Après cinq ans de mise entre parenthèses, le négoce familial Socagraire (Ille-et-Vilaine) est repris en janvier 1980 par Daniel Béthuel, le fils du fondateur. S'étendant sur les cantons de Pleine-Fougères et de Pontorson, au coeur de la baie du Mont-Saint-Michel, ce distributeur breton côtoie deux mondes agricoles différents. Celui des légumiers des polders et celui des éleveurs laitiers de l'arrière-pays, « le terrain » comme le nomme le patron de ce négoce. Leur point commun, les grandes cultures dont le suivi est partagé entre le dirigeant et son unique technico-commercial. Aujourd'hui, cette petite entreprise, malgré sa taille, occupe un bon quart du marché sur son périmètre d'activité. « Notre part de marché a bien progressé depuis cinq ans avec, notamment dans le même temps, l'arrêt d'un petit négoce qui nous a permis de récupérer 400 à 500 ha, fait remarquer Daniel Béthuel. Nous restons sereins car nous avons un point de seuil très bas. Notre affaire est très rentable. Tous les outils sont amortis. »
Un espace de liberté pour les légumiers
Le fait de fréquenter deux types de clientèle bien distincts génère une approche différenciée. Les agriculteurs des polders sont plutôt indépendants et plus exigeants. Aussi, la relation de patron à patron a été privilégiée avec un suivi de ces exploitations par Daniel Béthuel. Ces structures possèdent en moyenne 120 ha dont un tiers en blé, un tiers en maïs et un tiers en légumes. « Ces agriculteurs aiment avoir une relation avec un négoce privé comme le nôtre, car nous représentons leur espace de liberté dans un contexte où ils sont amenés à être plus intégrés en productions légumières avec des cahiers des charges précis à respecter », explique le dirigeant de Socagraire. Il interviendra sur les intrants en légumes, surtout au niveau du dépannage. Mais sur certaines productions comme la salade, totalement intégrée, l'entreprise ne s'y immisce pas.
En polyculture-élevage, les exploitants sont moins autonomes dans le domaine végétal et se reposent plus sur le technico-commercial, comme le souligne Jérôme Renault qui a rejoint l'entreprise en décembre 2006 (lire témoignage p. 26). Ce jeune technicien partageait son temps, au départ, avec un autre négoce du même département. Puis, l'activité l'a amené à se consacrer à plein-temps à son employeur actuel.
Commissionné par une coopérative
Des petites structures comme Socagraire ne peuvent que se défendre en restant légères et réactives. D'où cette recherche de mutualisation à un moment donné avec d'autres collègues. D'où, également, le choix fait depuis vingt ans de ne pas s'investir plus que cela dans la collecte de céréales, en s'en tenant à être commissionnaire pour le compte d'une coopérative des Côtes-d'Armor : Le Gouessant. Celle-ci est actionnaire à hauteur de 24 % dans le capital du petit négoce. Certes, s'il assurait lui-même la commercialisation, son chiffre d'affaires s'en verrait doublé. Mais cela obligerait à d'autres investissements en terme de logistique et pourrait obérer quelque peu la rentabilité de l'entreprise. Un même système de commission est appliqué en alimentation animale, toujours avec cette coopérative. « La commande des aliments est gérée indifféremment par nous ou par eux, explique Daniel Béthuel. Nombre de nos clients les appellent directement et peuvent bénéficier des compétences des techniciens bovins de la coopérative. »
Ce partenariat représente une garantie et une sécurité de débouchés. Il a été initié pour faire face à la croissance des volumes de collecte et à la préoccupation de trouver alors les débouchés adéquats. « Seul, j'aurai sûrement plus de mal à bien valoriser nos céréales. Et comme nous faisons pas mal de maïs, nous aurions dû nous équiper en station de séchage. C'est surtout ce dernier aspect qui m'a poussé à me rapprocher du Gouessant », constate le dirigeant. La coopérative Le Gouessant enlève directement les céréales au fur et à mesure des livraisons des agriculteurs lors de la moisson. Elle a également fourni le logiciel générant les bons de livraison et d'enlèvement.
Plus de crédit avec Agridis
Côté approvisionnement, Socagraire s'appuie depuis quelques années sur le réseau d'achat breton Proxagri qui a été présidé quelque temps par Daniel Béthuel. En novembre 2008, ce réseau s'est rapproché pour l'activité produits phytosanitaires du réseau de négoces national, Agridis, qui apporte encore plus de crédit. « C'est essentiel pour l'accès au produit et nous sommes bien dans le schéma de distribution des années à venir », se félicite Daniel Béthuel. La différenciation de l'offre fait partie de ce schéma. Le négoce est déjà dans ce mouvement en proposant des ventes de morte-saison avec ou sans visite. Et il amène aussi le client à se positionner sur ses achats en engageant une partie de ses surfaces dès l'automne.
En outre, le stockage de produits phytosanitaires est simplifié et moins important, avec des livraisons par Agridis au fur et à mesure des besoins. En semences, le réseau Proxagri reste indépendant et « nous n'aurions rien à gagner en terme de crédibilité à passer par Agridis ». En engrais, Socagraire passe toujours par le réseau breton. Il travaille beaucoup la fumure organique, tel le fumier de volaille récupéré auprès des éleveurs du Gouessant.
Du triage à façon depuis huit ans
Ces partenariats concourent à améliorer la rentabilité de l'entreprise et à assurer sa pérennité. Dans le même esprit, le triage à façon a été développé depuis huit ans. Près de 300 t de blé et d'orge sont ainsi traitées à la ferme par Yvon Fauvel, chauffeur livreur de la structure (lire témoignage ci-dessous). N'ayant pas à gérer la logistique en céréales, le dirigeant de Socagraire a voulu compléter la mission de son chauffeur, sur la période entre juillet et octobre, par ce service en ferme avec toutes les protections requises sur le plan sanitaire. Dans le même esprit, deux épandeurs d'engrais et de chaux ont été acquis pour être loués aux clients agriculteurs. « J'ai toujours fait en sorte que chaque activité soit source de profit », précise Daniel Béthuel. Et pour motiver son équipe, il a mis en place un plan épargne entreprise, un treizième mois et une prime bilan (collecte et triage).
Rechercher un repreneur
Si sa société a encore de beaux jours devant elle, Daniel Béthuel, du haut de ses 57 ans, est déjà amené à se poser la question d'un repreneur potentiel. Dans le giron familial, pas de possibilité en vue. Ce négociant préfèrerait préserver le côté privé de sa structure en se rapprochant d'une autre entreprise au même statut. L'appartenance à deux réseaux de négociants pourrait peut-être fournir des pistes pour une future reprise. Pour l'instant, tout est ouvert et Socagraire tient à rester attractive. Les unions de coopératives qui prennent jour depuis un ou deux ans « ne peuvent que jouer en notre faveur, si nous sommes, bien entendu, efficaces et crédibles ». Tout en voulant être efficient, Daniel Béthuel tient à garder une certaine éthique dans son métier et joindre l'acte à la parole par rapport aux attentes environnementales. « Des passerelles sont à réaliser entre le bio et le conventionnel pour trouver des solutions. Mais nous sommes dans des territoires où l'ouverture vers l'autre est difficile, et la période actuelle amène plutôt à un repli sur soi. » Le petit négoce, cependant, tient à jouer son rôle de passeur d'idées et à continuer à bien mener sa barque.
Hélène Laurandel