Nichés au sud de la Sologne et au nord de la Brenne, à Luçay-le-Mâle (Indre), les Etablissements Renaud viennent de construire un nouveau site à Varenne-sur-Fouzon. « Il nous manquait une base dans ce secteur. Nous voulons être au plus proche des agriculteurs pour tous les services », indique le directeur François Renaud. Depuis vingt ans, ce « petit » négoce, plutôt discret, ne cesse de progresser. François Renaud est à la tête de l'entreprise familiale depuis 1991, il représente la quatrième génération. Après des études en école de commerce, il travaille à Touraine Air transport. « Je n'étais pas destiné au métier du grain ! » Son frère, Christophe, déjà dans l'entreprise, ne souhaitait pas reprendre l'affaire familiale tout seul. Quand François arrive, tout est à créer.
A l'époque, le négoce familial est dépositaire commissionnaire de la coopérative La paysanne de l'Indre. Il est indépendant pour l'approvisionnement et confie la commercialisation de la collecte à la coop. « Il a fallu mettre en place un réseau de commercialisation, être agréé, informatiser un métier que l'on connaissait mal... Un an après la création, nous étions fortement impactés par la Pac 1993. C'était très dur au départ ! » se souvient François Renaud. Mais en 1993, l'entreprise crée deux nouvelles activités : la distribution d'aliment du bétail avec Evialis et la vigne en s'implantant sur le vignoble de la vallée du Cher. En 2008, les Ets Renaud achètent l'entreprise Debrais, collecteur de céréales, qui propose aussi la vente de carburant. Une stratégie est mise en place pour se démarquer des concurrents : faire ce que les autres ne font pas. Autrement dit, trouver des marchés de niche et mettre en place des itinéraires techniques précis avec les agriculteurs pour y répondre. Les Ets Renaud embauchent des technico-commerciaux spécialisés dans chaque activité et non par secteur géographique : deux en vigne, quatre en grandes cultures, un en aliment du bétail, et un en conseil. Et la stratégie fonctionne. Le chiffre d'affaires a été multiplié par seize entre 1993 et 2013. La collecte, multipliée par sept. En oubliant l'année 2013, qui a été plombée par les conditions climatiques, la collecte ne cesse de progresser, pour atteindre 58 000 t de céréales en 2014. L'objectif est d'atteindre les 80 000 t dans cinq ans. « Le volume n'est pas une fin en soi. Ce qui compte c'est la qualité de mise en marché », insiste le directeur. Pour augmenter la collecte, les Ets Renaud misent sur la proximité et également sur la communication, via un site internet très fourni. Les prix du négoce sont actualisés plusieurs fois par jour et les barèmes détaillés (humidité, frais de séchage...).
Du blé en label rouge
75 % du CA repose sur les grandes cultures. Pour capter les marchés de niche, l'entreprise se base sur la technique et l'innovation. « Nous sélectionnons chaque variété, en partenariat avec des obtenteurs, pour les adapter aux caractéristiques des sols. C'est ainsi que nous avons développé des blés améliorants et biscuitiers. » La majorité des cultures sont tracées, grâce à Olympe parcelles. 70 % des blés, produit phare du négoce, partent en meunerie classique ou artisanale. 5 000 t sont vendues en label rouge. Pour réussir à extraire la meilleure qualité, cela demande de la rigueur sur toute la chaîne de production : semences certifiées, respect d'un itinéraire technique, tri drastique, isolement à part sans traitement pendant le stockage ce qui sous-entend de grandes capacités de stockage. L'entreprise est certifiée Irtac Arvalis et Iso 9001. Un tri variétal se fait dans chaque dépôt. Autre marché de niche : l'oisellerie. Le sorgho, le millet et le tournesol strié sont les principales productions qui sont écoulées en Belgique et aux Pays-Bas. De l'avoine noire est produite pour l'alimentation des chevaux, ainsi que de l'avoine blanche décortiquée (800 à 900 t) pour l'alimentation humaine, en particulier pour les céréales du petit-déjeuner. Le colza et le tournesol sont collectés pour être triturés en huile. Le pois, le triticale, le blé fourrager partent dans les filières d'alimentation du bétail. Le maïs grain est vendu aux éleveurs de chèvres locaux et aux fabricants d'aliments.
L'entreprise commercialise de l'aliment bétail, grâce à son partenaire Evialis, mais aussi des matières premières en direct, des luzernes avec Désialis, et des tourteaux de colza. Malgré un secteur très concurrentiel (Sanders, Agralys-Thoreau, Villemont, Agrial, etc.), les Ets Renaud gagnent des parts de marchés. En 1993, ils vendaient 150 t d'aliment. Aujourd'hui, ils dépassent les 6 500 t. La zone géographique s'étend de plus en plus. François Renaud explique cette réussite : « Notre approche client et les services que nous proposons font la différence. »
Déployer les produits propres
Pour l'appro, Christophe Renaud, le frère, est aux commandes. Un partenariat a été noué de longue date avec Agridis, centrale d'achats et de référencement. Elle permet d'acheter les produits à des prix comparables à ceux des concurrents. Basé à Blois, à une soixantaine de kilomètres de Luçay-le-Mâle, la logistique est simple. Cette année, le CA appro est lui aussi en hausse de 9 %. Malgré une activité engrais stable, la vente des semences et des phytos progresse. Comme pour la collecte, c'est la technique et l'innovation qui priment. « Nous développons de plus en plus les produits "propres", à base de champignons ou de bactérie, sans produit chimique. C'est déjà le cas pour les antisclérotinia pour le colza. Nous commercialisons également les produits de Goëmar qui permettent de diminuer de 46 % l'indice de fréquence de traitement. Nous sommes aussi en train de chercher un herbicide total qui pourrait supplanter le glyphosate », détaille Christophe Renaud.
Les autres activités sont plus marginales. En vigne, cela se concrétise par la vente de « matières sèches », c'est-à-dire des bouteilles, des cartons, des bouchons... et la vente de phytos, engrais et amendements. Depuis 2000, un laboratoire oenologique et une oenologue apporte un service supplémentaire. « Ce n'est pas nécessairement rentable, mais complémentaire d'une prestation de service globale », juge François Renaud. La vente de carburant est stable depuis trois ans. Une des activités marginales, mais qui fonctionne bien et qui peut compenser quelques pertes les mauvaises années, est le photovoltaïque. Installés sur 850 m2, à Heugnes et sur 1 800 m2, à Villentrois, les panneaux solaires rapportent 45 000 € de marge par an. « Tout s'est fait très vite. J'ai saisi l'opportunité de faire un nouveau bâtiment en 2011 pour poser des panneaux, et EDF loue le toit. Le prêt est sur douze ans et le contrat sur vingt ans », explique François Renaud.
Si le directeur a su prendre les bonnes décisions au bon moment, il reste modeste et attribue volontiers les performances de l'entreprise à son équipe. « N'oublions pas l'investissement dans les hommes », note-t-il au dos de la lettre qu'il écrit deux fois par an à ses salariés. La moyenne d'âge des 23 salariés est de 38 ans. Le recrutement est difficile faute de formation adéquate au métier, le dirigeant préfère embaucher des jeunes et les former en interne. Environ 15 000 € sont réservés à la formation continue chaque année. L'objectif est aussi de fidéliser les salariés. François Renaud a donc mis en place une prime à l'intéressement qui peut être très alléchante et il s'emploie à ce que les salariés travaillent dans une bonne ambiance. « Nous essayons de maintenir un climat favorable dans l'entreprise, nous organisons un repas annuel avec les conjoints en fin d'année. Dans une ambiance conviviale, les salariés ne rechignent pas à faire quelques heures supplémentaires, si c'est nécessaire, et payées bien sûr. Nous souhaitons rendre les employés autonomes et responsables le plus possible. Ils connaissent l'évolution de la rentabilité financière, les investissements et la stratégie. Plus ils s'impliquent, plus ils seront épanouis et toute l'entreprise se portera bien », conclut François Renaud.
Aude Richard