«Nous en sommes à quarante bilans positifs de suite, j'espère que mon fils connaîtra le même succès pour les quarante années à venir. » C'est là le principal souhait de Gilles Jeudy, président des Ets Jeudy, pour son négoce familial, bien implanté au coeur de l'Allier, au Montet, avec plus de cent ans d'existence. « On ne sait pas exactement, on a retrouvé un papier de mon arrière-grand-père datant de 1914 », précise-t-il. Par leurs activités classiques de négoce de céréales, mais également grâce à la commercialisation de carburants, les Ets Jeudy rayonnent sur les départements limitrophes : le Cher, le Puy-de-Dôme et la Nièvre. Si le commerce de produits pétroliers semble singulier pour un OS, cette activité est historique pour Jeudy et pèse pas moins de 9 M€, ce qui l'impose comme un acteur incontournable dans la région. Par le passé, ce négoce bourbonnais s'est également construit une notoriété nationale grâce à son activité de semences de pommes de terre destinées avant tout aux jardineries. Mais la crise que connaît le secteur de la jardinerie ces dernières années a affaibli cette activité qui fut pourtant « la vache à lait de l'entreprise pendant de nombreuses années », reconnaît Gilles Jeudy. Et de poursuivre : « Au 1er juillet 2017, nous avons arrêté notre activité de semences de pommes de terre par manque de rentabilité ». La décision a été prise « de l'apporter aux établissements Perriol ». Cette entreprise ardéchoise est membre de Carré Jardin, association créée pour succéder à France Plants, comme l'était Jeudy. De cette réorganisation, sont nés les Ets Perriol-Jeudy, où les Ets Jeudy sont actionnaires minoritaires. « Il n'y a eu aucun licenciement et aucune casse sociale », se félicite Gilles Jeudy.
Assurer la transmission
Autre changement en juillet 2017, Raphaël Jeudy, fils de Gilles et représentant de la cinquième génération familiale, est devenu directeur général du négoce. Ce poste a été spécialement créé pour lui afin de préparer la passation à la présidence. Bien qu'à la retraite depuis le 1er juillet 2018, Gilles Jeudy a fait le choix de rester dans l'entreprise pour assurer la transmission. « Depuis un an, Raphaël a été principalement mobilisé par nos projets avec plutôt des actions de management commercial, je n'ai pas encore pu lui transmettre tout mon métier spécifique de négociant. » « Quand je me sentirai prêt, je le laisserai partir », continue son fils en évoquant une perspective de deux ans. La volonté de se réinventer est désormais le quotidien de cette entreprise familiale qui multiplie les projets pour assurer son objectif premier de « répondre aux exigences de [ses] clients ».
Un projet ambitieux de place des marchés en ligne
Depuis maintenant quatre ans, la famille Jeudy travaille sur un projet ambitieux pour la commercialisation des céréales : Boursagri, ou « la place des marchés en ligne ». Cette plateforme, qui a ouvert en janvier 2019, consiste à mettre en relation directe le vendeur, donc l'agriculteur, et l'acheteur. Elle repose sur le « matching » entre l'offre et la demande. « On est parti du constat dramatique que notre métier d'OS change », commence Gilles Jeudy. L'essor du stockage à la ferme, induit par l'augmentation de la taille des exploitations agricoles, s'avère une menace pour les collecteurs, avec notamment des charges de structures qui ne sont pas rentabilisées. « De plus en plus souvent, mes TC viennent me dire que l'on n'est pas placé », commente le néo-retraité. L'agriculteur stockeur n'a plus le réel besoin de passer par un collecteur. « Il saute la case négoce ou coopérative, analyse-t-il, si on ne fait rien, si on n'a pas d'offre typée pour ces agriculteurs stockeurs, on va au-devant de difficultés ; avec Boursagri, on veut vendre la marchandise agricole sans y toucher, sans contact commercial. »
Pour Raphaël Jeudy, « cet outil est une véritable révolution numérique qui digitalise le métier où la transparence est de plus en plus importante ». De plus, « l'agriculteur fixe son prix, c'est le seul outil qui propose cela ». Les Ets Jeudy se rémunèrent grâce un pourcentage sur chaque vente, réparti entre le vendeur et l'acheteur. Trois personnes ont été recrutées : un chargé de projet, un chargé de communication et un référent digital. Avec cette nouvelle corde à son arc, le négoce affirme son ambition de couvrir le territoire national, cette dimension étant nécessaire pour la pérennité de la plateforme.
Lancement d'une gamme de produits mash
Autre corde à son arc, le triage à façon depuis maintenant trois ans, avec « Jeudy Taf ». Un service de traitements de semences à la ferme est ainsi proposé aux agriculteurs. « Cela permet d'apporter de la valeur ajoutée à l'agriculteur qui souhaite être de moins en moins dépendant des semenciers et valoriser ses productions, ce service est très apprécié par nos clients », commente Raphaël Jeudy. Il est proposé dans les départements de l'Allier, du Puy-de-Dôme, du Cher et de la Nièvre. La demande étant présente et grandissante, l'entreprise a investi dans une deuxième machine lors de la campagne 2018.
Les Ets Jeudy se sont également lancés dans la fabrication de leur propre aliment à la fin de l'année 2018. « En tant que collecteur de céréales, nous ne vendions que de l'aliment de partenaires, mais nous avions la volonté de valoriser nos propres céréales », explique Raphaël Jeudy. Une gamme de produits mash, sous la marque déposée « Jeudy Mash », a ainsi vu le jour. Un atelier de fabrication pour « de la transformation pure et dure » avec des cellules de stockage a été créé sur le site de Trévol (Allier), avec un objectif de vente en gros volume. Une responsable aliment a également été recrutée pour piloter la gamme.
De nouvelles cultures, comme le lin certifié Bleu-Blanc-Coeur
« Notre objectif avec cette gamme est d'intégrer nos filières de céréales à paille standards, mais aussi d'intégrer de nouvelles cultures, comme le lin, autant que possible », explique Raphaël Jeudy. La valorisation des hectares de lin cultivés localement est en effet au coeur de cette nouvelle activité. « Nous vendons de la semence de lin et du conseil technique à nos clients et nous leur rachetons leur production, détaille Raphaël Jeudy, cette activité est nouvelle et encore petite. » Ce lin est ensuite envoyé dans une usine sous-traitante de la Vienne pour être extrudé. Le tourteau de lin répondant au cahier des charges Bleu-Blanc-Coeur est finalement intégré au mash sur le site de Trévol. De la matière particulière certifiée BBC est aussi achetée dans la Vienne pour enrichir les mélanges. « Notre objectif n'est pas de faire du volume pour casser les prix, nous voulons produire de la qualité, faire des produits haut de gamme », affirme le directeur en justifiant l'adhésion à Bleu-Blanc-Coeur. En janvier 2019, après seulement quelques semaines de production, une centaine de tonnes de mash avaient déjà été vendues. « Les premiers retours sont très positifs, le produit semble de qualité », se réjouit Gilles Jeudy.
Lucie PetitPhotos Jérôme Chabanne
Un rayonnement sur le centre de la France
Le négoce Jeudy, dont le siège est au Montet dans l'Allier, est implanté physiquement sur treize sites répartis dans trois départements.