Sur une petite route de campagne, près de Dreux, trois gros silos se succèdent sur un même site : celui de la Scael, d'Axéréal et de Sodem-Marchais. Bienvenue au nord de l'Eure-et-Loir ! Petit poucet des organismes stockeurs, Sodem-Marchais fait face aux poids lourds du secteur (sans oublier Interface à quelques kilomètres) en développant une stratégie de diversification. Fondée en 1935 par Pierre Marchais, la Sodem (Société des Etablissements Marchais) est un négoce transmis de père en fils. Aujourd'hui dirigé par Christophe Marchais, le petit-fils, l'entreprise familiale s'appuie sur les outils du passé pour envisager l'avenir. Dans les années soixante-dix, le négoce commercialise des fourrages et des granulés de paille et d'issues de céréales pour l'alimentation animale. Il se développe industriellement en créant une usine de déshydratation de luzerne. En 1995, Christophe Marchais arrive aux commandes après quelques années comme commercial chez Sandoz. Il crée les Ets Marchais pour développer l'activité approvisionnement et collecte sur le territoire de la Sodem. En vingt ans, la collecte passe de 16 000 à 56 000 t de grains, quasiment sur le même territoire, soit une vingtaine de kilomètres autour du site de Marchezais. Cette évolution reflète le changement de paysage du nord de l'Eure-et-Loir, l'élevage a laissé la place aux céréales. L'usine de déshydratation est donc à l'arrêt depuis les années 2000. « Aujourd'hui, nous avons un site très grand, qui coûte cher en maintenance et en taxe foncière. Nous cherchons donc de nouveaux débouchés pour le rentabiliser », indique Christophe Marchais.
Cette stratégie passe par le négoce de céréales, qui valorise une partie des 62 000 t de capacité de stockage, dont 22 000 t en silo et 20 000 t de stockage à plat. Trois technico-commerciaux accompagnent les agriculteurs.
L'OS collecte 56 000 t, à plus de 60 % du blé tendre, qui part à l'export ou pour la meunerie. C'est un des leaders du blé Caphorn dans la région. Les rendements peuvent aller jusqu'à 10 t/ha. Il collecte aussi des orges brassicoles (20 %) et du colza (10 %). Au total, Sodem-Marchais a commercialisé 78 000 t de grains en 2014. 85 % de la collecte se déroule à la moisson, tout sur un seul site. Les débits de chantier sont importants. Le négoce met à la disposition de ses clients sa flotte de semi-remorques. Les analyses de la qualité du blé (y compris l'indice de chute d'Hagberg) sont faites lors de la livraison. Ce qui a pu causer une attente importante lors de la moisson 2014... Mais les produits sont mieux valorisés. L'OS propose différentes options pour vendre le blé, comme un prix « Matif » de 18 €/t : l'agriculteur peut déclencher la vente quand il le souhaite, il obtiendra le prix du marché à terme, moins les charges du négociant (18 €, marge et transport).
Des granulés à toutes les sauces
« Nous sommes en concurrence avec les coopératives du secteur, mais c'est une concurrence loyale. Ce qui l'est beaucoup moins, ce sont les "pseudos négociants" qui vendent en direct à Rouen, et qui n'ont aucune charge matérielle. Notre site est soumis à autorisations et les mises aux normes sont incessantes : 35 000 € pour une installation électrique, 200 000 € pour les filtres à poussière, 80 000 € pour des paratonnerres. Des charges énormes pour une petite entreprise. »
Pour se démarquer de ses concurrents et valoriser ses outils de stockage, Sodem-Marchais propose des filières à haute valeur ajoutée comme les pois marbrés ou le blé blanc, deux céréales qui approvisionnent l'oisellerie. Pour percer dans ce marché de niche, Sodem-Marchais et quatre autres négociants de la région Centre-Val de Loire ont mis en place la marque Granexper. Néanmoins, ces filières sont réservées aux meilleurs clients, c'est-à-dire à ceux qui achètent des produits phytos au négoce. Seule solution pour Marchais de résister aux groupements d'achat. L'approvisionnement pèse 3,7 M€, soit 15 % du chiffre d'affaires et Christophe Marchais ne le développera qu'avec une marge suffisante. Ets Marchais ne répond a aucun groupement d'achat, « la vente sans conseils, ce n'est pas notre credo », affirme le chef d'entreprise. Les granulés ont toujours fait partie de l'histoire de la Sodem. 12 000 t de granulés de paille et d'issues de céréales sont produites chaque année pour l'alimentation animale. L'entreprise qui dispose actuellement de quatre presses, pourrait en produire trois fois plus, mais les débouchés ne sont pas au rendez-vous. Alors Christophe Marchais étudie différentes pistes. En 2010, il se lance dans l'énergie. Avec l'Européenne de Biomasse, il fabrique des granulés composés de 70 % d'issues de céréales et de 30 % de charbon, ce qui permet aux industriels de verdir leur installation au charbon, sans les changer. La technique fonctionne et permet de mieux valoriser les issues qu'en alimentation animale. La Sodem en produit 1 500 t. Mais avec la baisse du prix des énergies fossiles, les projets en biomasse se font rares.
Des litières pour les chevaux
En parallèle, dès 2006, la Sodem achète de la sciure pour produire des granulés de bois et s'équipe d'un camion souffleur pour les livrer. Mais en 2013-2014, les tensions sur le marché de la sciure la poussent à importer des granulés. « Finalement, c'est plus rentable de les importer que de les produire. Nous transportons notre blé à Rouen et nous revenons chargés de granulés de bois. Le combustible est certifié EN+ et la logistique est intéressante », ajoute le chef d'entreprise. Aujourd'hui, environ 500 t sont produites sur le site et 3 000 t sont importées. Pour développer cette activité, en complément de l'activité de distribution de fioul, le négoce a recruté une secrétaire et a acheté un deuxième camion souffleur. L'essentiel du marché se fait auprès de particuliers ou de petites collectivités (plus de 410 clients), avec des livraisons en vrac. « Malgré la baisse du prix des énergies fossiles, c'est un marché en développement, à condition de proposer de la qualité. Nous consacrons un boisseau spécifique pour tamiser les granulés avant le chargement. C'est une logistique qui s'apparente à celle du grain. » Autre piste pour valoriser le séchoir à luzerne : les copeaux de bois pour la litière des chevaux. En 2009, l'entreprise la Maison du copeau décide de s'implanter sur le site de la Sodem pour en produire. Elle investit 2 M€ dans les machines nécessaires. Le négoce sèche la matière première et la Maison du copeau s'occupe de la production et de la commercialisation. Mais, quatre ans plus tard, celle-ci est en dépôt de bilan. Que faire de toutes ces machines sur le site ? Finalement, après négociations, Christophe Marchais rachète le matériel. « On commençait à me questionner sur de la paille défibrée, pour de nouveaux débouchés en alimentation animale. Les essais techniques étaient concluants, donc je me suis lancé. » Aujourd'hui, la Sodem produit des copeaux de bois pour litière à partir de grumes, et de la paille défibrée, principalement pour l'alimentation animale. Grâce à ces deux activités, l'investissement est rentable. Pour les copeaux de bois, larges ou fins, le négoce cible les écuries prestigieuses. Il conserve les marques de la Maison du copeau et développe la sienne, Royal Litière, qu'il vend sur internet ou en direct à Chantilly et Fontainebleau. Mais les deux-tiers de la production sont commercialisés auprès de revendeurs.
Le marché de la paille défibrée semble prometteur. « Nous pourrions encore améliorer notre process, mais nous engloutissons des sommes considérables dans des mises aux normes au détriment d'investissements qui amélioreraient notre productivité. » Christophe Marchais est en colère car l'agglomération de Dreux a décidé de construire un parking de 169 places pour desservir la petite gare de Marchezais, sur un terrain situé à vingt mètres du silo de stockage de la Sodem. L'accès aux fosses de réception va être difficile, environ 600 véhicules/jour se croisent à cet endroit l'été. Sans compter la gêne occasionnée pour les silos de report de la Scael et d'Axéréal. « Un terrain agricole situé de l'autre côté de la voie ferrée aurait permis de préserver les intérêts de tous. Il y a fort à parier que les usagers se plaindront des poussières et que l'administration nous demandera de faire des travaux, d'installer des filtres à poussière, etc. », insiste Christophe Marchais. Un contexte difficile, mais qui n'a pas empêché la Sodem d'innover !
Aude Richard