Fortet-Dufaud. Quand on s'est installé ici, il y a dix ans, on se disait que c'était trop grand, et maintenant, on a du mal à tout caser ! » Le développement du négoce se mesure en volume mais surtout en chiffre d'affaires. « Il y a quinze ans, on faisait 1 M€ de CA », se souvient Gérard Garnier, son PDG. Aujourd'hui, celui-ci atteint presque 13 M€. Si cette réussite est favorisée par un contexte favorable pour le cognac, et une météo propice aux maladies depuis quelques années, le négoce la doit plus particulièrement à Optimus, un service de conseil personnalisé pour la protection raisonnée de la vigne, payant et déconnecté de la vente de produits phytosanitaires. Et qui dit service technique pointu, dit équipe ad hoc, et nécessité de recruter vu le nombre croissant de viticulteurs demandeurs, les « optimusiens ». Pour cela, Gérard Garnier mise sur l'attractivité de son entreprise, et surtout sur l'alternance. Ce qui explique la jeunesse de son équipe technique : sur douze technicien préconisateurs, quatre sont nés avant 1990, dont Benjamin, le fils de Gérard Garnier et futur repreneur.

L'histoire du négoce commence avec le grand-père de Benjamin Garnier, Pierre Fortet. Artisan forgeron, il s'associe en 1981 avec Jean-Michel Dufaud pour donner naissance aux Ets Fortet-Dufaud, qui proposent des appros aux producteurs, principalement en vigne, et dans une moindre mesure en céréales. « Jean-Michel Dufaud était conseiller en chambre d'agriculture, puis dans une coopérative. Il s'occupait de la partie technique, et mon grand-père notamment du transport », relate Benjamin Garnier. L'ancienne forge servait alors de dépôt. Quelques années plus tard, Gérard Garnier, gendre de Pierre Fortet, rejoint l'entreprise. « Ce devait juste être pour un remplacement, mais à la suite de l'accident de camion de mon grand-père, il est resté », raconte Benjamin Garnier. En 2000, le négoce met un pied en Gironde, avec l'acquisition des Ets Rougerie, qui couvrent environ 1 500 ha.

Optimus, en premier lieu pour une question économique

En 1996, Optimus est lancé. Jean-Michel Dufaud est alors à la tête du négoce. « On était en pleine crise dans le Cognac. L'outil a vraiment été créé pour des questions économiques, explique Gérard Garnier. L'idée, c'était de dire aux producteurs : Vous mettez, pour prendre un exemple, une base 100 sur votre vigne. En optimisant les traitements avec notre outil, vous allez mettre 70. Et sur les 30 restants, Fortet-Dufaud prend une part pour le service. Le reste, c'est de l'économie. C'était compliqué à l'époque, on avait peu de moyens. Ce sont des groupes de viticulteurs qui ont acheté des stations météo, et par la suite on leur a racheté. On est parti comme ça, et au fil des années, on a parlé traçabilité. On progresse beaucoup avec ce service. »

En pratique, Optimus est basé sur un accompagnement technique personnalisé. Les conseils sont affinés grâce à un réseau de 15 stations météo réparties sur la Charente et la Gironde, dont les données permettent de faire tourner des modèles, un pour le mildiou, deux pour l'oïdium et deux pour le botrytis, prenant notamment en compte les températures, la pluviométrie et l'humectation des feuilles. « L'important reste l'analyse ensuite », prévient Olivier Ancelin, jeune TP en charge du sujet. Du 1er mai jusqu'à fin août, les techniciens tiennent des permanences téléphoniques quotidiennes. « Notre logiciel interne nous permet de voir pour chaque client ses stocks en début de saison, avec n-1 et la morte-saison, et on décide ensemble de tous les traitements. C'est un engagement que prennent les producteurs. Parfois on n'est pas d'accord, mais on en discute, développe David Gemon. Quand les viticulteurs réalisent des traitements, ils nous envoient les infos, et on rentre les données. Le logiciel nous alerte sur la rémanence des produits, pour repasser, en ajustant avec la météo. Et si le client ne nous a pas déjà appelés, on le prévient, pour intervenir au plus près des contaminations. Le conseil est individuel et personnalisé. On parle de protection phytos pour les maladies, mais aussi désherbage, insectes, fumure, etc. » Des essais sont aussi conduits chaque année et des journées techniques organisées, sans oublier les réunions de lancement de campagne. Les « optimusiens » reçoivent un bulletin technique hebdomadaire, et en fin de campagne, des bilans individuels sont réalisés. Pour chaque viticulteur, un dossier de traçabilité individuel complet sur la campagne est rédigé, résumant les produits utilisés, quand et à quelle dose, les IFT, les coûts de chaque poste...

Un forfait de 150 €, plus 38 €/ha

Pour tout cela, le viticulteur paye un forfait de 150 €, plus 38 € par hectare. Sans lien avec la vente de produits. Pour les phytos, le négoce travaille avec le GIE Krysop. En 2014, un nouveau service, payant lui aussi, a vu le jour : Optifertile, pour répondre aux contraintes réglementaires de la directive nitrates. « Le but, c'est de faire les plans de fumure prévisionnels, les dossiers Pac, etc. Qu'en cas de contrôle le client puisse donner les dossiers », précise David Gemon. En interne, le négoce travaille depuis 2011 avec Optimagri, logiciel maison sur mesure pour établir et archiver pour chaque exploitation les itinéraires culturaux, les plans de fumure, les comptes-rendus de visite, les bons de commande... La formule Optimus marche, et les viticulteurs en redemandent. « On est un peu victime de notre succès, avec de plus en plus de clients par techniciens, indique David Gemon. Avec l'arrivée de nouvelles recrues, on a pu redispatcher. » Car au fil des années, il a fallu embaucher, du fait de la progression du nombre d'hectares. Mais où trouver les techniciens adéquats ? « Un TC qui dit "tu ne traites pas", c'est une culture. On a mis dix ans à rentrer dans cette culture. Il faut prendre le temps, ne pas embaucher n'importe qui, avertit Gérard Garnier. Si on fait bien le boulot dans les vignes, après le commerce ça va tout seul. »

Une pépinière de conseillers

Outre des techniciens aguerris, attirés par l'aspect très technique du métier chez Fortet-Dufaud, le PDG s'est constitué une pépinière de jeunes TP, qui sont passés en alternance au négoce pendant deux ans avant d'être embauchés. « On ne les lâche pas, ils sont bien accompagnés. Quand on arrive de l'école on ne sait rien, explique David Gemon, qui a lui-même fait son apprentissage au négoce. Le but, c'est de les former à la culture de Fortet-Dufaud, et de les garder le plus longtemps possible. » Résultat, plus de la moitié de l'équipe a moins de 35 ans. Dans la salle de réunion où ils se réunissent tous les mardis, les blagues fusent, entre anecdotes et surnoms. Une ambiance liée pour le PDG à l'autonomie des techniciens, et à un management qui se veut très participatif. « J'insiste sur l'autonomie des employés. Il faut qu'ils prennent des initiatives. Je pense que c'est aussi pour ça que les gens sont bien », fait part Gérard Garnier. Quant à la transmission du négoce, « je veux qu'on soit là demain. Et j'ai encore quelques années avant que Benjamin soit prêt ». En tout cas, les Ets Fortet-Dufaud n'ont pas fini de se développer. « On est dans l'air du temps », appuie Gérard Garnier. A plus court terme, c'est en Gironde que le négoce va se renforcer, avec un nouveau site à Cavignac, qui devrait ouvrir au printemps 2017, et qui remplacera celui de Laruscade.

Marion Coisne

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