Il y a près de 120 ans, Louis et Auguste Lumière, natifs de Besançon, inventaient le cinématographe. Dans le même temps, peut-on lire sur le site internet de Chays frères, « Louis et Auguste Chays, pauvres et poussés par leur mère Alvina partent sur les routes vendre du petit matériel agricole (faux, etc.) ». C'était en 1896 dans le canton de Vercel (Doubs). Malgré de tels débuts, l'affaire sera assez rapidement favorisée par le développement de l'activité commerciale provoquée par l'extension du camp militaire du Valdahon en 1914-1918. Petit à petit, le commerce se spécialise dans la quincaillerie, le matériel agricole, puis c'est au tour de la meunerie, et enfin de l'alimentation animale dans les années cinquante, ce qui conduira d'ailleurs à la création d'une activité de collecte et d'appro. Chaque branche familiale part de son côté, puis tout le monde fusionne en 1995, à la veille du centenaire de l'entreprise... Une vraie histoire de famille ! Aujourd'hui, les deux frères actionnaires, petits-fils d'Auguste, sont Jean-Luc, le PDG de l'entreprise, et Philippe, qui en est le directeur général. Leur cousin François est responsable de la branche matériel agricole : la maison Chays est concessionnaire depuis 1997 de la marque Valtra, et distribue également Krone pour le matériel de fenaison.
Une croissance de 10 % par an
Ces dernières années, bien décidés à moderniser leurs outils de production, les dirigeants font coup sur coup deux investissements de taille. En 2012, ils font l'acquisition d'un bâtiment moderne à Valdahon qui regroupe désormais toute l'activité machines agricoles et le siège administratif. Surtout, en 2007, alors propriétaires d'une usine d'aliments à Valdahon, fermée depuis, ils prennent un tournant majeur en rachetant à Evialis (aujourd'hui InVivo NSA), les Moulins d'Avanne, une société de fabrication d'aliments située à Avanne-Aveney, en banlieue de Besançon, dont Philippe Chays devient lui-même PDG. Entièrement automatisée, cette usine est surtout une ancienne place de fabrication des aliments Grâce-Dieu, l'aliment de référence dans la région. « C'était une heureuse coïncidence de voir ainsi ce patrimoine industriel revenir dans le giron d'une entreprise régionale qui partage les mêmes origines géographiques », commente Philippe Chays. Cette acquisition a eu pour conséquence de déplacer aussi le centre de gravité de l'entreprise vers l'ouest du département, à quelques encablures de l'accès autoroutier à l'A36 (axe Beaune-Mulhouse). Cela se répercute de manière positive sur les coûts d'approvisionnement en matières premières et la livraison des aliments. Un bilan positif pour Philippe Chays : « Depuis 2007, l'entreprise affiche une croissance de 10 % par an, par extension géographique. D'un périmètre d'action départemental, on a désormais pris une envergure régionale. Cette image de marque couplée à notre démarche qualité nous permet de passer les frontières de la Franche-Comté, puisque nous avons des clients dans les Vosges, le Haut-Rhin, la Saône-et-Loire ou la Haute-Savoie. »
Malgré tout, si la capacité de production de l'usine d'Avanne est de 70 000 t, la production avoisine plutôt les 40 000 t. Pour rester compétitive et répondre aux nouveaux besoins des éleveurs, l'entreprise a engagé un investissement de 2 M€ dont 450 000 € ont été pris en charge par le département, la région, le Feader et FranceAgriMer.
Repenser la nutrition animale
Sur les trois presses à granulés existantes, deux d'entre elles ont été modernisées et consolidées. Et l'autre a été remplacée par une ligne d'extrusion pour les graines oléoprotéagineuses. Une innovation notable dans un paysage de l'aliment du bétail où ce procédé de traitement des graines est traditionnellement réservé à l'Ouest de la France. L'entreprise a d'ailleurs réalisé un partenariat avec Valorex, qui assure le transfert de technologie et l'accompagnement. « Un contrat de sous-traitance a été établi pour Valorex, qui nous fait produire et revend ce dont ont besoin les fabricants de l'Est de la France. » Ainsi, l'unité d'Avanne fait partie désormais des six usines françaisescapables de produire des aliments extrudés pour Valorex, cette dernière étant par ailleurs à l'initiative de Bleu-Blanc-Coeur, dont la démarche est encore peu suivie dans l'Est de la France. « Il est difficile de trouver des transformateurs et des metteurs en marché, admet Philippe Chays. Mais ça avance quand même en restauration collective. Et en porc une solution devrait aboutir pour cet automne », explique-t-il. Le technicien spécialisé Laurent Kérandel développe : « Il s'agit de renforcer la filière porc en Franche-Comté, dans l'esprit d'un porc Bleu-Blanc-Coeur, local et équitable. Nous ne sommes pas un gros fabricant, la qualité et l'innovation sont donc primordiales pour exister. »
Privilégier l'approvisionnement local en protéines
Opérationnelle depuis le début d'année, la ligne est calibrée pour produire 12 000 t d'aliments extrudés. Elle devrait, pour sa première année, en sortir 3 500 t sous la toute nouvelle marque Expansiel (mise au point avec Valorex), une gamme d'aliments 100 % extrudés pour vaches laitières (à mélanger ou à utiliser directement) qui améliore la digestibilité de l'aliment et qui permet d'économiser 20 % de concentré. Un outil et une gamme que Chays a eu le plaisir de présenter à ses clients et à ses partenaires, lors de ses portes ouvertes le 9 septembre dernier. L'entreprise compte bien saturer la ligne d'ici quatre ou cinq ans. Pour Chays, utilisateur de graines extrudées depuis les années quatre-vingt-dix et adhérent Bleu-Blanc-Coeur depuis 2003, l'idée est de réduire la dépendance envers l'achat de graines extrudées en relocalisant les matières premières protéiques : soja, féverole, lupin... et surtout le lin. Tout le monde dans la région reconnaît d'ailleurs à Philippe Chays sa conviction dans la valorisation de cette graine. « Le lin est intéressant à différents points de vue : pour l'assolement, pour les animaux et pour le consommateur final. En plus, une vache qui mange du lin émet moins de méthane. L'amélioration de la qualité des produits pourrait intéresser les filières AOC fromagères régionales (Comté, Morbier...), jusqu'ici plutôt réticentes à l'argument oméga 3. » Sachant que le bassin d'élevage couvert par Chays est fortement marqué par les productions sous signes de qualité, avec des cahiers des charges stricts en alimentation du bétail. « C'est une opportunité pour développer des aliments plus techniques, cela nous permettrait de prendre des parts de marché, notamment en vaches laitières. »
Un projet de mobilisationde 3 000 t de lin en interne
Mais pas facile dans la région de trouver du lin, lequel vient aujourd'hui essentiellement de Bourgogne ou de Lorraine. Pour saturer l'outil avec du lin local, il en faudrait l'équivalent de 3 000 ou 4 000 t. Alors que le négoce n'en a collecté cette année que 150 t. Philippe Chays verrait bien la création d'un GIE lin pour fédérer une filière locale, avec d'autres collecteurs locaux, et pousser la mise en culture du lin. Une structure avec un ingénieur permanent. En attendant, il s'évertue à mettre en place progressivement des contrats garantissant un niveau de prix d'achat. Si l'aliment du bétail constitue 80 % de son activité, Chays frères est quasiment depuis le début adhérent d'Agridis pour les semences et les phytos. L'entreprise appartient aussi au groupement d'achat Fertag pour les engrais. « Côté collecte, on en fait juste pour notre principal débouché, l'alimentation du bétail, fait savoir le responsable commercial, Hervé Belot. L'idée n'est pas de faire du négoce de céréales. » 60 % de la collecte est même échangée contre de l'aliment. L'entreprise dispose également d'un Lisa sous enseigne Naterr&a, sur le créneau de la motoculture, du jardin, du bricolage, mais dans des magasins plus généralistes. Mais Philippe Chays réfléchit à lui faire prendre une orientation davantage axée sur le matériel d'élevage, « un magasin plus agricole que rural ».
Renaud Fourreaux