Bio : comment rebondir ?
Plus préservées jusqu’à présent que les productions animales, les grandes cultures bio ont subi de plein fouet la crise en 2023. Les stocks s’accumulent, le ciel ne se dégage pas côté débouchés. Mais les opérateurs continuent de croire dans l’agriculture biologique, et en attendant une embellie, ils s’organisent. Au programme, maîtrise des charges et des investissements, accompagnement des producteurs sur les assolements, et quête de nouveaux débouchés. Côtés approvisionnement, la crise se ressent aussi sur les achats.
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Depuis un an, le moral des opérateurs en grandes cultures bio a pris un sacré coup. « Si ces dernières étaient encore très préservées jusqu’à maintenant, elles sont vraiment en difficulté aujourd’hui, reconnaît Bastien Fitoussi, responsable filières biologiques à La Coopération agricole. Nous avons fait un sondage entre mai et juillet 2023, les coopératives répondantes étaient très positives. Cette perception n’est plus d’actualité ». La collecte 2023 est passée par là, avec des volumes très compliqués à commercialiser.
« Il y a trois ans, la consommation avait été affectée, mais sans susciter d’inquiétudes. L’année suivante elle avait nettement baissé, mais avec la guerre en Ukraine, les agriculteurs avaient été bien payés, analyse Martial Guerre, responsable de la commercialisation pour la Drômoise de céréales. Derrière, on a eu deux années de hausse de la collecte. S’il y a trois ans, on avait été en difficulté, la production aurait pu se freiner naturellement. »
Crash express
Si tous les opérateurs se repassent le match, prévoir le crash n’était pas si simple. « Au regard des bilans bio, la baisse des prix était très prévisible, mais les marchés craquent d’un coup, la difficulté c’est toujours de savoir quand et dans quelle proportion », résume Stéphane Vanrenterghem, directeur d’Agribio Union. En France, historiquement, l’alimentation animale représentait 60 à 80 % des débouchés de la collecte bio, rappelle-t-il. Or celui-ci a été touché de plein fouet par deux phénomènes concomitants : l’influenza aviaire, et la contraction de la consommation de produits d’origine animale bio.
« Aujourd’hui, l’alimentation animale c’est moins de 60 % de la collecte », chiffre-t-il. D’importatrice, la France est devenue excédentaire : « En 2018-2019, on a importé 150 000 t, là, on a un surplus de 200 000 t sur les principales céréales. » « La baisse de consommation est plus marquée sur les débouchés pour l’alimentation animale que sur ceux pour l’alimentation humaine », confirme Lucile Brazzini, responsable commerce des grains à la FNA. Les céréales à paille, le maïs et le tournesol sont particulièrement en difficulté. Certaines productions s’en tirent mieux : le soja, les légumineuses, les légumes secs, le lin ou encore le sarrasin « se valorisent à des valeurs proches des historiques », analyse Stéphane Vanrenterghem.
En Vendée, la Cavac traverse des difficultés notables en volailles et en porc, en production et avec sa filiale Bioporc, mais les grandes cultures sont assez préservées, les contrats pluriannuels signés avec les clients étant toujours en cours. « Cela nous préserve, mais nous avons bien conscience que le bio traverse une période de turbulences », relativise le directeur Jacques Bourgeais. D’autres ont dû jongler avec des stocks et déclasser.
L’inconnue de la récolte 2024
À court terme, la grande interrogation, c’est la récolte de céréales 2024. Les conditions de semis ont amputé le potentiel de récolte, mais difficile à l’heure actuelle de savoir de combien, et la conséquence sur un marché saturé. L’autre inconnue, ce sont les déconversions et les hectares mis en retrait. Pour Stéphane Vanrenterghem, la baisse de collecte 2024 sera plus notable dans la moitié sud, avec plus de déconversions, qu’au nord de la Loire, où les rendements en céréales à paille sont meilleurs, et les producteurs sont plus jeunes dans la conversion. Ils ont encore pour certains des aides. Mais la vague de déconversions pourrait toucher plus fortement la moitié nord à son tour après la prochaine récolte.
« Pour moi, la situation de la bio n’est pas durable, juge Camille Moreau, à la tête de la Corab, coopérative charentaise 100 % bio. Les prix vont revenir. Certains clients nous appellent pour compléter des contrats. Je suis plus inquiet du temps qu’il fait que de la conjoncture de la filière bio. Pour l’instant, il manque 15 à 20 % des surfaces en blé, orge et seigle ». Reste à voir ce qui sera semé en variétés de printemps, et les rendements des hectares emblavés à l’automne, certains ayant été noyés. « Le printemps détermine beaucoup la fin du film », résume Camille Moreau. Il anticipe beaucoup plus de maïs et de tournesol.
Si elles sont jugées nécessaires, les déconversions inquiètent pour l’avenir du potentiel de production. « Certes, elles seront positives pour ceux qui restent. Mais pour la qualité de l’eau, de l’air, pour la biodiversité, c’est une autre question. Pour ces problématiques environnementales, l’objectif était d’augmenter les surfaces en bio », déplore Bastien Vincent, directeur commercial de l’union de commercialisation Fermes bio, qui rassemble Cocebi, Probiolor, Biocer et UBS (Union bio semences). Fondateur d’Ecolience, négoce transformateur de graines bio dans la Vienne, et récemment au Naca, Frédéric Grünblatt déplore « un gâchis d’argent public », alors que les conversions ont été aidées. Le bio est aussi un enjeu pour le renouvellement des générations, estime Bastien Fitoussi, à LCA : « Dans certaines régions, plus de 50 % des porteurs de projet veulent s’installer en agriculture biologique. Ils ont besoin de débouchés. »
« On y croit »
Même si le tableau est sombre, les coopératives et négoces qui ont accepté de témoigner continuent de croire dans la bio. Il ne s’agit pas d’un débouché comme les autres. Nombreux sont les acteurs de la filière, convaincus de ses bienfaits, prêts à affronter les difficultés pour que la production soit toujours là demain. « Au regard des enjeux environnementaux, sanitaires et sociétaux, l’agriculture biologique reste une solution d’avenir, appuie Bastien Vincent. Aujourd’hui, on connaît une crise, mais on sait que le marché va repartir. On y croit, mais on a besoin de soutien et de consommation. » Ses atouts ont d’ailleurs été reconnus par la Cour des comptes dans un rapport dévoilé en juin 2022, qui étrille au passage la politique de soutien menée par le ministère de l’Agriculture, avec « des objectifs ambitieux, sans allocation de moyens suffisants », le développement de la bio ayant été « au mieux accompagné, et parfois freiné ». Les opérateurs attendent des mesures des pouvoirs publics, d’autant que l’objectif affiché est d’atteindre 18 % de la surface bio en France en 2027 (10,7 % en 2022). Un chiffre que, sans demande en face, Stéphane Vanrenterghem qualifie de « fantasmagorique ». La filière demande des aides pour les producteurs, mais surtout de la communication pour relancer la consommation. En attendant, comme le prouve ce dossier, les coopératives et négoces s’organisent, et accompagnent du mieux possible les producteurs. Chez Agri Bio Conseil, négoce bio d’Ille-et-Vilaine, Cécilien Boisseau appuie : « On est aussi là pour leur remonter le moral. On y croit comme eux ».
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