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Fertilité des sols : sortir des sentiers battus

Préserver la fertilité des sols, parfois mise de côté par le passé, émerge désormais comme un levier essentiel pour gagner en résilience dans les exploitations agricoles. Afin d’aider les agriculteurs à identifier les pratiques durables en la matière puis à les adopter, la distribution renforce son expertise et multiplie les initiatives, allant des nouveaux outils et produits aux méthodes d’accompagnement.

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« Les rendements stagnent, voire sont en retrait sur la majorité des cultures », alerte Damien Derelle, responsable agrodéveloppement au sein de l’union SeineYonne. Selon l’Inrae, sur la période 2012-2020, la tendance générale d’évolution des sols agricoles de la France est à la dégradation pour le potassium et davantage encore pour le phosphore. Pour remédier à cette situation, Christian Huyghe, directeur scientifique de l’institut, appelle à repenser l’agronomie : « On a oublié de considérer la couche microbienne présente dans le sol et on l’a laissée se dégénérer. Il faut l’intégrer dans les réflexions et l’utiliser à notre service, c’est-à-dire être capable de la piloter. »

En effet, selon Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, les pratiques de labour, les apports trop limités de matière organique et l’absence de couverture des sols en hiver ont érodé la masse microbienne. Mais bonne nouvelle, les pratiques n’auraient pas éliminé beaucoup d’espèces. « Elles sont présentes mais ne le sont pas en grand nombre », précise-t-il. « Nous sortons d’une période où l’agriculture a été basée sur du “cide”, herbicide, fongicide, insecticide, témoigne de son côté Francis Bucaille, cofondateur de Gaïago. Il faut désormais raisonner autrement pour maintenir la vie et revitaliser les sols. Il s’agit de concevoir les schémas de fertilisation en pensant à ce qui va plaire à la culture, au sol, à la rhizosphère… » Ce qui implique de sortir des sentiers battus…

Réintroduire la fumure de fond

Conscients de cette réalité et du rôle pivot que joue le sol sur leur production, les agriculteurs font évoluer leurs pratiques. En témoigne notre enquête Agrodistribution-ADquation, qui montre que 83 % des agriculteurs interrogés mettent en place des mesures pour améliorer la fertilité des sols.

Parmi les pratiques citées, l’apport de matière organique (92 %) arrive en tête, suivi des analyses de sol et des couverts végétaux (lire infographie ci-contre). L’apport d’amendements minéraux basiques (68 %) arrive en cinquième position. Mais selon Pierre-Yves Tourlière, responsable développement des productions végétales chez Timac Agro France, bien que le pH des sols français remonte grâce à une meilleure gestion de l’azote, les amendements sont largement en deçà de ce qu’ils devraient être pour atteindre un pH agroclimatique stable (supérieur ou égal à 6,8). Un constat également valable pour la fumure de fond. « Pour des raisons économiques, certains agriculteurs l’ont abandonné, c’est important de la remettre en avant », insiste Pierre Toussaint, directeur du développement durable chez Axéréal.

Monter en compétences

Et pour que les agriculteurs se réapproprient la gestion de la fertilité de leurs sols, il est impératif de leur fournir des outils de mesure robustes et adaptés. Des tests pour caractériser les fertilités chimique, biologique et physique d’un sol existent, mais leur interprétation reste difficile du fait d’un manque de référentiel. D’autant plus que de nouvelles composantes comme la fertilité hydrique ou électrique (potentiel redox) viennent complexifier le tableau. Christian Huyghe souligne la nécessité d’avoir recours à des indicateurs simples pour favoriser leur adoption.

Dans cette optique, de nouveaux outils émergent, notamment pour évaluer la fertilité biologique du sol. La recherche, elle, s’emploie à élaborer des référentiels et à mieux comprendre les interactions entre pratiques agricoles et fertilité, qui demeurent largement méconnues.

Mettre l’accent sur la rhizosphère

Un autre sujet d’intérêt est celui de la rhizosphère. Berceau d’interactions microbiennes intenses, elle joue un rôle essentiel dans la biodisponibilité et l’absorption des nutriments, la résistance aux stress climatiques, mais aussi le stockage du carbone dans les sols. C’est pourquoi Timac Agro France s’investit activement dans la sensibilisation de la distribution à ce sujet et poursuit ses efforts en matière de recherche. L’entreprise a récemment fait homologuer un stimulateur de mycorhization qui sera prochainement commercialisé. « Cette solution va aider la plante à aller chercher du phosphore et à améliorer sa résistance au stress hydrique », présente Pierre-Yves Tourlière.

De plus, Timac Agro a participé au projet Eau’ptic. Mené entre 2020 et 2023 dans le cadre du pôle de compétitivité Vitagora, ce projet visait à identifier des souches microbiennes capables de renforcer la résistance des plantes aux stress climatiques. « Nous avons regardé dans les sols qui résistaient le mieux s’il y avait des souches microbiennes dominantes, explique Pierre-Yves Tourlière. Et certaines bactéries semblent améliorer la résilience du blé au stress hydrique. » Ainsi, l’entreprise développe un additif technologique visant à favoriser la croissance de cette flore en lui créant un environnement favorable (humidité, prébiotiques, etc.).

Atténuer la prise de risque

Toutefois, l’utilisation de biostimulants pour le sol reste limitée. En effet, selon notre enquête, cette pratique occupe la dernière place parmi les méthodes proposées pour améliorer la fertilité des sols et concerne 35 % des répondants. « Les agriculteurs peuvent être craintifs vis-à-vis de ces nouvelles solutions », ne peut que constater Francis Bucaille. Alors pour lever ce frein, Gaïago lancera à l’automne l’opération « Toujours gagnant » avec sa solution Free N100, une bactérie fixatrice d’azote. « Nous garantissons à l’utilisateur un gain de rendement ou agronomique sur les céréales d’hiver, couvrant le coût du produit. Si la promesse n’est pas tenue, Gaïago s’engage à fournir de nouveau le produit gratuitement », explique Henri de Lédinghen, chef produit et responsable marketing.

Une démarche également développée par Corteva. « Au vu des contraintes économiques cette année, les agriculteurs ne vont pas se tourner vers ces solutions complémentaires », confie Romain Richard, chargé de marketing biostimulant chez l’agrofournisseur. Ainsi, la firme propose, avec sa solution BlueN, l’offre « Satisfait ou renouvelé ». Pour y être éligibles, les agriculteurs doivent acheter au moins 6 kg de produit entre le 1er avril et le 31 juillet.

Si les firmes multiplient les initiatives en matière de fertilité des sols, les coopératives et négoces ne sont pas en reste et renforcent leur expertise sur le sujet. Certains vont même jusqu’à adopter des approches très innovantes, ou du moins extrêmement poussées, en matière d’offre et d’accompagnement.

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