« Au début, on était dans le garage de mes parents, se souvient Bérangère Landriaud. C'était un peu comme un open space ! », plaisante celle qui codirige, avec son mari Philippe et son père Dominique Nau, les Ets Nau, jeune négoce basé à Reignac (Charente), né en 2009 et qui réalise aujourd'hui près de 6 M€ de chiffre d'affaires. Avec un modèle original, basé sur l'indépendance des appros et des services. Il y a quelques années encore, Bérangère et Philippe Landriaud, aujourd'hui âgés de 36 et 38 ans, habitaient Bordeaux. Elle travaillait dans les assurances, et lui était responsable de rayon dans la grande distribution, après un BTS commercialisation vins et spiritueux et une maitrise à l'Inseec. Tous deux sont issus du monde agricole. Philippe Landriaud est fils de viticulteurs, et Dominique Nau cultivait 140 ha, avant de passer la main à son fils. L'agriculteur, en plus de son activité, s'occupait des achats de phytos, par appels d'offre auprès de coops et négoces de la région, pour des producteurs. Il raconte : « J'ai adhéré au Ceta de Chevanceaux en 1982, qui à l'époque achetait déjà ses phytos en groupe, avec un responsable dédié, que je suis venu aider par la suite. » D'une douzaine d'agriculteurs, le groupement d'achat atteint la cinquantaine en 1992. « En 2002, je me suis déclaré commissionnaire, explique Dominique Nau, car on était une bonne centaine, ça devenait un boulot à plein-temps. » Il prend alors une commission de 2 %.
Trois fondateurs pour la SARL
Dans le même temps, son fils s'installe sur l'exploitation, et en 2004, Dominique Nau ne s'occupe plus que du groupement d'achat. « Seul, c'était beaucoup de travail, il nous a alors proposé de revenir », raconte Bérangère. Ainsi, en 2006, sa fille le rejoint en tant que salariée, et en 2008, son gendre. L'année suivante, tous trois montent la SARL Nau, avec 33 % de participation chacun. Depuis lors, le négoce s'est structuré et diversifié avec une gamme de services. Mais ce ne fut pas une sinécure. « Heureusement qu'on avait nos expériences précédentes », reconnaît Bérangère Landriaud. Dépôt, rangement, facturation... : tout est organisé, remanié, mis aux normes. « On a investi dans un logiciel de gestion des stocks, un autre de gestion commerciale, on a pris un nouveau comptable... », illustre Philippe Landriaud. A sa création en 2009, le négoce continue de fonctionner par appels d'offre. « Le groupement s'approvisionnait ici sur les produits jugés compétitifs, uniquement des phytos, explique Philippe Landriaud. Un système délicat quand on veut pérenniser l'entreprise. » Les agriculteurs venant pour le prix, pas question de trop tirer sur la marge. Et il faut faire des volumes.
Services à la carte
« On a fait notre étude de clientèle, raconte Philippe Landriaud, pour rendre le négoce pérenne et rentable. Deux solutions s'offraient à nous : soit continuer avec une politique de prix, soit, dans un environnement réglementaire qui se durcit, miser sur l'accompagnement des agriculteurs, en mettant en place une politique de services, en développant une image de spécialistes. » Le tout en gardant séparés appro et services. « On voulait garder la compétitivité des prix et la transparence, justifie Philippe Landriaud. On n'efface pas ce qui marche. On a voulu garder les prix, et autour, développer des services à la carte, avec un double effet : rémunération avec les services, et fidélisation en appro. » Un pari gagnant pour les trois codirigeants : outre les services mis en place, le négoce a pris des parts de marché chez les membres du groupement d'achat : ils achètent désormais près d'un tiers de leurs appros chez Nau. Entre-temps, la gamme s'est élargie aux semences, et dans une moindre mesure aux engrais. « Il y a eu des nouveaux venus, mais on s'est surtout assis chez nos clients », analyse Bérangère Landriaud. A partir de 2009, petit à petit, les évolutions se mettent en place, en gardant le cloisonnement services et vente d'appros.
En 2011, Philippe Landriaud développe une prestation de triage à façon. « C'est important pour développer l'entreprise, cela permet de rentrer chez les clients », observe Bérangère. « C'est une occasion d'avoir un moment pour échanger sur ce qui va, et ce qui ne va pas », confirme Philippe Landriaud. Fin 2012, les trois codirigeants embauchent un technicien grandes cultures. Expérimenté (il a 25 ans de métier), le nouvel arrivant, Bruno Bousique, va développer l'offre services en grandes cultures. En pratique, l'agriculteur a le choix entre deux offres d'accompagnement technique, plus ou moins complètes, pour un engagement sur la campagne. « Et ça plaît, explique l'intéressé. La particularité, c'est que l'agriculteur reste libre d'acheter ses appros où il le souhaite. »
Le soutien du réseau Agridis
Aujourd'hui, Bruno Bousique suit au total 30 agriculteurs, et leur nombre croît régulièrement. Si les dirigeants reconnaissent que la part des services dans l'activité du négoce est « infime », elle monte doucement, leur mise en place ne datant même pas de deux ans. « Les agriculteurs voient que techniquement on tient la route, et par le bouche-à-oreille, d'autres agriculteurs sont intéressés. Je ne viens pas pour leur vendre des produits. Le relationnel est complètement différent », appuie Bruno Bousique.
L'année 2013 marque un tournant pour le négoce, avec l'adhésion au réseau Agridis. « On cherchait un accompagnement tout au long de la saison, fait part Philippe Landriaud. Le jour où on leur a présenté notre projet, on s'est rendu compte qu'on était en parfaite adéquation avec le leur. » Et le négoce est très content de son choix. « On est en train de grandir avec eux. » Les appros passent désormais par le réseau, mais produits et services sont toujours bien dissociés. Agridis leur a apporté de nouveaux services, comme Bay+ Positif de Bayer en grandes cultures. Les Ets Nau proposent aussi des analyses de sol, avec Agro-Systèmes, ou encore des modèles maladies en vigne. Mais c'est surtout un appui réglementaire que le réseau leur fournit. « Depuis le Grenelle en 2009, la réglementation a fait un bond », observe Bérangère Landriaud. Soit l'année de la création de l'entreprise, ce qui finalement, a plutôt été une chance. « Quand on est arrivé, on n'était pas au courant de ce qui se profilait. On a dû tout mettre en place : le classement pour le stockage, les bons de livraison, etc. Mais au moins, on n'a pas eu à changer de système », reconnaît Philippe Landriaud. Et le négoce a encore pleins de projets dans les cartons. « On veut se développer en viticulture », explique-t-il. Pour cela, le recrutement d'un technicien vigne est en cours. « Je ne veux pas d'un technicien qui fasse grandes cultures et viticulture. Depuis trente ans, les techniciens sont généralistes. Si on veut faire notre place, il faut qu'on se spécialise. » Un site internet, avec un portail extranet Olympe pour les agriculteurs, devrait prochainement voir le jour avec Agridis. Les clients pourront ainsi avoir accès en ligne à des fiches réglementaires, les factures, les préconisations, etc. Enfin, fin 2015, Dominique Nau prendra sa retraite. Bérangère et Philippe Landriaud vont racheter ses parts, et ce dernier récupérera le dossier semences, même si l'ancien agriculteur ne sera pas bien loin du négoce. « Son expérience d'agriculteur apporte un plus, un regard autre que celui qu'on peut avoir », fait part Bérangère Landriaud.
Marion Coisne